Entre les deux réveillons, toujours pas de trêve des confiseurs : pour ceux qui restent en éveil, des "brèves du web" (le site Pierre Bourdieu : un hommage, la nouvelle revue en ligne Transeo…), des livres stimulants – et en avant-première le dernier Chevillard…/FT/
[Brèves du web]
[+] On ne peut que saluer l’initiative de Gilbert Quelennec, qui, en 2007, a fondé le collectif international bénévole Pierre Bourdieu : un hommage. On y trouvera des articles et témoignages sur Bourdieu, mais aussi des articles de recherche en sociologie de la littérature (sur Mallarmé, Duchamp, Gombrowicz, Cummings…), des informations concernant le domaine des sciences sociales, des interventions et commentaires dans l’espace "second life"… Au passage, on notera le colloque international qui se déroulera à Strasbourg les 9 et 10 janvier prochains sous la responsabilité de G. Sapiro, F. Schultheis et V. Dubois : "L’espace intellectuel en Europe 19e-21e siècles : bilan et perspectives ».
Un lieu libre & critique à visiter de toute urgence, donc !
[+] Issue du collectif "Pour un espace des sciences sociales européen", comme du site précédent, vient de naître la revue transdisciplinaire et transnationale sur la production et les usages des biens culturels : Transeo, n° 1, janvier 2009. Cette publication semestrielle entend profiter du support numérique pour proposer des dossiers ouverts (works in progress), complétés par des comptes rendus regroupés dans la rubrique "L’État de la question".
Cette première livraison sur "les marges", coordonnée par Éric Brun et Vanessa Gemis, offre une réflexion critique sur les processus de domination et de hiérarchisation : "L’ouverture de ce dossier à des univers et des espaces symboliques très différents (la littérature, la philosophie, le secteur médical, etc.) a pour ambition de susciter des combinaisons et comparaisons inattendues aux regards des logiques de division disciplinaires et géographiques dans les sciences sociales. À partir de cette diversité d’objets étudiés, traiter de la question des marges est en définitive une façon d’éprouver et d’interroger la pertinence heuristique de différents termes/concepts (« domination », « marginalisation », « exclusion », « périphérie », « violence symbolique », etc.), dans leur acception induite par la « sténographie de recherche » que représente le concept de « champ » (pôle de forces, adéquations, résistances, homologies…)".
[+] À l’enseigne du blog de Serge Martin / Ritman, on peut lire : "Poèmes et poétique, pour penser-écrire la relation dans et par le langage en associant les activités d’enseignant-chercheur et d’écrivain". Et on y découvre en effet les travaux de l’universitaire qui se situe en droite ligne de Meschonnic (sur la poésie, la poétique, la critique, la littérature de jeunesse…) comme les œuvres de son double Ritman (anagramme de Martin). On y trouvera également des chroniques, un intéressant dossier sur Ghérasim Luca…
[+] Pour tout connaître de l’actualité sartrienne : Sartre – Groupe d’Études Sartriennes.
[+] Le blog d’Éric Chevillard : L’autofictif.
"Un de mes excellents amis comparait l’autre jour les aphorismes à des pets".
La phrase en exergue, qui entame l’entrée de ce dimanche 28 décembre 2008, est extraite du blog que l’écrivain reconnu a inauguré le 18 septembre 2007 avec pour seul objectif celui de se distraire d’un roman en cours. Mais très vite il se prend au jeu, fasciné par cet espace de liberté, "cette forme d’invention dans le deuxième monde que constitue aujourd’hui Internet, point si virtuel qu’on le dit". Si l’appellation L’autofictif est à première vue un anti-titre, d’après son auteur il correspond néanmoins à l’entreprise : se perdre dans un espace où s’estompent les frontières entre réalité et fiction.
[Livres reçus]
[+] Éric Chevillard, L’Autofictif. Journal 2007-2008, éditions de l’Arbre vengeur, 2009, 253 pages, 15 €, EAN 13 : 9-782916-1413-74. [Parution en librairie : 20 janvier 2009]
Comment échapper à ce genre honni de l’autofiction ? Pourquoi pas par l’art d’"équeuter les haricots" ?… Du genre : "J’ai compté 807 brins d’herbe, puis je me suis arrêté. La pelouse était vaste encore" (18 septembre 2007). C’est dire que cette "chronique nerveuse ou énervée d’une vie dans la tension particulière de chaque jour" mêle broutilles et choses sérieuses, petits riens et réflexions critiques, drôleries et propos grinçants, humour (noir) et (auto)ironie. Pour vous mettre l’eau à la bouche :
"Le nom de l’auteur, indépendamment de sa personne, compte pour beaucoup dans la perception que l’on a de son œuvre. […] L’auteur américain arrive porté par un riff de guitare tandis que Chevillard reste embarrassé de Nisard" (3 décembre 2007).
