[Recherhe] Meccano, sans mode d'emploi [2 : D’une écriture de la fin du sujet]

[Recherhe] Meccano, sans mode d’emploi [2 : D’une écriture de la fin du sujet]

juin 23, 2009
in Category: recherches, UNE
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  [Deuxième partie de la publication de Meccano, sans mode d’emploi. La première version de ce texte a été publié initialement dans Fusées n°7, 2003.]

Méthodologie : compréhension génétique de l’écriture
Se poser la question d’une possible théorie de l’écriture = question d’emblée caduque, si on pense que cette théorie est la mise en lumière de la vérité de l’écriture ; si on croit que d’un cas possible de compréhension de l’écriture, on peut passer au cas de l’écriture. Lire implique qu’il n’y ait jamais l’écriture, mais toujours la rencontre d’une écriture, d’un singulier infiniment variant par lui-même, et donc des croisements, segmentations, télescopages entre des écritures, telles qu’elles se déploient dans l’immanence de pratiques singulières.
Poser l’écriture serait ainsi réfléchir sur la consistance abstraite et générale d’une vérité qui transcenderait les différences, qui impliquerait une identification du non-identique des postures-textures-directions distinctes. Jamais nous ne faisons face à l’écriture, sorte d’avatar philosophique d’un idéalisme passé.
L’ « l » de l’écriture : un compte-pour-un qui dans son opération sacrifierait le seul sens d’être de cet un : de ne se présenter que dans l’excès de son événement qui tient à la multiplicité des écritures. Si la notion de l’écriture est bien transcendantale, comme intuition d’une condition de possibilité générale de toute écriture, toutefois, ce transcendantal n’est ni indicatif, ni normatif. Ni indicatif, car il est purement formel, il n’enveloppe aucune loi a priori déterminant la valeur d’une écriture singulière. Ni normatif car il ne peut fournir les critères de jugement pour déterminer une écriture. Tout usage d’un tel transcendantal du point de vue indicatif ou normatif repose sur une inversion du rapport cause à effet, comme l’avait parfaitement souligné Nietzsche à propos de la formation de concepts devenant principe de discrimination du réel. L’écriture n’est pas antérieure et absolue par rapport aux écritures concrètes, mais elle est le résultat d’une abstraction, polarisation d’une écriture en tant que critère pour toute autre écriture.
Quand on observe les écrits, seules apparaissent des lignes singulières de productions reliées au vécu de sens d’une subjectivité. L’écriture comme l’art ne sont que des avatars conceptuels nés d’une réduction à une identité, d’un travail d’évidement de l’hétérogénéité. Cette précision méthodologique n’est pas anodine, à l’heure où en philosophie et chez de nombreux critiques encore trop de prêches se focalisent sur la possibilité de démêler des entreprises multiples — qui constituent le plan de consistance de la littérature et de la poésie — la vérité de l’acte d’écrire. Vérité parfois implicitement intimée par les superlatifs qui encombrent la glose lorsque l’on parle de tel poète ou tel artiste [1]Ainsi est-il fort courant y compris chez les critiques qui se piquent de défendre les avant-gardes, de voir le leïtmotiv « le plus + qualificatif » venir déterminer tel texte ou telle entreprise. Le superlatif au niveau de l’analyse et de la chronique apparaît toujours comme l’axe qui impose une sorte de vérité reliée à une transcendance, car le superlatif tient à la concordance entre d’un côté une pratique singulière et de l’autre une qualité qui est d’un coup substantialisée, autonomisée et posée comme finalité nécessaire pour la pratique de la singularité. . Ceci afin de constituer selon l’ordre critique de leurs propres principes, la hiérarchie des écrivains et de là, remettre selon ses valeurs les titres d’honneur aux augustes représentant de vérités constituées a priori par rapport à l’acte d’écrire [lire est alors la question d’un choix personnel qui implique notre propre rapport au monde et son interprétation].
Méthodologiquement, nous devons constituer les lignes de fait de chaque écriture et percevoir comment elles permettent de percevoir la genèse de celle-ci [il ne s’agit pas de tomber dans un relativisme, mais de comprendre ce qui enclenche chaque ligne d’écriture, et quel est notre rapport à elle au vue des critères qui définissent notre lecture et notre écriture]. Il s’agit donc de réfléchir, il me semble, sur la production des écritures, et en quel sens peut se constituer un jugement sur ces productions. Ce jugement ne dépendra pas de principes transcendantaux seulement, mais sera impliqué par chaque écriture considérée et son intégration au temps et au lieu qui sont les nôtres. Ce qui accomplit la force d’une écriture n’est pas sa correspondance et sa réclusion à des critères a priori, ce qui la renverrait à n’être qu’une mimésis et un acte de production obéissant à un modèle abstrait (dont bien souvent les philosophes se prennent pour les détenteurs), mais sa production immanente de critères dans l’acte même de son dépliement relié à une époque, et à ce qu’elle garde-vivant en mémoire.
