[Chronique] Ecritures du vide : 3. Patrick Varetz, Sous vide, par Fabrice Thumerel

[Chronique] Ecritures du vide : 3. Patrick Varetz, Sous vide, par Fabrice Thumerel

juillet 21, 2017
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[Chronique] Ecritures du vide : 3. Patrick Varetz, Sous vide, par Fabrice Thumerel

Dans notre société d’hyperconsommation, plus que jamais c’est sous vide qu’il faut écrire… En résonance avec notre bas monde, le troisième volet d’une entreprise singulière nous plonge dans un univers à la fois tragique et burlesque – beckettien… [Ecritures du vide 2. Jérôme Bertin]

Patrick Varetz, Sous vide, P.O.L, février 2017, 216 pages, 15 €, ISBN : 978-2-8180-4105-5.

"Les narrateurs de mes livres, dépassés par le réel, sont souvent – tout bien considéré –
dans un état proche de l’hallucination" (Matricule des Anges, n° 180, p. 22).

Dans Sous vide, nous retrouvons  Pascal Wattez, ce double de l’auteur qui poursuit sa petite vie, c’est-à-dire "l’histoire calamiteuse de [son] existence" (p. 208) : à la fin des années cinquante, Bas monde évoquait un début dans la vie de mauvais augure ; Petite vie, la fin de son enfance, avec en toile de fond Mai 68 ; au début des années quatre-vingt-dix, Sous vide nous présente un trentenaire que sa trajectoire a conduit à l’impasse. Comment aurait-il pu en être autrement ? Cette épave solitaire, ce spectateur de son existence (193) ne fait que reproduire la malédiction sociale qui a marqué sa "folle de mère" (Violette) et son "pauvre salaud de père" (Daniel) : "Pas plus que mon père, je ne possède d’emprise sur mon existence" (29). Ce vide véhicule en fait le poids de la fatalité : "Il y a là, logé dans le creux de ma poitrine, ce sentiment d’échec et d’humiliation qu’il est parvenu à me transmettre, et c’est comme un poids mort – un vide dévorant – qui m’interdit de me ressaisir" (133). Honte et culpabilité comme fardeau tragique : "Ainsi je porte en moi, tel un avorton, l’agglomérat de mon salaud de père et de ma folle de mère, et leur douleur à tous deux" (71)… Son histoire rejoint l’Histoire dans sa dimension tragique : "Tous, on nous a dépossédés d’un ressort essentiel, au point que nous apparaissons condamnés en masse par l’Histoire" (75). Telle est l’ambition du romancier anti-académique : "créer une langue suffisamment forte pour reconstituer le petit monde d’où je viens : un milieu encore assez peu exploré en littérature, celui des enfants d’ouvriers de l’après-guerre, qui – après avoir traversé les Trente Glorieuses – sont confrontés aux effets dévastateurs du néolibéralisme et des crises successives qu’il engendre" (Matricule, 24).

Quand on est un zéro social, on ne peut qu’être un antihéros : "On croit toujours que l’on va avaler le monde, mais c’est lui – au final – qui vous gobe sans attendre" (38). Avorton ravagé par l’angoisse, cet homoncule ne fait qu’un avec la Chose mélancolique qu’il rejette pour redevenir une "petite chose" méprisable : "Je redeviens – au creux de ce lit – cette petite chose, indétectable et inutile, et qui se laisse trop souvent porter par des courants immaîtrisables. Ma gorge se noue" (31). Comment échapper à cette angoisse, comment combler un tel vide ? Par voie orale : "Je me sens tellement démuni, inachevé, qu’il me faut sans relâche boire ou manger, ou fumer – ne serait-ce que pour empêcher ma gorge de se resserrer tout à fait" (14). Par la quête d’une "identité d’emprunt" (27), à savoir l’imitation grotesque de Blanc, cet avatar du docteur Kuzlik (Jusqu’au bonheur) et de Caudron (Bas monde)… Voies sans issue. Par l’amour ? Ce petit roseau bandant se tourne vers Claire, tous deux réunis par leur "part d’ombre" (85). Mais cet amour ne fait qu’exacerber son inexistence, alimenter son hontologie. Au reste, l’accouplement avec celle qui perd peu à peu la claire conscience de soi devient rapidement absurde : habitant près d’un théâtre, le couple se joue la comédie… Il n’y a pas jusqu’à l’acte sexuel qui ne soit grotesque : "Ce doit être ça l’amour, cette gesticulation de l’être, comme une tentative maladroite d’accéder aux zones éclatantes et censément plus bienveillantes de la félicité" (194-195). S’ensuit une scène digne d’un roman de Beckett comme Malone meurt. Beckett auquel renvoie l’incipit : "Où aller ? Quoi faire ?" Écrire, pour conjurer le vide. Une écriture du ressassement qui donne toute sa place à ce vide, qui le donne à voir par-delà la saturation. Une écriture du ressassement à laquelle ressortit l’incantation même : (r)appeler à l’existence l’amante – Claire – c’est trouer le présent, en appeler à l’inexistence.

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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