"Aujourd’hui l’écrivain est devenu précautionneux comme la plupart de ses contemporains. Il ne fume ni ne boit. Il entretient son corps. Il court. Il fait des longueurs. Ses urines sont claires. Il vivra vieux. Il publiera longtemps. Étrangement, cette littérature bio semble cependant dépourvue des vitamines revigorantes que l’on trouvait jadis dans les productions imbibées d’alcool, de tabac et de café des écrivains dopés" (26 juillet 2008).
Du blog au volume le work in progress se fait œuvre – avec un début (18 septembre 2007) et une fin (17 septembre 2008). Et pour la suite, RV chaque jour sur L’autofictif…
[+] Christian Salmon, Storytelling. La Machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte/Poche, 2008, 252 pages, 9 €, ISBN : 978-2-7071-5651-8.
Depuis novembre dernier, nous pouvons disposer en poche du brillant essai paru en 2007 sur le nouvel ordre narratif qui régit toutes les sphères sociales, informant aussi bien les campagnes publicitaires que les campagnes électorales. À ce propos, voici le début de la "Postface à l’édition de 2008" :
"L’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République en mai 2007 a inauguré un nouveau cycle dans la vie politique française […]. S’inspirant largement des techniques de communication mises au point dans les années 1990 par les équipes de Bill Clinton aux États-Unis et de Tony Blair en Grande-Bretagne, le nouveau président s’est employé dès les premiers jours de son mandat à contrôler l’"agenda" des médias en scénarisant son accession au pouvoir, en structurant l’action politique en séquences cohérentes, et en lui donnant le rythme et la forme d’un feuilleton permanent dans lequel alternent des épisodes de la vie publique et de la vie privée" (p. 215).
[+] Rémi Froger, Des prises de vue, P.O.L, 2008, 112 pages, 15 €, ISBN : 978-284682-286-2.
"Qu’est-ce que l’écriture peut prendre des vues qui passent ? Les vues prendront-elles dans l’écriture ?
Des films que nous avons vus, il ne nous reste que quelques scènes, quelques images. Les phrases essaient de les mettre dans d’autres mouvements.
Avec un appareil, on peut appuyer sur le déclencheur n’importe quand, sans viser, sans cadrer. Peut-on faire de même avec l’écriture ? Quelques phrases en font l’épreuve.
Des légendes avaient été écrites pour des illustrations, en double. Les illustrations ont disparu. Ne restent que les légendes.
Les matériels sont dispersés. On les recherche. Caméras, appareils, micros, projecteurs, câbles, découpes, traverses… On les démonte. On essaie d’écrire.
Des prises de vues : capturer des images sans intention, les développer plusieurs fois, les étirer ou les découvrir, les enregistrer sur différentes surfaces. Les écrire : que va-t-il arriver ?
Ce livre, dont les quatre parties : « Cinématographies, paroles », « Épreuves », « Légendes des illustrations » et « Matériels » rendent compte d’une tentative impressionnante de relier les univers de l’image en mouvement et de l’écriture".
[+] Jean-Marc Poinsot, Quand l’œuvre a lieu. L’Art exposé et ses récits autorisés, Les Presses du Réel, 2008, 376 pages (47 illustrations noir et blanc), 22 €, ISBN : 978-2- 84066-229-7.
"L’art exposé n’a pas seulement pris une place dans l’histoire de l’art, il marque insensiblement une transformation profonde de la pratique artistique. Il importait de mettre en évidence comment, en se saisissant de la circonstance de l’exposition, des artistes comme Yves Klein, Daniel Buren ou Lawrence Weiner avaient transformé la manière dont les œuvres ont lieu. L’art exposé est aussi un art pour le public et les artistes formulent pour lui, dans leurs « récits autorisés », leurs figures d’artiste, le contrat iconographique qui propose un mode de lecture des œuvres et les conditions de leur actualisation. L’auteur en examine le fonctionnement et propose par là un mode d’accès à une iconologie de l’art contemporain".