Virginie Poitrasson, Une position qui est une position qui en est une autre, dessin de couverture de Florence Manlik, Lanskine, automne 2019, 80 pages, 14 €, ISBN : 978-2-35963-006-0.
Deux siècles et demi séparent l’Éthique de Spinoza du Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein dont les angles aigus malmènent la rondeur de l’opticien poète. Le siècle qu’y rajoute Virginie Poitrasson, à hoquets conceptuels résolutoires (Une position qui est une position qui en est une autre), ouvre large des perspectives autotéliques, totologiques, aporétiques où abstrait d’abstrait le suprématisme pique en vrille – installe une soutenable légèreté de l’être sur les margelles de la nuit, à fleur de rêve ou de trottoir. Entre corollaires et scolies, les propositions se passent de démonstration quand l’autrice, entre « répartition autre », « unité autre » et « temps autre », décline le « Désir » aux trois temps du syllogisme et que les protagonistes a priori d’une Critique de la raison pure « s’éclatent » en tessons de lemme, « positions » came à soutras, tempête transcendentale.
« Le parcours aller-retour oscille du boisé ténébreux à l’ombre flottante jusqu’aux rayons lumineux et inversement » – au « bout du chemin, l’accroche au bitume […] fait signe et désigne. Les cailloux ne sont que des présages. » Autre rêve : « Avec agilité, elle s’est entourée du peu de silence nécessaire […] installe sa sauvagerie […] restée lovée bien profondément en moi, jusqu’à se rendre invisible et être oubliée pendant longtemps. Elle est de ces colères formées par un choc sourd et imprévisible […] Une sorte d’arrêt sur image, tranchant, et l’énigmatique en guise d’arrivée. » Décrits avec une sobre méticulosité des limbes, articulés avec justesse au plus labile, nets de tout onirisme. Laissant aux oubliettes ceux d’André Breton.
Des calligrammes se tête-bêchent à angle droit, à qui perd pend. Un col y maçonne deux decrescendos. Soit « un éclaircissement rond entouré / si gigantesques, les rayons / du soleil illuminant le sol à / s’asseoir dans la lumière / barre chocolatée encore / une fois comment / chaque seconde / je sentais / le chemin / du soleil ». Une intensité s’y devine. Une, intense, y tait si devine. Le sens s’y perd, la forme un peu.
Poésie opérative, implacablement désubstantiée en « protocole[s] ». Immersion en poésie américaine, dont Virginie Poitrasson est traductrice. Dada a pris un coup dans l’aile, ne crie plus, ne profère plus, émet. « Être tout contre » : à bout touchant, de tir à blanc. Modes d’emploi, évacué Georges Perec. Une nouvelle ère glaciaire succède au réchauffement climatique. Toutefois « On peut choisir d’emprunter (alias Dürer) la voie sans issue de la mélancolie. Une mélancolie qui prend la forme la plus élevée de gourmandise. » On respire à l’ébauche de canular. « Le fragmentaire domine », voire le vermiculé. Mais « C’est là à venir. Là. Encore un peu plus là. Au plus près. De plus en plus prêt. Ça s’apprête. Alors je m’apprête. Ce n’est pas le moment que ça s’arrête. Tout net. » Ça se précipite et l’on respire enfin l’air conditionné à pleins poumons.
« À regret presque le déroulement de l’histoire / et ses décors peints ».
Où l’on sait « s’adonner à la collection de scrupules. Comme on collectionne des scarabées » jusqu’à ce qu’Ernst Jünger y reconnaisse son travail ; quand « Sans démangeaison, les indices sont bons à jeter » ; où, quand « la matière à s’étonner se fait sans nous » – tout en « diversions emmaillotée » désencalaminant le poétiquement correct, abondant, se rétractant toujours un cran en deçà, au-delà, à son dévers, Virginie Poitrasson fraye dans le paysage de la poésie contemporaine, d’Alphaville en continent perdu, une uchronique voie de crêtes.