Cole Swensen, "L’Âge du verre. La Fenêtre ouverte (extrait)", traduit de l’anglais par Maïtreyi et Nicolas Pesquès, Résidence Suzanne Doppelt, http://www.inventaire-invention.com
"Un tableau possède toujours un motif qui lui est extérieur ; c’est toujours une fenêtre" (Deleuze).
En résidence à Inventaire/Invention jusqu’en mai 2008, Suzanne Doppelt – dont j’ai rendu compte de la série Le Monde est beau, il est rond (28/12/07) – a eu l’excellente idée de proposer ce texte de Cole Swensen qui, portant sur le tableau de Pierre Bonnard intitulé précisément La Fenêtre ouverte (1921, 118 × 95 cm, Washington, Phillips collection), apporte une brève mais intéressante contribution à la longue histoire contemporaine des interactions entre poésie et peinture – qui déborde largement celle des collaborations entre artistes et poètes, sur laquelle s’est focalisé Yves Peyré dans Peinture et poésie (Gallimard, 2001).
En vingt pages qui combinent vers et prose, évocations et analyses, Cole Swensen [1]Poète et professeur de littérature comparée à l’Université d’Iowa, Cole Swensen vient de publier un recueil intitulé Si riche heure (Corti, 2007). Sur The Glass Age, voir le Journal de Pierre Ménard à la date du 12 septembre 2006 (cliquer) Une lecture/conférence de Cole Swensen (21/05/05) est disponible sur poezibao choisit de se concentrer sur le motif de la fenêtre, cet espace intermédiaire entre dedans et dehors : "à l’inverse du damier la fenêtre ne peut pas fuir, / donc elle monte, carrelant le ciel / elle grimpe / sans diminuer / ne rapetisse pas dans la distance- / Chez Rothko par exemple" (p. 15). Ce motif est d’autant plus capital que, depuis le De pictura (1435) de Léon Alberti, le tableau est considéré comme une fenêtre qui ouvre un monde. C’est dire l’autonomie de l’espace en peinture.
Au commencement, cette (re)mise en perspective qui a valeur de problématisation : "Pierre Bonnard, 1867-1947, peignait près d’une fenêtre donnant au nord. La bataille pour la simple définition du réalisme était alors particulièrement vive – une chose émotionnelle, tel un oiseau cardinal à ma fenêtre. Pouvant ruiner et précipiter la composition du monde en un tourbillon où le monde se perd" (p. 2). Interrogation sur le visible, l’oeuvre du peintre Nabi – dont l’esthétique, en droite ligne des impressionnistes, associe lumière et couleurs incendiaires – fait prévaloir le cadre sur la fenêtre même, la "conscience de voir" sur la "vision" : "Bien souvent dans l’oeuvre de Bonnard la fenêtre se trouve là où la vie a vraiment lieu, une vie liminale, en équilibre sur le bord, en appui sur le cadre" (17). Peignant "depuis l’angle" (Lettre datée de 1927), Bonnard déforme les objets du premier plan, si bien que, lui qui a "traversé d’un coup la matière / juste sous le bon angle" (20), fait bel et bien partie des peintres de la dé-figuration.
Ainsi La Fenêtre ouverte se situe-t-elle entre le Jeune homme à sa fenêtre de Caillebotte (1875), où se trouve mis en scène un regard dominant puisque voyant sans être vu, et la série des Fenêtres de Delaunay (1912-1914), magnifiées par Apollinaire dans un poème du même nom des Calligrammes (1917) :"Du rouge au vert tout le jaune se meurt […] / La fenêtre s’ouvre comme une orange / Le beau fruit de la lumière".