Tel que l’avais analysé Jacques Derrida, dans La dissémination, à propos d’un poème de Mallarmé, une écriture se donne comme le mime de soi. Mime paradoxal, au sens où il s’agit de mimer ce qui n’est pas encore donné, à savoir d’imiter sa propre indétermination, sa propre ouverture : "Nous sommes devant une mimique qui n’imie rien, devant, si l’on peut dire, un double qui ne redouble aucun simple, que rien ne prévient, rien qui ne soit en tout cas déjà un double". Chaque écriture est ainsi suspendue à son propre devenir. Donc soit une ligne de fait de l’écriture (celle à chaque fois singulière d’une pratique qui rend impossible toute vérité de l’écriture), soit la ligne de fait d’une écriture (celle-ci se démultipliant infiniment tout au long de son devenir).
Ce que je propose c’est l’analyse de ce complexe relationnel où se croisent et s’influencent, se rencontrent et se répondent, une pratique reliée au sujet et d’autre part un monde.
Toute entreprise d’écriture qui se refuse à ce complexe relationnel, qui se destine sans cette mise en question du rapport d’incidence, de contamination, d’interaction, d’effraction, d’interception, ne pourra prétendre correspondre et interroger une époque, mais restera toujours comme la ligne de produits consommables au sens où nulle interrogation du monde dans lequel elle se déploie ne sera effectuée [le produit consommable se détermine en tant que c’est sa finalité utilitaire qui domine la relation que nous avons à lui, et non pas la multiplicité de sa réalité. Un produit consommable peut aussi bien être un livre permettant de se distinguer (par exemple une référence symbolique pour un universitaire), qu’un livre permetant d’adhérer à un groupe ou bien à une actualité (par exemple les livre issus des prix, ou bien attachés à la mode du nom d’un écrivain, comme cela se voit chaque automne avec la rentrée littéraire)]. Je ne conçois pas une pratique d’écriture qui ne serait pas réflexive par rapport au lieu et au temps où elle se constitue. Les produits littéraires consommables selon un consumérisme de masse sont des aliments aseptisés qui se digèrent facilement. [Les écritures qui me font de l’effet sont lourdes, rugueuses et souvent acides, indigérables, car n’obéissant pas à une logique pouvant en régler la présence a priori, car se refusant par leur dureté à toute économie préalable. Bien plus ces écritures imposent d’inventer à chaque fois une forme d’économie relationnelle, aussi bien cognitivement qu’affectivement.] Les produits consommables ne sont pas seulement grand public, ce n’est pas ce qui les définit. Même si ce qui est avancé par l’espace publicitaire fait bien évidemment parti de l’hyper-consommable. Le consommable peut très bien apparaître dans une oeuvre dite d’avant-garde, dès lors que cette œuvre ou cette écriture n’est pas dans l’empiètement réciproque avec le monde et ses structures, ses appareils d’Etat, ses réseaux économiques ou encore ses logiques de communication, mais se cache derrière des substituts au livre donnant gage de cette écriture-là.
La théoria consécutive de ses remarques n’est pas alors la prise en vue d’une essence de l’écriture, elle ne cherche pas le fondement de la chose « poésie », mais elle est le regard qui se dirige vers la production matérielle de signes et qui se constitue toujours comme krisis, ouverture, béance dans le champ homogène d’une réalité qui se donne sans profondeur, sans soubassement, sans fondation visible. Elle interroge l’expérience à partir de laquelle on peut penser l’émergence du poétique. Ce n’est pas l’être de la chose qui est recherché, mais ce qui en tant que rapport/relation aux réalités du monde et aux hommes, caractérise la chose. La théoria est ainsi tranchante, acte opératoire dans l’enchevêtrement des signes qui constitue le monde, et ceci par une langue à chaque fois particulière. Ce qui détermine mon rapport à la littérature, écriture + lecture, n’est pas alors historique, mais généalogique. N’est pas non plus culturel, au sens où Blanchot définit la culture dans L’entretien infini. Ni identifiable à une dialectique au sens de Hegel qui aurait pour sens de faire sortir la vérité de l’écriture, ni à la lettre morte des textes rangés dans la machine à homogénéiser de la culture, dans son usinage médiatique en temps réel. [— Donc je reconnais que mes lectures ne sont pas exhaustives, que mes choix sont subjectifs, que ma prise en vue de la littérature est fragmentaire, faite d’ombres, de noms sans œuvres, d’œuvres égarées, parfois d’agrégats disparates de dates, d’événements qui confinent à la confusion].

