« Poésie et re-communication »
Depuis quelques années les éditions Al Dante entreprennent de réediter une grande partie de l’œuvre de Bernard Heidsieck devenue quasiment introuvable, favorisant ainsi la diffusion de l’œuvre d’une figure majeure de la poésie contemporaine, et même de la poésie tout court. Après Respirations et brèves rencontres, Canal Street et Le Carrefour de la Chaussée d’Antin, voici donc La Poinçonneuse, (Passe-partout n°2) composé en 1970, suivi ces derniers jours de Derviche/Le Robert.
Bernard Heidsieck est en 1955, avec Henri Chopin et Brion Gysin ( bien que tous trois ne se soient rencontré que plus tard), le co-inventeur de la “ poésie sonore ”. Loin de réduire son travail à une simple oralisation de poèmes écrits, le poète sonore conçoit le texte écrit comme une partition ou un “ tremplin ” sur lequel s’appuie le poème avant d’être projeté dans l’espace par la lecture-performance, et, bientôt, il travaille directement à partir du magnétophone, instrument qui pour Heidsieck a littéralement révolutionné le travail d’ “ écriture ” poétique : montage-cut, variations de vitesse, mais aussi prélèvements directs de sons sur le quotidien sont désormais permis, et, dès lors, le “ texte ” ne se réduit plus à la parole, même si celle-ci reste prépondérante dans les enregistrements de Heidsieck (contrairement à ce qui se passe dans les audio-poèmes de Chopin par exemple) et il accueille nombre d’éléments non verbaux, prélevés directement, “ biopsies ”, sur le réel à la manière des papiers collés cubistes. Ces bruits du quotidien sont effectivement très présents dans La Poinçonneuse : arrivées et départs de métros, grincements de portillons automatiques font partie intégrante du texte et de sa signification, loin de faire office de simple fond sonore, ils acquièrent une réelle valeur sémantique voire critique. A l’écoute de ce poème on décèle ainsi la superposition de quatre niveaux sonores : les bruits du métro donc, à des intensités diverses selon les moments, la voix d’un “ je ”, protagoniste principal et “ narrateur ” de ce petit drame, la voix de la poinçonneuse s’adressant à ce monsieur, enfin la voix de cette même femme lisant la lettre que la poinçonneuse destine au poète. Or à ces quatre niveaux sonores correspondent précisément quatre modes de communication distincts, qui in fine vont devenir les véritables protagonistes du drame qui se joue :le métro apparaît ainsi comme premier moyen de communication, au sens matériel du terme, puis c’est la communication orale qui entre en scène, avec la voix de la poinçonneuse, puis c’est la lettre, communication écrite, et enfin, englobant tout cela, l’acte de communication que constitue non seulement, à un premier niveau, la voix enregistrée du poète-narrateur, mais aussi dans un second temps, celui de la lecture-performance dans laquelle se joue, comme souvent chez Heidsieck, une grande partie de la signification du poème. Et dans ce poème très narratif, une fois n’est pas coutume (un matin comme tous les autres une employée de la RATP laisse tomber un papier qui se révèle être une déclaration d’amour adressée à un usager quotidien du réseau), c’est bien en quelque sorte un drame de la communication qui se joue : la poinçonneuse demande au poète un signe, un regard par lequel il prendrait acte de cette déclaration et conférerait ainsi une forme de légitimité à cet acte transgressif. C’est bien de désir, de “ désir de communication ” comme l’explique J.P Bobillot (Bernard Heidsieck, poésie action, J.M Place éditeur, 1996) qu’il s’agit ici, un désir qui se voit assassiné précisément par le dispositif sonore, dans la mesure où le grincement agressif de ces bruits de métro qui viennent finalement étouffer la voix de la femme désigne par métonymie la communication ordinaire, “ l’aliénation au perpétuel retour du même qu’inflige la raison communicatoire _ en vérité comminatoire ”. Deux ordres se font ici concurrence, fondant le caractère critique de cette poésie, celui de la communication collective et celui de la communication personnelle, et même de la parole personnelle étouffée par la “ techno-structure qui aliène l’individu ” (Bobillot).
Mais pour autant la critique ne porte pas sur la techno-structure en tant que “ techno ” : la technique est au contraire sollicitée en ce qu’elle propose de plus moderne à l’époque en termes de moyen de communication : le magnétophone. De plus, le texte _ manuscrit, notons-le_ de l’employée RATP est tout à fait obsolète dans son expression, digne de la religieuse portugaise pour paraphraser Bobillot comme, peut-être, la figure d’une parole subjective, voir d’un lyrisme sentimental que Heidsieck qualifie souvent de nombriliste, devenu impossible dans la société moderne et technologique, voire indécent, d’où aussi peut-être la “ stupeur ”, le “ cauchemar ” du protagoniste principal, réaction négative qui ne manque pas de jetter une lueur de ridicule sur le geste de la poinçonneuse.
Au final, ce n’est que dans la conception même de la poésie comme action défendue par Heidsieck que cette aporie peut trouver une résolution, et dans la notion de “ re-communication ” que le poète convoque pour décrire le but de son travail. Bobillot souligne avec justesse ce paradoxe et parle de “ poésie commotive ; conative ” dans la mesure où ce rétablissement de la communication ne peut s’opérer pleinement que dans le cadre d’immédiateté et de corporéité que confère la performance au poème, mais aussi dans l’immédiateté de l’écoute. Dans ses Notes Convergentes, Bernard Heidsieck écrit ainsi : “ Le poème fait ainsi sa rentrée dans le monde. Ou dans la foule. Avec le souci et le but de susciter une communication immédiate, physique et charnelle. ”, et, plus loin il explique que la poésie doit pénétrer la société “ par le biais de moyens charnels, à savoir directs, immédiats et instantanés. Le poème, dès lors, recouvre d’emblée sa possibilité de circulation ”. Ainsi en utilisant les moyens de circulation mis à disposition par les techniques modernes, et par la performance, le poème recrée une situation acceptable et donne une issue satisfaisante au drame mis en scène par le dispositif même.
Ou alors on peut voir cet objet comme un joli petit livre format CD, à la couverture violette et à la mise en page colorée qui réussi assez bien le pari de représenter les simultanéités et échos que l’oreille perçoit à l’écoute, qui renferme un poème proposant une anecdote réelle mais non dénuée d’humour un divertissement de qualité de 13minutes dont l’écoute vous permettra de briller en société. Au choix, en tout cas c’est indispensable.
Where are your BRION GYSIN ‘s recordings ?
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