Stéphane Bérard, Ce que je fiche II, ed. Al Dante, 196 p. ISBN : 978-2-84761-906-5. 21 €.
[4ème ce couverture]
Tentative de catalogue
sans préface ni postface 2008
art, architecture, design, urbanisme, religion, économie… 187 propositions (notes, croquis, schémas, courriers, photographies, pièces réalisées ou en cours de développement) rassemblées sous une forme mobile, synthétique et manipulable
[Chronique]
Ce qui ressort de la critique des avant-gardes, et ici quelque soit leur horizon, c’est le déterminisme social qui serait à l’oeuvre sur et dans la conscience individuelle, qui contraindrait, avec plus ou moins de violence, la conscience à adhérer aux agencements fournis par la société, aux valeurs d’usage permettant les transactions, aux réalités urbaines ou rurales prônées comme adéquates au mode de vie en société. Les avant-gardes, depuis le XIXème siècle, mettent en critique la réalité comme venant altérer la puissance plastique des individus, les obligeant à adhérer à un ensemble de structures qui prédétermine par avance les actions, les pensées, les manières de s’exprimer.
Dès lors, l’art et la littérature pensés par les avant-gardes, loin de n’être que le négatif de la modernité rationnelle (et ici je souligne que l’insistance envers la négativité par exemple de penseur comme Prigent, doit n’être lue que comme médiation (solve) en vue d’une coagula intensive), se développent comme possibilité pour la vie de trouver de nouvelles formes d’expression, de nouveaux agencements. Que ceux-ci soient linguistiques (tel que le disait Haussman il faut rompre avec le langage journalistique et retrouver la force magique du langage poétique) ou bien qu’ils soient plastiques.
Tel que l’énonçait Robert Filliou : "L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art".
Mais attention, il ne s’agit pas de comprendre cet énoncé comme devant conduire à l’effacement de l’art mais bien plutôt — et ceci étrangement selon une dialectique hegelienne — l’art est cette différence de la vie (sa donation pour soi dans une forme/matière extéreure), qui permet à la vie de trouver son identité, qu’elle n’avait pas en son premier terme. En effet, la vie, prise en son immédiateté, seulement ressentie en soi (voire à peine sentie), est ce qui est happée, phagocytée, ce qui obéit aux mots d’ordre aussi bien sociaux, qu’économiques, que politiques. Ces instances ne favorisent pas la vie, mais tel que le remarquait Bergson dans La consience et la vie, à la suite des analyses marxiennes du travail, la vie dans le travail, dans les habitudes sociales, dans les routines répétitives, s’endort, la conscience s’assoupit, s’oublie en tant que conscience. L’art, est ce qui va permettre à la vie de se donner pour elle-même, en tant qu’énergie plastique actualisant ce qui n’avait pas de place, construisant ce qui était a priori encore impensable. L’art est la trace intensifiée de la vie qui traverse et transforme la réalité pré-donnée. L’art est ce lieu où la vie témoigne d’elle-même. Ce que dit Filliou tient à cela : l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art, car l’art c’est d’abord et avant tout l’indication que la vie ne s’enferme pas, vivifie et irradie la matière, dépasse les nécessités. Si l’art était plus intéressant que la vie, alors il y aurait fétichisation de la création dans la focalisation d’une trace de vie, focalisation pouvant devenir opposée à la vie se faisant, à la vie débordant déjà ce qui a été donnée par elle. Cette fétichisation est ce qui caractérise d’ailleurs une part des amateurs ou des créateurs d’art comme de littérature, fétichisant certaines oeuvres, au point de s’aveugler sur la vie qui se poursuit en ses mille formes, au point de nier la force plastique qui déborde de toute part l’oeuvre fétichisée.