La question du sujet
Guy Scarpetta remarquait lors d’une table ronde sur la littérature [2]Cité-philo novembre 2001., et ceci avec une certaine pertinence, que l’écriture depuis les années 80 s’est refermée sur la détermination du sujet, qu’elle a quitté le grand récit en France, pour poser l’egofiction révélante. Écriture de soi, egoscripture, écriture sur soi à même sa propre existence. Pour une part, il a raison, même s’il réduit le champ des pratiques actuelles. Toutefois malgré cette acuité, il paraît manquer la véritable question de la subjectivité liée à la pratique de l’écriture. Elle n’est pas celle du rapport circulaire à soi, mais davantage celle de la consistance du sujet dans l’écriture, ce qui est dit du sujet de l’écriture = la question de l’egoscriture. L’existence qui ne cesse d’être déportée de soi, se donnant dans l’immanence de ses variations multiples, est ressaisie d’une manière ou d’une autre dans le sujet écrit, déposé. La question qui s’impose, pour une théorie des variations des productions littéraires, est celle du sujet qui en creux, toujours par derrière s’écrit, se définit, se démarque, dans l’écriture elle-même, constituant par là le sujet de l’écriture (ce sur quoi il y a écriture). Si une écriture est d’abord à observer généalogiquement et non pas historiquement (dialectiquement) ou culturellement (moment neutrali(s)sé dans une structure/archivage où l’affect a été évacué), alors il est nécessaire de mettre en évidence ce qui la compose, en est la genèse : une subjectivité immanente [3]Prendre en vue l’écriture s’est assisté au processus de subjectivation de celui qui a écrit, et non pas selon une unité — ce qui serait vouloir tendre vers une certaine vérité, soit de l’œuvre soit de l’auteur — mais selon les transversalités qui agencent les rapports entre œuvre, auteur, lecteur, monde., une subjectivité immergée dans le flux de sa vie. La prééminence du sujet est évidente dans les écritures synthétisées sous les étiquettes divers : d’avant-garde, de modernes, d’expérimentaux, et même d’illisibles. Et ceci du début du siècle en passant par les années soixante-soixante-dix jusqu’à celles de la fin du XXème siècle. Le sujet est celui qui, et en cela pour une part la modernité a tout à fait raison, est happé, attiré, machiné par les mécanismes technologiques et linguistiques qui agencent et ordonnent l’espace inter-subjectif, qui contrôlent et maîtrisent les moyens d’expression possible. Écriture alors, qui témoigne de la violence faite au sujet [4] Cf. mon article : Violence et littératures, Le Philosophoire, 2001. Déjà dès le XIXème siècle de Baudelaire à Nietzsche, c’est de cela qu’il s’agit mais vu dans son déclin, comme le soir qui se couche. Déjà, c’est-à-dire : encore maintenant. Mais aussi différemment. Comme si le matin survenant après ce soir du XIXème n’était rien d’autre que ce qui s’est dévoilé dans la nuit. De toute évidence, force est de constater que la posture du sujet dans la production générale des œuvres littéraires qui m’occupe ici en creux, n’a que très peu changé depuis les années 1910-1920. Même si leurs motifs ne sont pas identiques, même si leur matérialité a changé, ils se font cependant échos, entrent parfois en incidence, coïncidence.
