[Création] Yannick Torlini, Cela (3), introduction de Sébastien Ecorce

[Création] Yannick Torlini, Cela (3), introduction de Sébastien Ecorce

juin 25, 2016
in Category: créations, UNE
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[Création] Yannick Torlini, Cela (3), introduction de Sébastien Ecorce

La langue est soumise à une force. Une contrainte. Le silence fait partie du langage. Le corps est habité d’un silence, d’une nuit, d’une série de nuits pour une alliance. Un champ de voix couplé à des formes de désincarnation liées à des structures énonciatives (apostrophe, appel, promesse, adresse, invocation). Un se Taire fixateur, initiateur, fondateur d’une langue que l’on laisse aux morts. Qui ne parle qu’aux morts. On met l’index dans la bouche du mort. On en invoque pour ne pas dire convoque les frères, présents absents à venir, Une énergie exténuante tourne insémine informe l’enveloppe de ces textes. Parler ne peut se faire sans fracas, sans désastres. Mais il faudra bien parler ou franchir, en suturant ces plis, ces trous, les creux et les failles de ce monde. Face au silence, la structuration d’un Nous qui amplifie. Y. Torlini n’endosse jamais le Je, qu’il pluralise, ou ré-instancie en des formes plurales (Nous…), des dispositifs ou scénographies qui recontextualisent le flux continu (renouvelé) d’une Parole entre finir et a(d)venir, à entendre cette parole, si elle peut choisir de ne plus parler, de se placer au bord, en déséquilibre, dans une visée du « toujours plus que la fin ». Les relations complexes qui dissonent et consonnent des situations, de négations qui ouvrent à la confrontation d’un monde, de nuit, de langue dans les langues …

Présupposé existentiel (mémoire discursive du texte) et de montée en tension par des cycles de vitalités, des sensations peuvent échapper par calcification ou ossification. Avec ce risque d’un savoir de la langue qui se perd ou mue, la présence d’éléments de concrétion (pierres, glaise…), alternance du Tu et du Vous, une écriture de type oraculaire où les deux isotopies du savoir et de la langue se mêlent. Non pas une initiatique en termes de parcours, mais un devenir, « nous deviendrons moins que nous deviendrons l’infime et bien moins… », à donner partition à ce mouvement du devenir moins que : la chose, moins que et entre les choses, vers une cessation : et la promesse de l’accompagnement. Avec des formes oraculaires : vous saurez enfin vous verrez que notre silence n’a pas de limites. Au silence adjoint la solitude, et de ne pas laisser l’angoisse nous traverser, nous ne saurions plus rien que l’angoisse, l’idée du désastre et de cette force volonté, dans un mouvement qui ne ravaude pas le désastre mais lui donne sa puissance d’apparition dans la possibilité d’un éveil, ou de champ de tension et de bifurcation, une autre typologie de l’écoute, du regard (regarder vous tout au bord), le temps continuera lorsque nous cesserons enfin, notre langue morte rendue aux morts et à leur langue de morts enfin. Physique du corps et de la langue, sur le sens de ce qui lie les corps, corps entre les corps, frères dans toute la profondeur temporelle, des spectres et ses éléments naturels, les choses entres les choses, en un espace commun, formes accomplies ou désaccomplies de la relation, espace préexistant tout en étant aussi à recréer. /Sébastien Ecorce/     [Lire Cela 2]

 

aux frères morts et à venir, aux frères morts et petits frères des jours passés et pas encore advenus, aux frères nous laisserons l’enveloppe vide et sèche de la langue, aux frères morts et à venir nous trouverons d’autres lieux, d’autres moyens pour ce monde, nous trouverons. la lumière frémissante des matins d’avril, les tempêtes tenaces des soirs de novembre, la léthargie des nuits d’août, tout ce qui marque et marquera nos jours rugueux. cela, et tout cela. tout ce qui vit et existe. tout ce qui avale et respire. tout ce qui voit, est vu. tout ce qui avance, vers l’est, vers l’ouest, le nord ou le sud. cela, et tout cela qui ne dit pas son nom. nous trouverons d’autres lieux, d’autres moyens, ce monde et d’autres mondes aux frères morts et à venir. nous trouverons et lorsque sans langue et sans voix, nous tairons, nous trouverons. nous pourrons faire encore maintes promesses après cela. nous le pourrons, il faudra y croire.