Comme en écho de ce qui vient d’être dit, en écho de Filliou, de Fluxus, et de bien d’autres — ici je pense à l’imaginaire fou et turbulent de Michel Giroud ou de Joël Hubaut, d’Arnaud Labelle-Rojoux — Stéphane Bérard nous convie justement à cette intensité de la vie qui transfigure la réalité, qui en déplace les certitudes, les nécessités, vie qui invente avec parfois rien, de nouveaux agencements.
Les 187 fiches de Stéphane Bérard se donnent comme des micro-agencements qui perturbent les logiques de la réalité. Ces fiches montrent en quel sens, la pensée peut venir réaffecter le quotidien, l’habituel, l’invisible de ce qui constitue la réalité. C’est ainsi que l’on trouvera pour jeunes alcooliques, le plan d’un sur-escalier mousse [p.51], ou encore pour les femmes qui portent bijoux lors de leur douche, les croquis de bagues-savons [p.62], ou encore pour ceux qui sont un peu rachitiques, le modèle d’un costume compensatoire [p.118] … Chaque fiche est le signe d’une pensée qui face à ce qui se présente vivifie l’existant pour ouvrir par l’imaginaire à des possibilités impensées. Les fiches sont des croquis, souvent faits au stylo bic, sans recherche précise de technicité, de perfection. Mais ici, ce n’est pas important le manque de la dextérité, le manque de la perfection, car tout simplement ce qui est montré n’est pas tant ce que devrait être un résultat, que l’extension de la réalité que la pensée est capable de provoquer lorsqu’elle rencontre le donné. Il fait froid lorsque l’on se met sur un fauteuil, qu’à cela ne tienne, Stéphane Bérard imagine un mobilier chauffant [p.94]. Toutes les fiches ne paraîtront pas intéressantes, certaines pouvant même décevoir. Mais là aussi ce serait passer à côté de l’enjeu d’ensemble. Ce serait rechercher ce qui n’est pas visé par cette collection de fiches. La fiche produite, n’étant pas fétichisée, mais étant seulement le témoignage précaire d’une intensité de vie qui n’arrête pas de se relancer, il est évient que certaines fiches peuvent être plus faibles, plus anecdotiques qu’autre chose. Mais cela participe justement de cette hétérogénéité de la vie. Parfois, elle se perd, parfois, elle se fait muette, parfois elle produit des traces insignifiantes.
J’ai connu un collectionneur de griffonnages téléphoniques. Dés qu’il pénétrait dans un domicile, il repérait la petite console sur laquelle se trouvait toujours l’appareil, l’annuaire et le bloc- crayon. Il jetait un petit coup d’oeil sur le premier feuillet et à chaque fois s’y trouvaient de ces rayures, cercles, profils, concentriques spirales de faces et parfois de la chimère, en somme tout ce que le cerveau, séparée de sa main, laissait fuir pour un rien. Mon ami collectionnait l’art de la sans raison, du haussement d’épaule, de l’oubli sans perte. Vous trouverez sans doute qu’il n’y a aucun rapport avec votre article et bien, j’en conviens, mettant une nouvelle branche suspendue au coté de la votre ( la première partie pertinente sur l’avant garde) je m’éloigne de cette oeuvre tronc qui n’aura je pense d’intérèt que dans la production papetière qu’il faut soutenir, à condition, bien-sûr qu’elle se vende.
Je pense que ce que vous dîtes est très intéressant : traces de vie. Traces de la vie qui déborde la situation dans laquelle elle peutêtre figée (au téléphone). Vie au sens bergsonien pour moi, à savoir la conscience créant au-delà de la nécessité qui l’inscrit, qui la fige. Je trouve très pertinente cette phrase votre : « tout ce qu ele cerveau, séparée de sa main, laissait fuir pour un rien », cet « art de l’oubli sans perte ».
Ce qui a retenu mon attention dans le travail de Bérard, mais je pourrai en effet remonter au début des avants-gardes, à la manière d’explorer le non-être de la chose, sa non-étantité se présentant dans la conscience, c’est cette manière de témoigner de ce surplus de sens face aux choses, ce surplus qui fait alors « arte fact », un fait d’art.
