[Livre] Lettre de François Rannou à André Marcowicz à propos de L'Appartement

[Livre] Lettre de François Rannou à André Marcowicz à propos de L’Appartement

avril 12, 2018
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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[Livre] Lettre de François Rannou à André Marcowicz à propos de L’Appartement

André Marcowicz, L’Appartement, photographies de Bérangère Jannelle, éditions Inculte/Dernière Marge, mars 2018, 157 pages, 16,90 €, ISBN : 979-10-95086-67-3.

 

Cher André,

 

terminé de lire ton "Appartement" et voici :

d’abord je ne connais pas ton travail de traducteur, je veux dire, il faudrait ne pas connaître ton travail de traducteur…

parce que tu en parles, tu nous dis que tu traduis bien sûr mais c’est une traduction bien plus essentielle et ombreuse qui est en jeuet là évidemment je pense aussi à une sorte d’être humain seul qui traduirait pour lui, pour exister, pour ne pas perdre pied, personne ne le saurait et c’est un peu au fond comme si ton travail visible, audible, il faisait comprendre aussi tout cet impossible à dire et à vivre qui se tapit sous tes voix… alors je comprends mieux…

Oui, à la fin, tu traduis la voix de cette femme qui vivait dans cet appartement que tu as voulu racheter à Pétersbourg… tu traduis "sa" voix… mais surtout c’est en français une belle voix, qu’on entend : récit, en vers, décasyllabe (plus vieux vers), une épopée, intime, et ça tourne autour du 10, et c’est remué, brinquebalé par ce qui pousse sous la langue, fait que l’accentuation de ta voix dans la voix essaie de se forger un rythme et puis c’est une longue phrase, seule longue phrase infinie, ça veut dire que ta phrase dans l’absolu, elle ne peut pas s’achever, elle continue à vivre une fois le livre fini, c’est une parole qui dit, pense, médite, songe, reprend, s’oublie, s’épanouit, s’écoule, se vivifie, se retrouve dans le puits de toute parole…

Et c’est la confluence (j’aime ce mot tu sais bien, Quimper, lieu de confluence, et qu’un père, moi qui en ai eu deux sans en avoir aucun) de ton russe, dont tu as reconnu toi-même l’héritage et de ta langue française travaillée par ça… et ça revivifie et ouvre la poésie française à ce qu’elle ne sait pas, comme si le passé et le plus extrême vivant du monde et de soi se trouvaient réunis l’air de rien, parce que l’air qu’on respire, on ne sait jamais qu’on le respire : il est là et on vit…

 

Et les voix des autres sont aussi ta voix, le poème des autres est aussi ton poème…

Je te lis et je vois tes gestes et l’appartement et ton ami oublié, comment vous vous êtes perdus, l’un l’autre, et le temps qui passe et se resserre, oui, tout cela sans pathos avec une sorte de confession libre pour mieux prendre une photo de sa vie mais une photo mouvante et sans maîtrise…

Alors même qu’on voudrait cette maîtrise, on voudrait comprendre mais il n’y a rien à comprendre…

 

Il y a des moments comme ça où la lumière est plus forte et crue, alors ton livre comme une respiration bienvenue,

m’accompagnant comme présence amicale et forte,

François Rannou

 

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rédaction

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