[Chronique] Patrick Le Boeuf dir., <em><strong>CRAIG et la marionnette</em></strong>

[Chronique] Patrick Le Boeuf dir., CRAIG et la marionnette

septembre 25, 2009
in Category: chroniques, UNE
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Patrick Le Bœuf dir., Craig et la marionnette, Actes sud/Bibliothèque Nationale de France, 2009, 120 pages, 124 illustrations couleur/noir et blanc, 29 €, ISBN : 978-2-7427-8389-2.

Ceux qui n’ont pu découvrir l’exposition organisée par la BNF du 4 mai au 29 juillet 2009 à la Maison Jean Vilar (Avignon) ne manqueront pas, jusqu’au 4 octobre prochain, de se rendre au Musée de l’Ardenne et à la vitrine du Conseil général à Charleville-Mézières, dans le cadre du Festival mondial des théâtres de marionnettes (fin ce dimanche 27 septembre).

Au reste, depuis mai dernier, nous disposons d’un catalogue riche de quelque 120 illustrations – accompagnées d’un "catalogue des pièces exposées" et de trois articles synthétiques qui offrent des angles d’approche complémentaires : thématique (Patrick Le Bœuf, "Edward Gordon Craig et la marionnette"), érudit (Marion Chénetier, Marc Duvillier et Didier Plassard, "Le Théâtre pour les fous : aperçus d’un chantier") et historique (Evelyne Lecucq, "Les marionnettistes contemporains et Craig").

Illustrations : après celle de la couverture, on appréciera les créatures de Peter Schumann (Bread & puppet Theatre).

Quatrième de couverture

Important théoricien de l’art de l’acteur et de la représentation scénique, Edward Gordon Craig (1872-1966) fit de nombreuses recherches sur la marionnette, qu’il considérait comme un modèle à suivre pour le comédien. Au fil de ses réflexions et de ses tentatives pratiques, il constitua une importante collection de marionnettes de différentes époques et de plusieurs pays et rassembla des documents sur cet art scénique, à partir duquel il forgea le concept de "sur-marionnette". Outre une large partie du fonds Craig de la BNF, ce catalogue d’exposition présente plusieurs spectacles contemporains, établissant ainsi les prolongements de la pensée du metteur en scène anglais dans la pratique actuelle de la marionnette.

Chronique : CRAIG ou la création homonculaire

Selon Evelyne Lecucq, la réception brouillée d’Edward Gordon Craig (1872-1966) s’explique par son mysticisme et le caractère parfois énigmatique de ses vues, mais surtout par les problèmes de traduction et de transmission (compte tenu de son isolement dans les trente dernières années de sa vie). Cela dit, les créateurs contemporains sont redevables à celui qui, dès le début du siècle – avant même Marinetti dans ses Poupées électriques (1909) -, a dépassé l’alternative entre théâtre populaire et théâtre d’art pour faire reposer l’effet d’irréalité dramatique sur la marionnette conçue comme transgression de l’humain, comme libération vis-à-vis du réalisme, du psychologisme comme des lois de la physique (contraintes de l’espace et de la pesanteur). Par exemple, le suédois Michael Meschke s’est réclamé de lui en 1964, faisant d’Ubu une marionnette habitée. Ajoutons que de nos jours Valère Novarina souligne l’importance qu’a eue pour lui la rencontre livresque avec Craig, dont il partage la conception métaphysique du théâtre, même si, dans son dernier essai, il semble prendre quelque distance avec la notion de "sur-marionnette" : "les acteurs n’ont pas à être enrôlés et marionnettés, mus comme des sémaphores, dirigés – mais aimés, entraînés, suivis" (L’Envers de l’esprit , P.O.L, 2009, p. 36).

Rejoignant Adolphe Appia (1862-1928) pour revendiquer l’autonomie artistique de la scénographie, n’ayant probablement pas lu Alfred Jarry (1873-1907) mais frappé par la lecture en 1904 d’un article d’Arthur Symons (1865-1945), "An apology for puppets", "celui qui a cherché dans le masque ou la marionnette la source idéale de sa théâtralité" (p. 66) consacre sa vie au théâtre de marionnettes : théoricien, auteur et manipulateur, scénographe et dessinateur, il écrit des pièces pour marionnettes, crée de multiples modèles, excelle dans l’innovation technique, collectionne des masques africains et des marionnettes de diverses origines, met en scène Shakespeare avec des figurines de carton et de bois, fonde les revues The Page (1898-1901), The Mask (1908-1929) et The Marionette (1918), publie de nombreux articles… Parmi les documents du fonds Craig de la BNF, le projet du Théâtre pour les fous ne peut que retenir l’attention : des 40 pièces écrites sur 365 prévues, se dégagent une "architecture réflexive", la part faite aux intermèdes, la carnavalesque figure centrale, "le Basilic, grand ver à la crête rouge et à l’accent cockney dont Craig fait l’incarnation du mal absolu."

Au reste, d’autres documents (dessins et photos, confidence d’un collaborateur de Craig, exemplaire annoté du Paradoxe sur le comédien de Diderot) apportent un éclairage intéressant au mystère de la sur-marionnette, sans pour autant en atténuer la portée : avatar de Pierrot, (illustrations 9 et 64), l’Über-marionette pourrait bien être (entre autres ?) "une marionnette habitée, une body puppet mesurant entre un mètre quarante et deux mètres, et permettant la matérialisation – très littérale – de ce qui, chez Diderot, n’était que métaphore" (20)…

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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