Jacques Sivan, Derniertélégramme d’al jack, éditions Dernier Télégramme, col. Longs courriers, 13 p. ISBN : 978-2-917136-07-2, Prix : 5 €.
[Extrait]
J.S. – D’où proviennent ces flux ?
J.S. – Les flux sont composés de motlécules dont l’interaction ne cesse d’enrichir les forces qui les constituent et qui ls renouvellent sous forme de codes éminemment complexes et problématiquement combinables entre eux. Comme je l’ai déjà dit, le logosonscope a donc pour mission de susciter au mieux le développement de programmes ouverts qui favorisent des effets d’identification mutuels éphémères dont le but est d’être opérationnels.
J.S. – Dans ces conditions peut-on parler d’un phénomène logosonoscopique ? En d’autres termes a-t-on affaire à une science ?
J.S. – D’une certaine façon, oui, car le logosonoscope doit être très précis. Mais cette science a peu à voir avec la science traditionnelle.
[Chronique]
C’est un plaisir non dissimulé, pour nous, de recevoir et de parler de ce dernier livre de Jacques Sivan. Comme je le rappelais dernièrement, il est vrai que la fin de la revue Java, a mis entre-parenthèse un certain nombre de recherches, de poétiques, dans un milieu éditorial de la poésie qui semble redevenu linguistiquement et formellement plus sage, à en croire les figures qui semblent plutôt se démarquer depuis deux-trois ans et les choix faits par de nombreux éditeurs. C’est pourquoi, nous réservons le meilleur accueil à ce type de travail, qui explore les possibles de la langue et de la forme.
Derniertélégramme d’al jack, est tout à la fois une création, et un retour, un rebours, théorique, sur le travail de Jacques Sivan. Forme théoriquo-esthétique, utilisant le processus de l’auto-interview, il met en évidence ses recherches motléculaires, dans une mise en forme proche du journal, de la gazette, finissant ce petit livre par la réappropriation d’une planche BD de John Anderson. Ainsi dans ce petit livre, de très bonne facture comme nous y a habitué Frabrice Caravaca, nous n’avons pas affaire à la langue motléculaire à proprement dit, mais à une mise en lumière tout à la fois de ses fondements intentionnels et de sa manière d’envelopper à sa manière le monde.
Sans qu’il le dise (même si on retrouve son nom dans une des publicités qu’il invente), ici on retrouve la réflexion de Jacques Sivan à propos de Denis Roche. Ce qui apparaît si nous rapprochons ce dernier livre de la conférence publiée en 2007 par ENS éditions : la question du nom, de la matrice vitesse centrifugeuse dans la langue. Mais à travers une autre forme d’approche : celle d’une machine LE LOGOSONOSCOPE, machine à l’oeuvre dans son propre travail d’écriture motléculaire.
Le travail en effet qu’a entrepris Jacques Sivan depuis maintenant plus de vingt ans, s’il s’est inscrit au début dans une certaine forme de proximité éditoriale avec TXT, toutefois s’en démarque radicalement. Alors que ce qui inquiète l’écriture moderne, par exemple de Christian Prigent, tient à la négativité, et à l’impossibilité pour l’écriture d’en témoigner autrement que par le jeu de ses apories, Jacques Sivan tout au contraire, rejette toute forme de négativité. Pour lui, ontologiquement parlant, il n’y a pas d’abîme qui travaille la langue, il n’y a pas d’impossible de la langue qui serait au creux de celle-ci comme ce à partir de quoi elle entrerait dans les boucles tortueuses d’une poétique. Cette conception, décalée de la modernité négative, il la tire aussi bien de son analyse de Francis Ponge que de Denis Roche. Pour lui, chez Ponge, il n’y a pas de rapport de la langue aux choses, mais, l’expression aux choses mêmes, renvoie à la langue elle-même en tant qu’elle se constitue en soi, comme mode autonome, selon sa complexification poétique, son intensification de mise en relation des choses linguistiques. Le travail d’écriture poétique selon Jacques Sivan, c’est un mouvement de la langue sur soi en parallèle des phénomnes du monde qui eux-mêmes s’enchevêtrent et se complexifient. La langue grossit de l’intérieur par ses vitesses et ses télescopages, elle ne vise pas à dire ce qui lui est extérieur. Ainsi dans ce petit livre, Derniertélégramme, Jacques Sivan revient sur la nature de son écriture : combinatoires de motlecules, combinatoires infinies, qui créent infiniment le langage et ses espaces. "C’est la raison pour laquelle le logonoscope est complexe sans pour autant comporter de secret."