[DVD] Les unités perdues de Henri Lefebvre

[DVD] Les unités perdues de Henri Lefebvre

juin 17, 2008
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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Henri Lefebvre, Les unités perdues, (réalisation H. Lefebvre, voix David Christoffel, image et montage Frédéric Dumond, avec la participation de Johan Tramer-Morael), ed. Incidences, col. "Le point sur le i". ISSN : 1950-7690, 20 €.

  [Dos du DVD] 
Les oeuvres d’art fonctionnent à la perte, toute une économie de la perte traverse. Elles s’inscrivent dans la durée, mais avant qu’elles soient des objets autonomes, il y a le processus de fabrication, et leur vie d’objet sousmis aux intempéries, au feu, comme aux passions — et en fin de compte, au ratage, à l’oubli, à l’inachèvement. Les unités perdues font corps précisément par cela qu’elles ne sont plus, lumière en m^me temps que brûlure. Rien n’a de valeur hors de la perte, qui est aussi ouverture à la virtualité. Voilà la force du projet, extensif, de Henri Lefebvre, d’abord publié en feuilleton dans la revue IF puis aux éditions Virgile en 2004, avant un atelier de Création Radiophonoqie en 2006. Henri Lefebvre en offre aujourd’hui l’intensité transposée, avec la complicité de Frédéric Dumond.
La voix de David Christoffel réactualise cette litanie des manques, dan l’incomplétude qui redit sans cesse la parole vole, les écrits brûlent – et c’est ainsi que nous passons.
Guillaume Fayard.

Henri Lefebvre
Né en 1959 à Salon-de-Provence, vit et travaille à Paris. Documentaliste. Il a publié dans les revues L’Oeil-de-boeuf, Laps, Po&sie, if, Hypercourt, critique… Crée et dirige les cahiers de la Seine, éditions à tirage limité de poésie contemporaine. Membre de l’Association pour le développement des arts visuels et vivants, Signé Lauris.
Fait paraître Les Unités Perdues aux éditions Virgile en 2004

  [Chronique] 
C’est à une étrange expérience, que nous invitent Henri Lefebvre et Incidences par ce DVD. Et nous pouvons remercier Giney Ayme et sa collection de DVD de vidéo-poésie de nous y avoir convié, de faire l’épreuve du manque et du retrait, de la tension, et de l’endurance de la disparition.
Tout d’abord le texte. Dans Les unité perdues, Henri Lefebvre fait une liste des oeuvres qui créées, initiées, esquissées, envisagées, pourtant ne nous sont pas parvenues. Détruites par leurs auteurs pour certaines. Avortées pour d’autres. Disparues au cours de voyages encore, ou lors de conflits. Déchirées, éparpillées, jetées. Énonçant ainsi ces oeuvres, dont même le nom parfois reste à jamais inconnu, nous écoutons une possible histoire parallèle de la littérature et des arts. Une histoire des textes, des lettres, de rushs de films abîmés dans l’histoire, une histoire de ces histoires non-transmises, en-dehors de la mention (et ici, dans ce qui est lu par David Christoffel, il faut être attentif à la situation, à la circonstance, aux intervenants qui déterminent les disparitions). Cet angle d’approche est particulièrement pertinent au sens où il rappelle que le visible n’est la seule dimension de la littérature ou des arts, mais que tout au contraire les oeuvres se composent en retrait, dans le retrait de la visibilité, selon des affects, des doutes sur soi, des vengeances, des nuits de folie. En cette heure, où pour bon nombre ce qui compte est de publier à tout prix (logique néo-libérale de la littérature), cette liste nous rappelle en quel sens ce qui préside à toute survenue est tenu dans la fragilité aussi bien d’existence et de pensée, que de circonstances historiques. Chaque oeuvre citée ouvre à une forme de dimension, qui immédiatement s’éloigne, irrémédiablement refusée à toute autre forme de présence que celle de l’indication.