rien ne nous frappera rien ne nous tuera, lorsque nous grandirons d’autres paroles d’autres corps, nos corps seront bien au-delà. rien, rien ne nous tuera. ce refus toujours, rien, absolument rien ne nous atteindra. nous en aurons l’intime et l’infime conviction, nos idées seront portées par chacune des parcelles de ce monde infini. nous serons dans chaque pierre, chaque arbre, chaque animal magnifique, minuscule ou majestueux. nous serons dans chaque vallée et chaque désert, nous serons dans chacun des creux de ce monde, arpentant, ensemençant, grandissant. nous serons cela, et tout cela à force et à bout de forces. plus rien ne nous atteindra. nous deviendrons calcaires, mousses, lichens, lierres, écorces, épines, aiguilles. nous deviendrons sève, boue, rosée, pluie, océans. nous n’existerons plus à force d’exister. nous serons la matière qui engendrera la matière et vivra en son sein même. nous serons cela, et tout cela. il n’y aura plus de limites à nos désirs.

nous vivrons plus loin que ceux qui ont choisi de rester. pas ailleurs qu’ici, dans la boue, les friches et les ronces. nous vivrons au-delà et en-deçà des mots séculaires. nous inventerons d’autres langages, d’autres poèmes, d’autres cris et nos vies ne deviendront que le cri de la matière appelant la matière. chaque instant sera radical, aussi radical qu’une guerre. aux frères morts et à venir nous promettons cette guerre sans armes, sans violences et sans répressions. nous promettons les luttes enthousiastes et les fraternités réelles. nous ne parlerons plus cette langue, nous la laisserons à ceux qui ont choisi de mourir pour rien, et bien moins que rien.

aux approches des ombres et la nuit encore, ce qui dira la nuit fuyant la nuit, la place de chaque élément dans un souvenir de lumière. il n’y aura rien à dire de cela, seulement le cri et la promesse, la guerre pour elle-même seulement, pour la joie de la guerre sans cause et sans destruction. nous serons toujours sur le qui vive, aux frères qui se sont assis et ont patienté leurs vies longues et misérables. nous vous entendrons.

aux approches de ce qui sera, de ce que nous espérerons être. aux approches de l’ombre et de l’écho, aux approches de cette violence sans nom et sans but, sans devenir même. pour tous les instants de lutte et de doutes, pour tous les instants terreux et éthérés, pour tous les instants d’angoisse et de révolte, aux approches de ce qui sera, nous serons absolument, absolument sûrs et sereins, face à cela plus parler. plus rien, sereins, sans doute et sans peur. à force et à bout de forces nous choisirons. nous choisirons de ne plus parler aucune autre langue que la roche et ce qui rampe. le faste des jours lents et entiers. aux approches encore frères éternels nous ne passerons pas sans bruit. nous ne ferons pas le grand saut sans un regard pour ceux qui n’ont pas voulu. nous continuerons d’entasser matières minérales, végétales et ce qui reste d’animalité dans nos bouches. rien ne se fera sans le fracas des guerres millénaires. aux approches de ce qui fut, frères, nous serons. nous continuerons.

les mains ne saisissent rien. les torses ne respirent plus. les jambes n’avancent pas les bras ne soutiennent rien. les têtes ne pensent pas les bouches ne laissent plus échapper un mot. quelles oreilles pour entendre, quelles langues pour goûter. quels yeux pour ne plus voir. les sensations échappent et la peau se calcifie, les muscles se fossilisent. aux frères qui ne lutteront plus nous adresserons notre salut terreux et minéral. aux frères qui continueront de parler la langue, nous offrirons notre langue des pierres, rugueuse et lourde comme un millier de civilisations. lorsque tout cessera, lorsque nous continuerons, lorsque nous serons sol et ciel, lorsque d’autres bouches nous parleront nous refuserons de parler. lorsque cela et tout cela, nous se serons qu’un, nous ne ferons qu’un avec le désastre que nous fertiliserons de nos échecs. ce monde parlera encore, s’étendra pendant mille ans, vaste champs de pierres aux frères éternels qui comprendront un jour notre choix. ce monde parlera encore.