C’est cette constante que je veux mettre en question : celle qui se trame dans l’opposition entre réel et réalité, entre le sujet et l’élan coercitif de la communauté. Qu’est-ce qui se cache dans cette définition du sujet ? À lire les textes qui actuellement sont produits, je remarque que la question de la subjectivité écrivante n’est que très rarement posée [5] Chloé Delaume apparaît ici comme celle qui traduit avec pertinence cette préoccupation, au sens où dans chacun de ses textes (Le cri du sablier, Corpus simsi, Certainement pas), elle pose avec insistance la question du rapport entre d’un côté l’effacée de celle qui écrit et le personnage écrit qui s’appelle lui-même Chloé Delaume. Elle travaille ainsi sur la fictionnalisation de sa propre subjectivité et sur les rapports de déplacement qui s’opèrent dans ce processus. De même, Christophe Fiat, dans Bienvenus à Sexpol a réfléchi à ce rapport, à partir de la question du clonage littéraire (cf. partie de Meccano à venir : La poésie au galop). Ce qui différencie leur questionnement de très, trop, nombreux autres approches, c’est que loin de poser seulement des questions factuelles ou psychologiques, ils interrogent la question de l’intentionnalité.. La subjectivité s’impose, effaçant sa mise en question. Ce qui est interrogé d’abord et avant tout c’est l’aliénation du sujet, et ceci dans l’horizon d’analyses philosophiques du monde. Le sujet, et ceci semble être une évidence, est violé, décomposé par les vectorialités intentionnelles des machines communautaires reliées à la logique du Kapital. Évidence, certes, mais évidence aussi à mettre en question. Qui est ce sujet qui s’écarte et se démarque des entreprises de captation ? Est-il celui, qui en dessous, en marge de la réalité déployée autour de lui, est l’indemne ? Y a-t-il par derrière des entreprises d’asservissement communautaire, une négativité du singulier qui serait inaliénée car fondamentalement inaliénable ?
C’est ce que laisse penser un certain nombre d’écrivains, qui pose l’écriture comme acte de mise à distance de cette réalité afin de déployer le réel de cette singularité — le négatif de la réalité — qui par-delà les agencements où l’on voudrait la contenir, est posée comme sauve. Or, et là je me pose en critique par rapport à cette évidence ontologique de la constitution de la subjectivité, il apparaît que cette définition de soi repose sur l’illusion quasi-métaphysique et donc spiritualiste, que la subjectivité aurait une vérité en-dehors des agencements matériels dans laquelle elle est imbriquée. Illusion de l’authenticité, illusion d’un noyau singulier que l’on pourrait poser comme identité de soi, dépouillée des strates qui se sont constituées en elle à partir des déterminations empiriques du monde. Cette erreur de vue est apparue aussi bien dans la philosophie métaphysique occidentale que dans les recherches de certaines avant-gardes, que ce soit Hugo Ball ou Artaud. C’est l’illusion de l’empire dans l’empire, de la possibilité du sujet pur, de la conscience nue [6] Ce sauf, cet indemne, toutefois il faut le définir selon ses deux versants possibles : soit spirituellement, ce que l’on retrouve dans certaines poésies lyriques, voire religieuses ; soit selon un primat originel du corps, ce qui marque davantage — comme nous allons l’analyser dans la première partie — les recherches des avant-gardes, même si une forme de sacralité peut apparaître, comme cela ressort parfaitement aussi bien de Bataille à Jean-Paul Michel.. Le langage étant alors la ligne de fracture entre cette chair-là et ce monde-là. Le langage étant la trace d’un divorce entre la négativité du singulier et la positivité pantelante et aliénante de la réalité. Lorsque je dis qu’il s’agit d’une illusion quasi-métaphyique, c’est au sens où elle est liée à la formation traditionnelle du sujet en tant qu’il serait autre chose que ce qui est lié à une époque et à ses compositions sociales, économiques, techniques et culturelles. Autre chose, à savoir qu’il pourrait être défini purement et simplement comme autonome [la loi de cette autonomie, étant le principe même alors d’où souffle l’écriture, la pensée, et par conséquent sa résistance].