La réalisation du DVD nous invite à une approche radicale (voir à ce sujet l’article de Jean-Pierre Balpe) de ces oeuvres non transmises, perdues dans le temps. Loin de toute forme de spectacularisation, ou bien de représentation, le parti pris est celui de l’absence. Le DVD commence : la voix de David Christoffel débute la liste des Unités perdues, l’écran est noir. Pas un peu noir. Pas seulement sombre. Radicalement noir. Comme s’il y avait eu perte de l’image, perte de la vue, comme si nous ne pouvions avoir accès à ces oeuvres que par l’écoute, le dire qui par ouïe dire nous transmet que Gogol a brûlé ses manuscrits etc… L’écran est noir, comme si l’image, le visible ne pouvait avoir lieu. Il n’y a pas de traces, il y a seulement le témoignage de ce qu’il y a eu. Nous sommes posés dans la distance. Notre position est celle de ceux qui arrivent trop tard.Qu’y a-t-il donc à voir de ce qui est mentionné ? Rien d’autre que l’absence.  Ce travail de vidéo, mené par Frédéric Dumond interroge la mémoire et la prise en vue. Alors que nous sommes dans une époque qui conjugue de plus en plus vite le rapport image et son (ce qui peut se retrouver par ailleurs dans des travaux videopoétiques aussi bien ceux de Jörg Piringer, que de Joachim Montessuis et de moi-même), ici, ce qui est interrogé, dans une lignée plus proche de l’art contemporain d’ailleurs, c’est la notion de lenteur. Mais l’écran noir s’il est d’abord celui de l’absence, il se découvre lentement être le résultat d’une accumulation de filtres. La juxtapostion de filtres qui viennent obturer la possibilité de voir. Ce n’est pas le diaphragme qui est fermé (rupture de la vue), mais l’épaisseur de couches translucides qui crée le noir (saturation de la vue, comme si vouloir voir ce que pourrait être ses oeuvres disparaissait derrière une trop grande accumulation. Laquelle ? celle de nos connaissances ? celle des oeuvres diffusées et conservées ?).

Ce travail vidéo nous renvoie à Peter Kennedy et Mike Parr et à leur Flux film 37  [1970] (tous les deux sont cités dans le générique), qui dans le sens inverse de ce qui est réalisé par Frédéric Dumond, peu à peu ont obscurci l’optique en collant des scotches. Ce travail vidéo cite, met en abîme, en inversant le déroulé, le travail d’effacement qui étaient celui des deux artistes. Dès lors, au lieu de cacher lentement le visage, comme le firent Kennedy et Parr, est proposé un dévoilement. Couche après couche, l’image apparaît. Plus la liste des disparues s’allongent, plus le visage immobile et silencieux se dessine. Cela prend 12 mn. Reste toutefois certaines questions. En quel sens s’établit une liaison entre d’un côté le texte lu et de l’autre le visage rendu visible. L’inversion intentionnelle entre l’accentuation de l’effacement  par la liste et la netteté de l’image-visage, tient-elle du paradoxe, de l’intensification d’une tension entre l’entendu et le vu ? Est-ce que ce visage, au sens où il est celui d’un figurant, d’un acteur, n’impliquerait pas une forme de fictionnalisation du film, une forme de narration abstraite ?

Si j’ai beaucoup apprécié cette réalisation, toutefois ces questions restent. Dans le film de Parr et Kennedy, la scène est silencieuse. Nous observons une action. Une action qui ne prend son sens que par la caméra. Ce n’est pas une action extérieure et détachée du film qui est captée, mais c’est une action qui implique le film, qui a pour but la modification de l’optique même du film. Ici, dans Les unités perdues, il apparaît davantage que s’il y a une forme d’enjeu tensionnel entre le noir et l’énonciation de ce qui n’est pas (la liste des oeuvres disparues), toutefois, se pose le problème de cette apparition finale. De ce dévoilement du visage à partir du noir. Est-ce que le visage de l’oeuvre se donnerait à voir justement par l’absence ? Est-ce que l’auteur ou le créateur n’aurait pas de présence par cette part d’ombre ?

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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5 comments

  1. sylvain courtoux

    ce texte d’Henri Lefebvre (car avant c’était un texte qui fut publié en feuilleton dans la revue IF) est terrible ; c’est bien qu’il existe en version son et image ;

  2. rédaction

    C’est vrai Sylvain que ce texte est terrible. la voix de David, détachée, énumérant quasi mécaniquement, avec son timbre propre (qui était déjà présent dans le travail DVD de JH Michot et Nathalie Six du début des années 2000), fonctionne très bien.

  3. sylvain courtoux

    le livre de tous les textes dans IF est-il paru à ce jour ? ou il n’y a que le dvd ?
    merci de bien vouloir me répondre…

  4. Henri Lefebvre

    Je vous suis très reconnaissant pour l’article que vous consacrez à la vidéo « Les Unités perdues ».
    Pour répondre aux interrogations que vous formulez : en faisant apparaître lentement un visage d’homme (Johan Tamer-Morael) au fur et à mesure de l’énoncé du texte, je souhaitais illustrer un principe « réconfortant », à savoir qu’un homme se construit, aussi, sur des manques et sur des pertes ; une manière de proposer que rien, sans doute, n’est tout à fait inutile, ni vain…
    Avec tous mes remerciements,
    Henri Lefebvre

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