[Chronique] Véronique Bergen, Hélène Cixous, la langue-plus-que-vive, par Matthieu Gosztola

[Chronique] Véronique Bergen, Hélène Cixous, la langue-plus-que-vive, par Matthieu Gosztola

janvier 12, 2018
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[Chronique] Véronique Bergen, Hélène Cixous, la langue-plus-que-vive, par Matthieu Gosztola

Véronique Bergen, Hélène Cixous, la langue plus-que-vive, Honoré Champion, « Littérature et genre », Paris, automne 2017, 136 pages, 35 euros, ISBN : 978-2-745334-55-8.

À lire Cixous, avance Véronique Bergen dans Hélène Cixous, la langue plus-que-vive, on est secoué par « les puissances tactiles, gustatives de sa langue. Il ne s’agit pas à proprement parler d’effets synesthésiques qui, par la virtuosité des correspondances entre les sens, par l’art des métaphores, écholalisent le visuel par l’auditif ou l’olfactif, mais des propriétés, des puissances d’une écriture dont les mots agissent comme des choses, dans la traversée de la séparation immémoriale du verbe et du réel. » 

À sa manière, Cixous ne fait pas mentir Proust qui, dans Contre Sainte-Beuve (Paris, Gallimard, 1968), déclarait : « Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contresens. Mais dans les beaux livres, tous les contresens qu’on fait sont beaux. » Porteurs d’une charge de réinvention, « faisant fond sur les espèces sémantiques, syntaxiques existantes pour bouturer des variétés improbables, des hapax », les vocables, chez Cixous, « font se lever les choses, comparaître un monde palpable à même le défilé des petits corps noirs sur la page blanche. Nous ne sentons pas le réel comme un effet en extériorité du verbe cixousien, une conséquence des images verbales mais comme lové, contenu dans l’humus langagier. »

En cela, Cixous s’attache à faire du monde un monde habitable, obéissant, tout comme Jean-Claude Pinson, à l’injonction de Paul Ricoeur. « La fiction narrative, écrit Ricœur dans Du texte à l’action, Essais d’herméneutique, 2 (Paris, Le Seuil, « Collection Esprit », 1986), s’exerce de préférence dans le champ de l’action et de ses valeurs temporelles, tandis que la re-description métaphorique règne plutôt dans celui des valeurs sensorielles, pathiques, esthétiques et axiologiques qui font du monde un monde habitable ». Jean-Claude Pinson, prenant appui sur le philosophe, affirme dans Habiter en poète, essai sur la poésie contemporaine (Seyssel, Champ Vallon, « Recueil », 1995) : « […] on est aujourd’hui attentif, peut-être plus qu’hier, à nouer le vivre et l’écrire pour faire que la vie soit vraiment "habitante". Car habiter (exister) n’est pas simplement vivre. Il nous faut des livres et des lettres pour nous arracher à l’enfermement dans le cycle répétitif des processus vitaux, pour inscrire notre habitation dans un monde commun plus durable que la simple vie. Mais pas n’importe quels livres : des livres qui fassent signe à la vie et non des livres morts-nés ». Les livres de Cixous sont, pleinement, des livres qui font signe à la vie.

« Écrire […] avec son corps, depuis son corps, à même son corps » – ce que fait Cixous – exige de ne pas « faire l’impasse sur ce qui borde le langage, sur ce qui se tient avant lui, hors de lui. Car si, en un sens, tout est texte, si le textuel traverse toutes les dimensions du réel, c’est au prix d’accueillir en lui les bruissements du liminal, les énergies préverbales, les vibrations de l’être, de l’animal, du végétal, de l’inorganique. Le hors-mot n’est pas relevé par le textuel, ne se voit pas racheté, converti au verbe mais conserve son altérité à même son dire. » En témoigne le bestiaire peuplant l’œuvre de Cixous, qui n’est pas l’objet de son écriture mais sa force motrice.

Ainsi en est-il de l’écureuil trouvé en octobre 1964, à la frontière de la mort, dans le Washington Square, qui va précipiter le déclenchement de Tombe. γχιϐασην : « marche pour s’approcher » (fragment DK B121 de Héraclite, cité et traduit par Simone Weil, in La Source grecque, Paris, Gallimard, 1953). Cixous se place dans une posture d’écoute qui rappelle autant Duras (face à la mouche d’Écrire) que Hölderlin, qui écrira, ayant, intensément désolé, cueilli par le regard la mort d’un écureuil : « Es tut dem Herzen so weh, wenn etwas in der Natur untergeht ! ».

« L’écureuil curieux "cure-œil" attise la lancée de l’écriture, commente Véronique Bergen. Figure du revenant, du "déjoueur des verdicts", il revient courir dans les livres de Cixous ». Ainsi,Ciguë ordonne sa tombe : « [L]a figure de L’Écureuil […] vit partout dans mes livres et cela depuis L’Écureuil Premier, le demi-écureuil, celui dont l’esprit hante Tombe (où je le déposai) ou bien sur lequel Tombe, le livre, veille c’est selon, depuis des dizaines d’années […] » (Ciguë, vieilles femmes en fleurs, Paris, Galilée, « Lignes fictives », 2008).

Écrire, pour Cixous, c’est un mouvement sans cesse recommencé qui cherche à saisir ou à entourer, dans son avancée, dans son détour (nostos) sans cesse reconduit, cela même (celui-là même) qui s’est évanoui, qui s’est enfui, qui s’est enfoui, et qui, de facto, ne peut (plus) être saisi. C’est un mouvement de vie, de vivant, – un mouvement emporté par l’amour ; un mouvement que l’amour rend possible et même nécessaire.

« Toujours déjà là, écrit avec justesse Véronique Bergen, les mots nous précèdent, nous hantent, nous terrassent, choisissant leurs hôtes, élisant ceux qui les abriteront, leur donneront de nouvelles naissances. Jamais vraiment là, les mots se défilent, viennent à la place d’un autre, creusent une absence que rien ne résorbe, tournent autour d’un vide, comblent la perte qu’ils perdent à nouveau. Qui touche à la langue touche à l’infini ». Qui s’engage à « vivrécrire », qui fait de récrire un vivre est voué à un phraser qui ne finira jamais, dès lors que, comme le professe Cixous, « il n’y a pas de dernier mot ».

« Peindre », écrit Béatrice Bonhomme dans « Bonnefoy et Assar ou le geste d’une offrande » (in Mémoire et chemins vers le monde, Colomars, Éditions Mélis, « Collection Littératures », 2008) – et l’on peut dire la même chose de l’écriture telle que la conçoit Cixous –, « c’est apprendre à aimer et à vivre. C’est la compassion qui accède à une vérité fondamentale, ontologique. L’œuvre est une question, une réponse, une vie. »

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rédaction

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