nous leur laisserons paroles et poèmes, sang et sueur, cette langue morte qui ne s’adresse qu’aux morts. nous ne parlerons plus, nous laisserons la langue à la langue nous choisirons de vivre plutôt. plutôt vivre. face à ceux qui chantent et haïssent, face au meurtre et au merveilleux, face aux massacres et aux temples multiples, face aux débats éclairés et aux gémissements de ceux qui s’aiment. nous abandonnerons paroles et poèmes, aux morts nous laisserons leur langue, aux vivants notre promesse solennelle et notre force jamais résignée. notre lutte aura lieu ailleurs dans ce monde sans issue.

nous ne saurons pas dans un premier temps. seulement l’échec et tâtonner sans cesse et encore. d’abord nous ne saurons pas. il faudra avancer comme l’enfant ou le vieillard, avec peur et étonnement. nous ne saurons pas. les os de nos descendants nous apprendront. nous hésiterons. puis nous inventerons des géographies inversées, des héritages sans fin, la vie sans merci et sans barrières face à ce monde que nous grandissons et qui nous grandit. nous ne saurons pas, d’abord, puis viendront les lendemains radieux.

aux frères morts, à venir ou jamais venus, nous ne laisserons aucune trace de notre silence magnifique. lorsque nous ne parlerons plus, rien de nous ne demeurera, ceci est notre choix suprême et terrible. aux frères qui resteront ou partiront, aux frères qui feront ce choix ou non, vous ne nous trouverez pas. nous serons plus infimes que le cloporte ou le plancton. nous serons plus grands que les astres et le désert éternel réunis. nous serons dissimulés, silencieux et patients, dans chacune des enclaves de cette langue muette que nous refusons. aux frères morts, aux frères qui ne sont pas, aux frères à venir, à notre descendance improbable, ne riez pas de nous, ne riez pas, notre guerre vaut bien vos millions de crânes entassés. notre guerre lasse vaut bien tous les crimes commis en notre nom seul. ne riez pas. aux frères à venir nous laissons le sérieux de nos os, détachés de la chair.

pas parler creux pas parler. pas creux pas rien. nous ne parlerons plus, dans les creux, dans les plis et les failles de ce monde. nous ne parlerons plus collines et combes, nous ne parlerons plus lacs et rivières, plus la moindre étendue d’eau miroitante et tenace. nous ne parlerons plus les concrétions multiples et les falaises sans fin. cette langue des sillons et des roches. cette langue plus parler plus rien parler cette langue, nous laisserons cela aux frères immobiles et silencieux, nous le laisserons aux frères qui ont choisi de ne plus choisir, qui ont choisi de devenir l’humus des terres pierreuses ou fertiles, aux frères qui, dans les vallées, dans les combes, et sous les collines verdoyantes. nous ne parlerons plus et seulement en ce monde, au plus profond des aspérités et reliefs, nous ne parlerons plus que ce monde. nous offrirons nos os à tout ce qui a choisi l’énigme du vertical. nous offrirons nos chairs, nos muscles et nos yeux à tout ce qui se tient frêle, immobile et aveugle. nous ne parlerons plus la langue des morts, seulement nos corps et au sein même du corps de ce monde. nous établirons les paroles lumineuses, les fraternités magnifiques, les civilisations fondées sur la compréhension universelle et bienveillante. à la moindre brindille, à chaque grain de sable, chaque caillou et chaque nuage, nous promettons d’essayer, de continuer d’essayer, encore et encore.

nos dents ensemenceront les vertes prairies, nos dents blanchies comme champs de pierres, stèles et temples. tout notre être se tendra et se morcellera enfin. nous trouverons notre place en ce monde à la beauté terrible, nous fleurirons comme les genêts dans la lumière, nous grandirons comme les blés et le maïs déjà mûr. nous grandirons jusqu’à devenir ce monde dans sa totalité exacerbée. sans plus ruminer, sans plus pâlir face aux désastres qui adviennent vous savez frères à venir les désastres adviendront toujours, se répèteront, continueront les désastres continueront sans cesse, les désastres. nous le savons, sans langue et sans paroles nous ne perdons pas foi en l’avenir de ces jours lointains.

