Suzanne DOPPELT, Le Monde est beau, il est rond, Inventaire/Invention, 2008, 60 pages, 12 €, ISBN : 978-2-914412-73-5
Ce texte constitue le rebond critique de ma chronique du 28 décembre 2007.
Le critique croyait la chose entendue : après avoir considéré neuf des douze créations de Suzanne Doppelt sur le site d’inventaire-invention, il avait cru rassasier son désir-d’écrire après avoir posté sa chronique entre Noël 2007 et Nouvel An 2008. Mais voilà, c’était faire peu de cas du travail de l’imaginaire, favorisé par le jeu entre modus operandi et opus operatum : l’œuvre close en un petit volume où les trois dernières pièces modifient la donne, démultipliant les jeux de miroirs, à près d’un an d’intervalle, la fascination s’exerce de nouveau…
D’où vient qu’un inventaire du vivant soit capable de susciter une vive émotion ? D’où vient qu’une prose à première vue objectale puisse se faire valse mélancolique et langoureux vertige ?
La puissance hypnotisante de ces singuliers objets, de ces diptyques texte-image dont la poète-photographe a le secret, est sans doute liée à leur effet de déréalisation fantasmatique : le monde du vivant est perçu selon une logique rhizomique à travers le prisme subjectif de l’objectif comme d’un flux d’écriture qui se présente comme un étourdissant maelström de choses, d’événements et d’images ; la sismographie d’un désir-du-monde crée ainsi une densité kaléidoscopique ("une féerie optique") qui fait du monde une foire, c’est-à-dire "une chambre des merveilles, un résumé du monde, le grand panopticum de l’univers, un laboratoire bouillonnant où se mélangent découvertes et inventions, attractions et distractions".
On le voit, si le parallèle entre agencement textuel-visuel et agencement du vivant nous ancre en territoire pongien, l’analogie ritournellisée de ces Installations Déréalisantes d’Objets (IDO) nous ouvre vers un ailleurs : de l’inventaire à la réinvention de la spiritualité baudelairienne… tournez, ombres et lumières, images et mirages, machines et marionnettes, fleurs, feuilles et fantômes… Alors, oui, "le monde est beau et rond, il tourne comme le décor d’un théâtre équipé d’une bonne mécanique"…
Fascinant, donc, le miroir-rébus que nous offre Suzanne Doppelt, ce perpetuum mobile qui est en fait "un très beau voyage immobile"… Mais, en matière de fascination, saurait-il y avoir un mot de la fin ? Alors, tournez "balançoire cosmique", tournez lumière, "danseuse serpentine"… Valse mélancolique et langoureux vertige !