Et c’est ici que les fiches, le travail de fichage est saisissant, ces fiches, qui pour certaines sont de peu d’intérêt si on ls juge à l’aune de la maîtrise, de l’originalité, de la pertinence artistique, d’un coup se révèle comme des traces fragiles de vie, de cette vie d’artiste, qui n’est pas une profession d’abord et avant tout, mais qui tient à cette pensée-là dont on ne peut se détacher car elle est notre, car elle fondamentalement ce que l’on est.
Il y a une forme de drame dans ce constat, au sens où on ne choisit pas d’avoir cela. On ne choisit pas, au sens, où cela correspond d’abord à un mode d’être, certes parfois étouffée (critique de Filliou de l’institution scolaire : « il faut libérer les ailes de l’imagination » dit-il contre l’école), mais qui peut trouver sa voie. Cette voie là est travail, effort, douleur, dépassement de soi et de ses propres traces, relance constante de soi dans l’aventure de soi, exploration des potentialités non-données (contrairement aux potentialités établies socialement, professionnalement).
On oublie trop que l’art est cette invention de soi dans la découverte de ce qui nétait pas donné, alors que tout le système éducatif et d’intégration sociale est fait pour éliminer ces potentialités aventureuses au profit des chemins déterminés et balisés (selon l’offre d’un marché concurentiel de reconnaissance).
Mais est-ce que vous avez conscience de la quantité de perles que vous enfilez quotidiennement sur ce site et en particulier sur ce travail… ?
: « Il y a une forme de drame dans ce constat, au sens où on ne choisit pas d’avoir cela » : qu’est-ce que c’est que ce retour de l’artiste maudit ? Comment pouvez-vous, vous, reprendre ce schéma absolument dévastateur pour la lecture des œuvres ?
« tout ce qu ele cerveau, séparée de sa main, laissait fuir pour un rien” : putain, Descartes, maintenant !
« Cette voie là est travail, effort, douleur, dépassement de soi et de ses propres traces, relance constante de soi dans l’aventure de soi, exploration des potentialités non-données » : c’est quoi, ça ? une séance de coaching ? une prépa pour saut à l’élastique ? Eh, faut arrêter la métaphysique, ça rend sourd.
« traces fragiles de vie » pour parler des fiches… Alors, vous voyez par quelles lunettes, cette fois-ci ? Filliou ? Je ne pense pas que Bérard sécrète l’art comme l’escargot sa coquille (pas plus que Filliou, cela dit, d’ailleurs), et tout ça n’est qu’un discours hypocrite qui, consciemment ou non, dénie toute pertinence critique et toute efficace à ces pièces, dont c’est pourtant l’objectif premier (« tapis de prière de survie », « pantalons pour démineurs », etc, voir http://questions-theoriques.blogspot.com/)
vous mobilisez une fois de plus des instruments critiques inadéquats à l’objet que vous voulez traiter, et ce faisant, vous le ratez.
Monsieur La vérité qui parle
A par votre prétention, je ne sais que lire.
Mon point de vue est ontologique, je ne l’ai jamais caché, ce qui m’intéresse est l’être homme d’abord et avant tout, et ses variations infinies dans des déterminations déterminées. Si vous ne comprenez, et bien allez vous amusez avec vos copains.
En tout cas, ce que je vois avec Bérard, c’est en quel sens il y a cette forme de débordement de la part de son être des objets tels qu’ils sont donnés, quant à leur usage et leur signification.
En bref il y a de la vie, il y a de l’invention, il y a création de sens.
Si dans l’ensemble du livre vous ne voyez que ces aspects résistances (”tapis de prière de survie”, “pantalons pour démineurs”,) alors vous ne devez pas garder grand chose de l’ensemble.
salutation d’un mauvais lecteur à peut-être alors un mauvais auteur.
le dernière phrase de ggb est intéressante…