[Chronique] Paris Algérie et retour (à propos de Guyotat, Idiotie), par Jean-Paul Gavard-Perret

[Chronique] Paris Algérie et retour (à propos de Guyotat, Idiotie), par Jean-Paul Gavard-Perret

septembre 20, 2018
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[Chronique] Paris Algérie et retour (à propos de Guyotat, Idiotie), par Jean-Paul Gavard-Perret

Pierre Guyotat, Idiotie, Grasset, septembre 2018, 256 pages, 19 €, ISBN : 978-2-246-86287-1.

L’idiotie… Celle dont on est frappé devant l’horreur ; celle qu’il faut conquérir par et dans l’écriture.

De retour d’Algérie après la guerre, que reste-t-il d’autre à faire que de vivre par-devers la ruine dans l’attente de la joie que donne le livre ? Celui-ci accompagne l’auteur sur la pente de l’arrivée à Paris puis après la guerre d’Algérie dans la même cité. En jaillit une vraie poésie sans oublier les grillons tapageurs qui sauront gré à l’auteur de cette force laissée au hasard.

Plutôt que de vivre recroquevillé, Guyotat vit alors pour garder quelque chose d’une minute fraternelle par delà les doutes et la contradiction. Son texte dans sa traverse du temps devient l’espace d’un pur instant mais où la « saleté » du monde n’est en rien ignorée.

Un demi-siècle après Tombeau pour cinq cent mille soldats (1967), le corps imprime une fois de plus le livre de celui qui est hanté par la guerre. Son écoulement de 1959 à 1962 charrie la saleté, la misère, le sang de cet anachorète qui se nourrit d’huile et de pain. Il y a là le bruit et la fureur dans l’ivresse et la sidération d’un flux radical et poétique à la force extrême. La littérature atteint une sorte de « pureté » (au sens ou Artaud l’entendait) par le sens de la scission au sein même du voyeurisme.

A partir des phrases inscrites avec ténacité, l’auteur conduit avec puissance une langue qui n’en a jamais fini de ressasser les mêmes questions avec les mêmes mots. Mais ici les filaments noirs sortent des idées confuses comme de la peur hagarde. Ils espèrent pouvoir dire ce que l’auteur n’espérait pas – ou plus. Ce qui persiste tient tête à la vie.

Un extrait

« Je n’ose les regarder, de peur que, penchant la tête, mon crâne, mes cheveux, ne prennent un rai de lune ; le fusil bringuebalant à l’épaule, les mains noircies – du sang sous les ongles, du sang entre les doigts ? – s’appliquent aux deux seins, découverts, la tête du jeune homme frotte celle de la femme, sa bouche prend la sienne, bruit de baiser, de salives mêlées, aspirées… […] qu’il me voie, me tuerait-il, comme il tue des « Arabes », de jour, de nuit : au moins me mettrait-il en joue pour m’éprouver, se prouver que le contingent de métropolitains n’a pas défendu ses semblables, Français d’Algérie ? […] L’enfant, dont la salive de la mère mélangée de la semence du père… où naîtra-t-il, s’il naît ? de ce côté de la mer ou de l’autre ? » (p. 108-109).

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rédaction

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