Jacques Jouet, Bodo, P.O.L, août 2009, 368 pages, 19,90 €, ISBN : 978-2-84682-337-1.
Après ce long poème biographique que constituait MRM (POL, 2008), Jacques Jouet (1947) nous prend à contre-pied avec cette fresque haute en couleur qui pose le problème des interrelations entre roman et réflexion.
Présentation éditoriale
"« J’ai écrit Bodo après une bonne dizaine de voyages ou séjours de travail (des chantiers de théâtre) en Afrique : Bénin, Burkina Faso, Niger, Afrique du Sud, Namibie, Madagascar, Côte d’Ivoire.
Plus qu’ailleurs, je me suis toujours senti – non pas chez moi, oh la la, surtout pas ! – mais dans mon élément, en Afrique.
C’est quoi, mon élément ?
La langue française, quelles qu’en soient les raisons, y est active. Les hommes y jouissent et y souffrent à peine différemment qu’ici. Je suis un voyageur qui cherche à voir les ressemblances.
Pour lire Bodo, il y a des choses à savoir que, d’ailleurs, on apprend en lisant le roman :
– que le wassan kara est une fête théâtrale dans la population haoussa de Zinder, au Niger. Une sorte de carnaval. Il s’agit de représenter les événements politiques, avec les personnalités officielles du moment en les faisant jouer par des monsieur-tout-le-monde qui en sont les sosies. C’est ainsi qu’un colonisé tint le rôle de Baudot le colon, à la fin des années quarante et qu’il lui prit son nom, de la même façon que celui qui joue Kadhafi, on l’appellera toute sa vie Khadafi.
– que Baudot le colon est, aujourd’hui au Niger, une figure quasi mythologique, à cause d’un grand poème du griot Dan Alalo, dont le texte est traduit au coeur du roman
– que de Gaulle, en 1958, a volé aux nigériens l’expression du « non » au referendum qui risquait fort d’être majoritaire.
Le roman promène son miroir stendhalien au milieu de personnages et de lieux africains, dans cette période charnière de la deuxième moitié du XXe siècle : l’administration coloniale française, ébranlée, divisée, par la défaite de 40 et la guerre ; les guerres coloniales (on fait un crochet par la guerre d’Indochine) et la décolonisation apparente ; les débuts difficiles de l’indépendance.
Baudot aura été le colon de Bodo, lui transmettant son nom et une certaine idée de ce qu’est le travail. Bodo le père transmet aussi des choses à Bodo le fils et Bodo le fils à Bodo le fils-fils.
Et puis, importance égale, les femmes aussi transmettent. »
À quoi nous ajouterons que, outre la profonde et communicative empathie pour l’Afrique et les Africains qui se dégage de ce roman basé sur des faits réels, il convient d’en souligner le caractère foisonnant, drôle, imprévisible : éminemment romanesque, justement, et ample au point d’atteindre à la fresque. "
Bodo : roman et réflexion
Ce roman "documenté, parfois documentaire" (p. 14) – dont son auteur s’empresse de préciser qu’il n’est pas oulipien – est à la fois un hymne à l’Afrique noire (au "grand Niger, le fleuve sérieux et plurinational", au Fouta Djalon, à la culture indigène) et une polyphonie qui intègre documents certifiés authentiques et notes administratives ("Règle numéro un de l’administration, tout fut écrit, chez les colons"), notice biographique, dialogues dramatiques ou chants, pour dénoncer cette violence symbolique (au sens où l’entend Bourdieu : à la fois sociale et politique, donc) qu’est l’idéologie coloniale. À l’orée du texte, la critique se fait diatribe : " en dépit de l’image apocalyptique qu’on en donne si souvent dans nos pays du Nord dégoulinants de peurs, de suffisance même pas lucide, de caritatisme et, au fond, de mépris – la France au premier rang, qui aura tellement cultivé le mensonge sur le sujet de ses conquêtes, de ses gouvernances et de son prétendu consentement aux indépendances -, l’Afrique est un continent vivable et plein d’avenir " (13). Par un subtil effet de construction, on retrouve ce mépris dans la note de la page 313, qui met en regard le passé colonial et la position actuelle de la France : le récent discours du Président de la République (Dakar, 26 juillet 2006) n’est-il pas empreint d’une condescendance post-coloniale, signe que l’ex-pays colonisateur entend demeurer le dominant ?
