[Chronique] Alessandro Mercuri, Holyhood vol. 1, par Guillaume Basquin

[Chronique] Alessandro Mercuri, Holyhood vol. 1, par Guillaume Basquin

novembre 28, 2019
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[Chronique] Alessandro Mercuri, Holyhood vol. 1, par Guillaume Basquin

Alessandro Mercuri, Holyhood vol. 1, art&fiction, Lausanne, printemps 2019, 212 pages, 12 €, ISBN : 978-2-940570-55-3.

 

Le titre, d’abord : Hollywood, le « Bois du houx », est devenu « Holyhood », la Cité du sacré selon l’éditeur… Pourtant, dans « hood », je lis plutôt « capote », « capuchon », « capuche » ou « cagoule », voire « gangster ou truand » (slang US). Los Angeles, cité non plus des Anges mais des Saints Truands ? C’est une voie d’interprétation qu’ouvre ce livre à la fois possible uchronie (Los Angeles a-t-elle été engloutie ? Est-elle réapparue à quelques centaines de kilomètres au nord-ouest sous la forme d’un mirage pharaonesque : « L’antique cité de Ramsès II gît sous le sable au bord du rivage. Les vestiges pharaoniques flottent dans les limbes d’un souvenir lointain, si lointain… » — Si je t’oublie, Los Angeles !… Ou bien est-ce tout à fait autre chose ?) et dérive-enquête sur un monde d’illusions, de spectres et de faux-semblants : les studios hollywoodiens en décomposition. Leurs ruines gigantesques et dérisoires à la foi. Les gangsters en col blanc semblant avoir définitivement remplacé les nababs flamboyants d’autrefois… L’argumentaire de presse de l’éditeur met en avant cet aspect « enquête » du livre : « Les frères Cohen à la dérive sur Mulholland Drive… » Que révèle cette investigation ? Hum… ce n’est pas très brillant : ici, on apprend l’existence de la première martyr de Hollywoodland : l’actrice Lillian Millicent « Peg » Entwistle, qui se jeta dans le vide en 1932, à 24 ans, du H du panneau publicitaire géant Hollywoodland qui venait d’être installé en haut du mont Lee ; là, ce ne sont que meurtres plus crapuleux les uns que les autres : celui de Robert F. Kennedy à l’Ambassador Hotel (abandonné depuis) en 1968, ou celui du propriétaire du Silent Movie Theatre, Larry Austin, en 1997, par un jeune spectateur soudoyé par le projectionniste du dernier (il n’y survécut pas non plus) cinéma entièrement dévolu aux films muets de la Cité des Anges. On se rappelle de cette élégie de Bertolt Brecht en exil à L.A. : « Every morning, to start earning my bread / I visit the market where lies are bought and sold / Full of hope / I take my place there with the other sellers » (The Hollywood Songbook) : tout est à vendre ! Même les meurtres…

Ce livre plein d’ironie n’est pas sans faire écho au très beau livre Hollywood Babylone de Kenneth Anger (éd. Tristram pour la traduction française), qui montrait déjà toute la folie et les névroses qu’engendra ce monde de strass rempli de suicides et de meurtres plus spectaculaires les uns que les autres ; mais il y a plus : il en est le contrepoint contemporain : que reste-t-il de ce monde ? L’immense décor de la ville de Pharaon pour le tournage de la première version de The Ten Commandments (1923) de Cecil B. DeMille est déjà complètement recouvert par le sable des dunes de la plage de Guadalupe. Qu’en restera-t-il dans disons 50 ans ? Les traces de désertification qui abondent partout ne prêtent pas à un optimisme délirant… Un peu à l’intérieur des terres, « l’endroit est baigné par les eaux disparues d’un lac asséché, le Soda Dry Lake » ; le lit de la Los Angeles River est « tout […] bétonné » et son « cours souvent à sec » : ce sont des autoroutes (comme celle qui mène à CalArts, où l’auteur résida un moment) qui ont remplacé les anciennes rivières : leur flux est la circulation automobile, leur « lit un ruban de béton ». « Le destin de la Californie est scellé. Il n’en restera rien, bientôt réduite en poussière, comme emportée par le Big One. »

Parfois, dans ce livre qu’on pourrait qualifier de gonzo pour sa subjectivité un poil déjantée, on assiste à de « drôles » de collisions : « En 1953, à Moscou, Staline trépassait. La même année, dans la banlieue de Los Angeles, Disney achetait soixante-cinq hectares de terre vierge californienne. » Et si c’était « ça », la « vraie » Histoire : son envers ? C’est ce que pensait déjà Greil Marcus dans son indispensable ouvrage Lipstick TracesA Secret History of the Twentieth Century(Havard University Press, 1990) : l’Histoire véritable est forcément underground, et souvent seule une dialectique du high and low la peut faire émerger de tout un tissu complexe de propagandes et mensonges militaro-industriels ; qu’un Européen francophone (Alessandro Mercuri est franco-italien) se soit attelé aux mêmes types de montages d’événements en apparence très éloignés et inconciliables ne laisse pas de nous réjouir. Par exemple, l’artiste contemporaine Orlan y est cachée, en son beau milieu, dans une drolatique scène de casting à la Paramount ; mon lecteur, saurez-vous la retrouver ?

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rédaction

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