Silvia Marzocchi, Scènes d’intérieur, Lanskine, novembre 2019, 48 pages, 13 €, ISBN : 979-10-90491-95-3.
Binaires comme on pèse nerfs, à deux temps mais toute une architecture intérieure de mouvements divers, divergents comme les rayons d’un disque stellaire vers des planètes inconnues – ces scènes d’intérieur, d’extérieur nuit pour un tournage à tâtons lestés, étagent, alternent serré, étirent deux formats de caractères, un corps puce et le corpus d’une vie. Silvia Marzocchi, dont celui-ci est le premier livre, composé en français, est une traductrice connue d’auteurs gallicans dans sa langue ultramontaine. Pourquoi n’écris-tu pas en italien ? – Je ne peux pas. Seul le français lève l’interdit.
Il y a aussi des capitales, de doublure lumière plutôt que de la douleur, des vers en anglais, « it was a very clear full night / I had a terrible dream », des apartés dans un corps intermédiaire, à fonction d’italiques peut-être, à mi-chemin de l’intériorité, pour d’un soupçon de rythme ternaire développer, lever l’inter-dit, qui ne vaut rien s’il ne swingue, ainsi que l’illustrent Duke Ellington, Thelonious Monk. Ou le Modern Jazz Quartet, je me passe Pyramid, à deux solistes dont un discret, que ponctuent aux moments décisifs (de Sisyphe) des soubresauts de batterie. Ceux d’un amour qui en bribes, tessons se démantèle, se réajuste au gré d’une rythmique rédemptrice, quand « un frisson choyant me déchagrine à fleur de peau ».
« Scènes d’intérieur 1 » à « 15 », moteur, on tourne, intitulent les séquences sans les coiffer, l’intertitre en corps ordinaire, sans rien d’italique ni de gras. Filmiques comme on aime la vie que seule la démêle la poésie.
Mais « où donc // près d’un lac rubis // la couleur femme / effusive / débordante /// où donc / la tornade / a vrillé / sur elle / plumes couleur de la nuit ». Sa poésie plus abrupte, plus verticale encore d’être horizontale hachée, la dispense que poigne autre interrogation que celle de « la couleur femme ».
Silvia, « à contre-jour habitée ». Son roman de jeune épouse (« un jour de janvier / comme on passe un tricot / pour se réchauffer // il / les épaules larges / cherchait tête à son creux // elle / en rêvait / se la poser douce ») tourne à vinaigre, surmonte les obstacles. En façade une vie de couple – diptyque arboré cachant la forêt, l’immense forêt de la langue natale à deux mains (et une arborescence de moignons) tenue en réserve, en lisière. D’un couple les scènes de ménage, infidélités et réconciliations (« après l’orage / ils s’étaient / pardonné /// l’étreinte nomade qu’elle s’était octroyée » – par revanche), le savoir-faire et le savoir aimer (« futur, je te reste fidèle). La ménagerie du grand fauve bichonné comme « l’enfant douillet / dans sa chambre / endormi de rêveries ». La complaisance conjugale. Les détails de sensualité que seul le corps puce – et le retrait dans ses limbes de la langue première – autorisent.
Quelques minuscules énormes fautives approximations d’accord ou d’orthographe les seuls clins d’accent.
Scènes de famille où père & mère, et frère & sœurs. Une réversibilité syntaxique (je vous aime belle marquise), métaphore du temps retrouvé, « tandis qu’elle coupe ces pommes à cuire », remonte en corps menu un calligramme encadrant aux parois d’un gouffre « l’écorce de citron cet effluve de maman en soi la lacune / cet effluve //// cette écorce/ de maman //// de maman / en soi //// en soi / la lacune cet effluve de maman à l’écorce de citron ». La rythmique d’import secret éclaircit le passé.