silence encore et tout au bord du silence. silence au bord tout au bord et dans l’équilibre des angoisses encore. silence au bout tout au bout et sans fin, sans un regard pour tout ce qui a toujours refusé de se taire. silence encore et dans le silence nos yeux se tournent vers l’avenir radieux et éclairé. silence et tout au bord du silence, nos promesses solennelles de faire partie de cette guerre universelle. silence et tout au bord du silence et sous les strates de ce sol froid et rugueux, sous les strates bien au-dessous bien au-delà quelque chose s’invente, quelque chose, bien au-dessous, bien au-delà, nos seules silhouettes nos seules ombres dans le crépuscule. au bord et tout au bord notre ténacité sans limites et notre souvenir face à ceux qui se sont effondrés.

sous les mers, sous les steppes, sous les neiges éternelles, sous les racines et les pierres dressées, sous les monolithes les falaises les montagnes mortes et érodées. sous le monde et bien au centre de ce monde, nos bouches inutiles au-dessous bien au-dessous et au centre. ceux qui comme nous ont choisi de se taire, ceux qui comme nous ont choisi les bouches inutiles, ont choisi. sous les tempêtes et les tremblements du sol, au-dessous bien au-dessous, ceux qui restent et demeurent. patientez, patientez encore, nous vous accompagnerons dans vos moindres gestes, au-dessous bien au-dessous et au centre de ce monde. patientez. patientez encore.

demeurant ici et bien plus loin que les ruines nous demeurerons, ici et bien plus loin que chaque mur effondré, lorsque plus rien ne tiendra, lorsque plus rien nous demeurerons. nous serons encore et bien plus. nous tracerons les cartes de ces mondes à venir. nous creuserons vallées, combes et abysses insondables. nous érigerons des reliefs nouveaux, planterons des forêts sans âge et construirons des villes à la mesure de la grandeur humaine. nous creuserons encore, ici et bien plus loin nous demeurerons, rien autre rien d’autre que ce monde. nous laisserons tout le reste à la langue et aux morts oubliés. nous laisserons la langue et tout le reste à la langue, lorsque notre promesse, aux frères qui nous succèderont. notre promesse. nos frères nous succèderont.

à force, à bout de forces et dans chacun des recoins de nos crânes, chacune des douleurs de nos corps. dans chaque veine, chaque nerf, chaque articulation, chaque repli de chair à force, à bout de forces, ce que nous ne serons plus, ce que nous nous refuserons d’être encore. à dresser listes et inventaires des désastres restants, de nos morcellements futurs et inévitables nous nous morcellerons vous le savez. nous nous diviserons pour peupler chaque espace de ce monde à venir. nous ne parlerons plus la langue de ceux qui rassemblent. nous ne chercherons plus à rassembler ni ressembler. aux frères épuisés vous connaîtrez nos transformations radicales, nos visages et nos silhouettes méconnaissables. aux frères craintifs et placides vous saurez que ceci deviendra notre guerre lasse et continue. vous saurez que nous n’avons pas eu le choix.

que les routes, vous saurez les routes. que les murs vous saurez les murs, les pierres, les briques, vous saurez que. les ponts, les tunnels, que les radeaux vous saurez les radeaux. vous saurez que les pirogues, les sentiers, les trébuchements. vous saurez. vous saurez que les jambes et les bras. vous saurez que les yeux et les lanternes. vous saurez que les cartes le ciel et le soleil. vous saurez que tout ce qui mène, conduit ou est conduit. vous saurez que nous deviendrons cela et tout cela, vous saurez que dans les possibilités multiples vous ne trouverez que nos fragments. vous saurez vous le saurez, ce monde fertilisé par notre refus unanime et catégorique. ce monde fertilisé par notre fugue hors de tout ce qui s’est efforcé de faire monde. en vain. vous saurez, vous le saurez, et dans ce mouvement toujours une langue que nous ne parlerons plus. vous saurez, que tout ce, tous ceux qui mènent sont menés, vous le saurez. en vain vous chercherez notre piste. vous saurez notre peau à chacune des frontières de ce qui vit et demeure.

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rédaction

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