Nicolas RICHARD, Façades, La Maison édition, 2008, livre de 64 pages + CD, 15 €, ISBN : 2-525516-2-6.
En matière de critique, rien de tel que la découverte d’une voix singulière : suite à notre présentation dans les News du dimanche 16 novembre 2008, Libr-critique vous propose le regard croisé des deux membres de la rédaction, Philippe Boisnard et Fabrice Thumerel, sur la dernière création de Nicolas Richard – dont la version scénique est l’œuvre du collectif Lumière d’août auquel appartient le jeune poète-performeur (trente ans).
Quatrième de couverture
Façades est un texte poétique qui par la répétition des images, l’entrelacement des dialogues et des scènes de vie entre deux immeubles construit un espace urbain kaléidoscopique. Nicolas Richard s’affirme ici en jeune auteur représentatif de la poésie sonore contemporaine.
La "matière" de Façades est d’abord le support de lectures publiques lors desquelles le travail d’élocution devient une véritable performance sonore.
Le texte fonctionne également comme matrice capable de convoquer par sa densité d’autres formes d’expression : le théâtre, la musique ou la photographie.
Cette édition propose le texte original illustré de photographies noir et blanc ainsi qu’un CD qui restitue des extraits de performances et de lectures avec accompagnement musical.
[ Chronique croisée ]
[+] Façade est
On n’insistera jamais assez sur l’importance de la quatrième de couverture et/ou de la préface : ici, c’est bien la préface d’Alexis Fichet (metteur en scène de la compagnie Lumières d’août) qui, faisant écho à la quatrième, donne envie de poursuivre l’aventure en écoutant le CD – car, à première vue, le texte, certes séduisant par l’allure rétro que lui confèrent les facs-similés de fragments comme dactylographiés avec une bonne vieille machine à écrire électrique, ressortit assez platement à la nouvelle doxa des poésies-dispositifs.
On passe donc à l’étape suivante… et on découvre avec étonnement la virtuosité rythmique de Nicolas Richard, dont la tension dramatique des répétitions-variations est décuplée par le précipité vocal et la musique électro-rock. On songe au célèbre Vaduz de Bernard Heidsieck, encore qu’ici le final soit un Agencement Répétitif Neutralisant (ARN) que j’appellerai immeubilisme pour traduire la carcéralisation de l’espace citadin et, au-delà, de l’espace mondialisé.
Et comme il ne s’agit pas ici d’un texte-partition autonome, on est amené à ressaisir la tridimensionnalité du projet (texte/son/image) dans ses 3 V : ville-vide-violence. Et on est abasourdi par la puissance de cette topographie sonorisée. /FT/
[+] Façade ouest
Adorno, dans Minima Moralia, explique analysant d’une manière critique les relations humaines en cette ère capitaliste, "qu’actuellement on coule d’un seul bloc les murs des maisons, de même il n’y a plus d’autre ciment entre les hommes que la pression qui les fait tenir ensemble." Ce que Nicolas Richard nous propose dans Façades, tient de ce constat. Les jeunes couples, l’homme, la femme, les amis, sont tous des individualités qui sont liées ensembles non pas selon un désir, ou bien une intentionnalité humaine, mais selon la pression de ce qui les entoure, la barrière, les façades est et ouest, les machines qui passent, la façade ouest du premier immeuble, la façade est du deuxième immeuble, les nissan quatre quatre, les briques rouges ou marrons, les pigeons dans les trous, les fenêtres dans les façades. Les hommes dans cet espace urbain reconstitué selon la répétition poétique ne sont plus moteurs de ce qui a lieu, ils sont éléments parmi les éléments, et c’est l’ensemble de cette urbanité de façades, d’anonymats qui est moteur.
La composition de la poésie ici est alors très importante : la logique séquentielle des textes, les répétitions (une m^émé séquence peut être reprise sur plusieurs textes et remixées), les combinatoires qui sont opérées, se substituent à toute forme de méta-description critique de la situation de l’homme. La neutralisation de l’homme dans ces textes ressort de la construction formelle du poétique, de la syntaxe textuelle et urbaine. En un certain sens, il redéploie la logique de l’espace urbain d’immeuble par la textualité.
Façades dévoile ainsi une forme d’effacement de la singularité, en mettant en lumière de quelle manière l’anonymation individuelle se construit selon des possibilités de répétition liée à l’urbanité. Ici, ce constat de l’anodin est assez pertinent, au sens où les combinatoires possibles au niveau des phrases correspondent aux différentes possibilités observables dans le premier immeuble ou bien dans le deuxième immeuble, ou bien encore dans le jardin public "car au sud du premier immeuble et du second immeuble des soixantes degrés façade est et façade ouest des pigeons dans les trous des briques couleur rouge ou marron du parking privé des gravers de la Nissan qua-tre-qua-tre de la barrière rouge blanche des machines allemandes des antennes de télévision il y a un jardin public" (p.22). Cette anonymation est renforcée par les actions des hommes, par ce qu’ils font ou ne font pas. L’anodin ici est sur-souligné, allant jusqu’à l’absurde. Rien dans leurs actions ne ressort. Que ce soient les habitants ou bien les employés de bureau, tout reste anodin, y compris justement la mort qui se profile et se dégage peu à peu de parties en parties à travers un accident.
Mais ce qui renforce le texte c’est bien sa dimension sonore. On sent, dès que l’on écoute le CD, que le texte, formel sur la page, a été écrit selon une forme de présentation sonore (texte partition). Cette dimension est tout d’abord tenue par une réelle présence de la voix, qui sans jamais jouée le texte, pourtant sait varier dans les tonalités et les rythmes de diction. Si Christophe Fiat peut exprimer, entre parenthèse dans son dernier livre, que l’on reconnaît une lecture de poésie en France "à ces larsens, coupures de son, câbles mal plugués, sans parler des poètes qui toussent dans le micro", ici rien de tel, le son électro-rock, plutôt classique (c’est peut-être là que pour ma part j’aurai attendu davantage de risque), porte très bien les jeux de la voix, le travail de sample sur certaines partitions est fait avec précision. Entre deux perspectives sonores, Nicolas Richard pose son monde : d’un côté il y a ce qui se voit le plus couramment au niveau des lectures de poésie, une lecture liée à un univers sonore (très très en vogue et cela de la lecture liée à de la musique classique, jusqu’à des lectures qui se mêlent à des expériences de musique improvisée aussi bien électroniquement qu’avec des instruments, disons-le cela donne le meilleur comme le pire), et de l’autre il y a un travail davantage issu de celui du montage de bande, de la supperposition, de la décomposition de l’univers textuel selon des pistes et des répartitions dans l’espace (tradition liée aux avancées de Heidsieck). Si je n’ai pas encore vu en lecture Nicolas Richard, je l’avoue, c’est avec impatience que j’attends maintenant de le voir in situ.
In fine, je ne peux que recommander de découvrir ce jeune poète contemporain, aussi bien par ce livre que lors d’une lecture. /PB/
Des nouvelles par téléphone de Nicolas RICHARD, que je ne connaissais absolument pas : le poète tient à préciser que la musique a été composée par David Clastrier et Yann Lacan.
Quant à son devenir : « Je travaille en ce moment en tant qu’auteur et interprète sur un projet théâtral intitulé FLÛTE !!! Avec un auteur-metteur en scène de Bordeaux, on s’intéresse à la question du comique et du sordide. Quelque chose devrait voir le jour en 2009 ».