Par derrière, on le sent, il y a toute une métaphysique de la liberté. Le sujet pourrait être pour lui-même le lieu d’un nomos extra-époqual, ou encore dans les cas extrêmes trans-époqual. Non, le sujet n’est pas une réalité autonome, l’ensemble des recherches neuro-linguistiques en témoigne (cf. Antonio Damasio), de même que les dernières recherches phénoménologiques sur la constitution de la subjectivité[7] Cf. Merleau-Ponty dans Sens et non-sens, qui met en critique aussi bien d’un côté le fait que l’homme ne soit qu’une conscience constituante (donc séparé de toute forme de déterminisme le constituant empiriquement) et de l’autre l’homme en tant que conscience purement constitué (ce qui rendrait totalement impossible à comprendre en quel sens il y a par sa présence un incommensurable de l’action et donc la possibilité de l’événement).. Réalité immanente à comprendre dans l’ordre d’une composition matérielle, il n’est rien de moins que l’indemne. Il est le composite d’une époque, la production à chaque fois singulière suivant les déterminations de ses connexions au monde, d’une intentionnalité. Il est en cela tout à la fois particpé et participant de ce monde. Ceci ressort parfaitement à mon sens de deux expériences d’écriture qui me paraissent importantes et sur lesquelles je reviendrai : Charles Pennequin notamment dans Dedans, Bibi ou Pas de tombeau pour Mesrine et Anne-James Chaton et la suite de ses Evénements 99. Deux démarches distinctes formellement et au niveau du déploiement du contenu, qui cependant se recoupent sur cette question : la disparition du sujet, sa dissolution en tant qu’identité. Ces deux écritures sonnent le glas de la vérité de l’ipséité pensée aussi bien par Blanchot dans Le pas au-delà que par Ricoeur dans Soi-même comme un autre, qui font partie des derniers représentants de la métaphysique du sujet excentré ontologiquement de l’ordre des connexions matériels du monde. Anne-James Chaton présente, par exemple, la fin de la dichotomie entre le propre et l’impropre, la fin de la possibilité de penser le sujet en-dehors des interactions matérielles, au sens où les événements posent la subjectivité comme production matérielle de connexions dans le plan de consistance intersubjectif de cette époque. L’événement est ainsi le non-évenement de cette composition. Loin d’être seulement pop ou techno, comme je peux l’entendre, et même s’il est dans la répétition d’une forme qui ne parvient pas à se transformer depuis dix ans, Anne-James Chaton présente la tentative d’une écriture où la question de la subjectivité est prise en charge, ce qui se constate par ailleurs dans ses recherches sur Marx. La subjectivité n’est plus réactive, posant la violence d’une réalité venant souiller son identité, mais elle est le résultat d’un agencement qui prend sa consistance à partir de la réalité symbolique et matérielle du monde. Elle est le singulier d’une mise en mouvement de cette réalité. Elle est donc éclatée, entre d’un côté les processus de ritournelle qui rythment le sens de la réalité intersubjective et de l’autre l’ordre de répétition toujours singulier de la production d’un vécu de sens qui n’est aucunement extérieur ou hétérogène aux productions de codes qui pullulent dans le monde. La subjectivité est ainsi l’hétérogénéité prise en charge d’un monde qui se constitue par l’entrecroisement d’une multiplicité phénoménale de strates de sens et de signifiants que l’on ne peut réduire à un principe d’identité.
Charles Pennequin, autrement qu’Anne-James Chaton, pose cet éclatement et cet éparpillement de la subjectivité. Chez lui ne persiste plus du tout d’indemne. À aucun moment on verra poindre dans ses textes la possibilité de réifier une identité de soi. L’homme est schizophrène, la personne est un agrégat de productions diverses qui lui sont imposées [ — « On voudrait faire la lumière en soi. On voudrait être en vrai. Ne serait-ce qu’un moment ».]. S’il témoigne d’une violence faite à son encontre, celle-ci n’est pas là pour en abîme faire ressortir une part maudite qui serait sauve, mais bien au contraire il montre dans sa langue tournante, post-steinienne ou beckettienne, en quel sens justement il n’y a rien d’autre que cela, rien d’autre que ce patchwork aliénant de soi au monde. Dès lors écrire exige de correspondre à une époque qui nécessite de renoncer à l’illusion de l’absolutisation de la subjectivité en tant qu’elle serait dépositaire d’une vérité détachée de toute époqualité, ce qui exige consécutivement un examen approfondi des logiques de production de sens et de signifiants fondamentalement hétérogènes au niveau du monde. Consécutivement, il est nécessaire de considérer que tout retrait de la part de la subjectivité, toute forme de résistance à son intégration dans la temporalité mondaine, toute recherche de destruction de son emprise, entre autres par la recherche idiolectale, doit être réfléchie du point de vue de cet entrelacement au monde duquel il s’écarte, doit être pensée comme le vécu de sens représenté et posé en horizon pour une singularité qui se détermine toujours déjà seulement dans et par la matérialité historique d’une époque.

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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1 comment

  1. jacques

    Le rapport du double et du mime / du double qui n’en est en fin de compte pas un puisque, comme le dit Derrida que tu cites, « nous sommes devant une mimique qui n’imite rien », fait écho à mon texte « écrire en marionnettes selon Kleist » (in Machine-manifeste).
    Je pense en effet comme toi que c’est un point de départ capital concernant les questions du réel et de la subjectivité.

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