Mais ce texte propose une autre réflexion, non plus sur la situation de l’Afrique, mais sur le roman lui-même. Prenant acte de l’usure d’un terme revendiqué par les dernières avant-gardes historiques pour son indétermination, Jacques Jouet emboîte le pas à Lakis Proguidis pour redorer le blason du roman : « le terme de "fiction" partagé par le cinéma, le rêve, la rêverie, le théâtre, le désir, la monnaie, le feuilleton télévisé, la politique, la mythomanie, l’autobiographie ou le mensonge ordinaires (liste non close)… [est] impropre à chapeauter le terrain romanesque et ses constructions. Seul le terme "roman" nomme les romans » (13). Ici encore, le texte parachève le paratexte, cette fois pour nous faire entrevoir la forme que prend pour l’écrivain le roman expérimental : « je reviens de voyage, "je", c’est moi, romancier. Je connais bien la femme que je vais retrouver. Je peux donc prévoir très exactement ce qui va se passer. J’écris préalablement ce qui va se passer, dans les moindres détails, dans le plus fouillé des dialogues. Je cachette l’enveloppe dans laquelle je glisse cette rédaction. Les choses, ensuite, se passent dans le vrai concret de la vie. Choses, que je rédige aussi, dans un deuxième temps, le plus précisément que je peux. Je confronte les deux textes et commente » (249).
Clignant du côté d’un personnage éponyme que les lecteurs de Jouet connaissent bien (cf. La République de Mek-Ouyes et Mek-Ouyes amoureux, POL, 2001 et 2006) et faisant miroiter un "conte de la théorie du conte" comme un "conte de la critique inspirée du conte" (243), ce roman est également réflexif au sens où il offre un jeu de miroirs entre Bodo et Baudot, Histoire et histoires, documentaire et fiction, réalité et représentation, France et Afrique, dominant et dominé, Noir et Blanc, drame et drôlerie… Preuve que les choses ne sont jamais si simples qu’on ne le croit : si la "faute originelle" des Blancs, c’est "d’être venus là où ils n’étaient pas invités" (144), le Noir Bodo, lui, n’est "pas tout blanc, dans cette affaire" (194)… Réflexion au passage : "je donne des capitales à Noir et à Blanc lorsque Blanc et Noir sont des substantifs désignant des personnes de couleur (toutes les personnes sont de couleur). C’est aujourd’hui la coutume typographique […]. Je dois reconnaître qu’avec capitales, c’est mieux lisible, le Noir, le Blanc, pas d’ambiguïté entre le personnage et la simple couleur, mais cela engage une fixité fatale, une caractérisation dominante et définitive qui me gêne aux entournures" (37).
On terminera par deux exemples qui illustrent l’entre-deux tonal : au pays de la sécheresse, on arbore parapluie pour faire venir la pluie ; et surtout cette scène inouïe (108-110), dans laquelle Bodo se laisse piéger par un Peul qui lui délivre comme remède à la faim un piment d’homme , de sorte que cette dupe ne trouve rien de mieux pour soulager son feu intérieur que de sauver une petite fille d’un incendie, tout en faisant crépiter les flammes de sa semence…
Au fait, prenant acte d’une mutation majeure (désormais les trois quarts du lectorat sont féminins), le romancier enjoué ne s’adresse plus au traditionnel lecteur, mais à la lectrice…
tout d’abord j’ai beaucoup d’estime pour tous ce qui ont encore une nonce de respect pour l’Afrique car ceci est devenu chose rare venant de l’occident empêtré dans les mécanismes du néocolonialisme oh j’allais dire du colonialisme durable.
j’ai aimé votre manière de presenter l’afrique telle que vue par l’occident tout en restant dans le jeu et la coloration imposés par la plume romanesque.
votre livre à coup sur guidera quelques jets de mon encre avant la sortie du livre que j’écris en ce moment.