[Chronique] L'art mauvais de Jérôme Bertin, poète qui maudit, par Alain Jugnon

[Chronique] L’art mauvais de Jérôme Bertin, poète qui maudit, par Alain Jugnon

mai 31, 2016
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[Chronique] L’art mauvais de Jérôme Bertin, poète qui maudit, par Alain Jugnon

Jérôme Bertin, Retour de Bâtard, Al dante, printemps 2016, 48 pages, 8,50 €, ISBN : 978-2-84761-729-0.

Rien ne nous prépare vraiment à cela. Pourtant le temps est aux passions tristes. Rien n’est fait pour que l’on se rende compte réellement. Pourtant les poètes semblaient avoir disparu, sans perte ni fracas. La critique littéraire peut maintenant, si elle le veut, inclure ces nouveaux frais et ce manque à l’origine, car le lecteur post-moderne ne peut plus échapper à sa condition de précaire du merveilleux, de revenu tout nu des utopies. Mais quand le poète refait épiphanie, quand le poème reprend de l’assiette et de la surface, la critique jouit de ce pouvoir ancien : il y a lieu d’en vivre bien et matière à dévorer tout, c’est donc le moment de l’écrire. Retour de bâtard de Jérôme Bertin pose là un poète et un poème pour faire ça : forcer la vue au réel et arracher l’œil droit de la critique littéraire de notre temps de détresse.

Le retour du bâtard (héros accro au poème et à la vie déjà présent dans Bâtard du vide, chez le même éditeur, et dont ce livre est la suite ou la reprise d’opération à cœur ouvert) est plus un second coup de bâton que quoique ce soit qui ait à voir avec le retour, la résurrection ou la rémission des péchés : le bâtard est là et il en remet un très gros coup poétique. C’est son don, c’est sa mission sur terre : et cela donne une « nouvelle révélation de l’être », ou encore le remake franc et vivant d’un « Ecce homo » sans chichis (celui de Nietzsche, pas celui de Jésus) en cinémascope, champ bien profond et couleurs mauvaises. Ce qui est, dès l’abord, le plus proche de cet ensemble bien cadencé de textes bien ordonnés (titrés gras et titrés clairs de décoffrage), et qui raconterait une immanence, une vie, des femmes, le foot et des livres, c’est la prose poétique et rude inventée de toutes pièces et mains d’œuvre par le journal-roman d’un Céline (la trilogie de la fin) et d’un Artaud (les cahiers d’Ivry). La filiation revendiquée par l’auteur avec Charles Bukowski n’est surtout pas une méprise, ni une forfanterie, elle n’est qu’amour de vilain et vie jusqu’au bout (Bertin se voit et se vit en Bukowski chargé à bloc d’abîmes et d’âmes), mais cette filiation en faux-ami ne dit pas tout de la vérité du poème que l’on lit et qui a lieu dans Retour de bâtard, même si la référence est juste pour la vie du poète en question, pour son amour fou des gens, des bars à vinasse et des sales rues de Marseille-la-vie-est-belle. La vérité de ce poème est ailleurs : elle se débusque dans l’évidence absurde de la vie vécue ici-même par le poète en acte, il s’agit d’une écriture au présent de notre éternité, toujours humaine, trop humaine, rien qu’humaine, tout humaine, la totale en quarante pages. Rapport quantité-crise inédit et jamais vu. Jérôme Bertin est un poète comme personne n’a jamais voulu en faire ni en lire, mais un poèt’homme comme en fabrique une vie grave et rude dans les affres et aigu du mental assassin et dans les douleurs infâmantes du corps brusqué de haine et de chiourme.

En découvrant Retour de bâtard, la critique littéraire française et contemporaine doit « voir » ce qui est écrit comme si elle considérait une révélation du nouvel être, un retour à Artaud en quelque sorte, ou bien comme si elle appréciait de visu un autre voyage au bout de la nuit, la post-moderne, la terrorisante et la religieuse à souhait. Jérôme Bertin sait faire tout cela ensemble : révéler l’année 2015 de l’humanité occidentale à elle-même en lui-même et finir tous les voyages possibles au bout de toutes les nuits aux longs couteaux imaginables. Il a donc pour cela à la maison sa poésie vivante, en action directe : les joueurs de foot, les femmes et les poèmes qui rendent malades et heureux de Ducasse, Pasolini, Genet et Shakespeare.

Ainsi, seul le lecteur enhardi et fatigué par la haine et le dégoût de beaucoup peut retrouver ces amours infinies bien qu’infimes dans le poème cru et dru de Jérôme Bertin. L’embarquement pour la saison des enfers et les lumières de la ville sera immédiat : sauf lorsqu’il dit tout l’amour fou qu’il a pour sa maman à lui, son « gangster », le poète grand comme un i et fort comme un bœuf pour taureau la joue hybride et freaks. Nous suivons les scènes et les événements de la vie bertinienne comme des enfants devant la première projection publique d’une Blanche-neige violentée par tous les chasseurs. Les images d’un film de Tod Browning, mixées avec celle d’un Pierrot le fou acharné à vivre au mot près et avec toute la révolution mondiale qu’il faut, viennent à l’esprit du lecteur attentif et atteint en pleine tête par toute la vie écrite qui vit là, par les moyens dévoués et les conditions avouées : une sacrée putain d’existence générée à fond d’écriture. Chapeau bas notre poète, c’était dur pour nous aussi.

Pour prouver ce qui fut dit ici à propos de ce qui a été écrit dans Retour de bâtard, deux ou trois choses prises ailleurs (de la part les amis du poète, bien calés au-dessus de son épaule creuse et incurvée) :

 

« C’est par la barbaque,
la sale barbaque
que l’on exprime
le,
qu’on ne sait pas
que
se placer hors
pour être sans,
avec,-
la barbaque
bien crottée et mirée
dans le cu d’une poule
morte et désirée. »
(Artaud le Mômo, Insulte à l’inconditionné)

 

« Prenez note ! prenez encore note ! vous relirez tout ça plus tard… il faut être plus qu’un petit peu mort pour être vraiment rigolo ! voilà ! il faut qu’on vous ait détaché. »

(Céline, entretiens avec le Professeur Y)

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rédaction

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