Pour cette dernière livraison de l’année avant une relative pause hivernale, deux curiosités que nous devons à des maisons d’édition qui méritent attention et soutien : Daniel POZNER, Les Animaux de Camin ; Clément BULLE, Rococo Tokyoïte – et, en complément des précédentes, une avant-dernière sélection libr-fêtes consacrée à la poésie (Brosseau, Dickow, Dupuy, Favre). /FT/
Daniel POZNER, Les Animaux de Camin
Daniel POZNER, Les Animaux de Camin, éditions Derrière la salle de bains [9, rue Forfait 76100 Rouen], novembre 2009, 16 pages, 5 €.
Soit le thème initial : "Les animaux de Joseph H. Camin évoluent – selon des règles qui ne sont connues que de lui, aujourd’hui encore. Une génétique de papier calque : dessins reportés de feuille en feuille." Combinant phylogénie et poésie, cladistique et poétique, Daniel Pozner s’interroge sur le fini et l’infini et, avec pour viatique son "sac de possibles", propose un ARS (Agencement Répétitif Sériel) qui nous fait hypnotiquement passer de l’évolution génétique aux variations graphiques et poétiques. L’ingéniosité verbale (figures de répétition, énumérations, translations et dérivations, symétries et télescopages) met en valeur la question cruciale : "Qu’appelle-t-on choix ?", comme ce clin d’œil à Mallarmé : "Une idée jamais n’abolira le hasard", ou encore ces réflexions diverses : "les temps géologiques ont l’épaisseur d’une simple feuille", "chacun a sa manière d’être transparent"…
Clément BULLE, Rococo Tokyoïte
Clément Bulle, Rococo Tokyoïte, À plus d’un titre éditions, coll. "À charge", automne 2009, 108 pages, 12 €, ISBN : 978-2-91748-612-2.
Présentation éditoriale :
Devenir otaku, Jean n’avait pas programmé. À force d’Auvergne, lui étaient venues les lubies. Les lucioles. Le goût du large. L’envie de lointain ne lui était pas tombée dessus jour au lendemain, lent travail de sape. À force de peur – devenir fou, boue, cou – bien otaku s’était-il choisi comme vocation. Fou de Japoniaiserie. Dévorateur de mangas, de tout ce qui concernait l’île en général, documenté, très encombré, jamais disponible pour autre chose que pour l’île, il fallait qu’il y aille, il devait y aller, il irait.
Note de lecture :
Drôles de cocos et rococo… dans un Tokyo actuel qui n’a gardé du passé ancestral que le mirage.
Avec une verve certaine, le jeune Clément Bulle (1972) – qui vit depuis 2007 à Yokohama – évoque les milieux militaires, universitaires ou diplomatiques sur le ton de la satire, de l’humour ou de l’ironie. Mais le registre dominant est de loin le carnavalesque, le texte étant logé à l’enseigne de Prigent – ce qui n’est pas sans poser problème, puisqu’il ne réussit ni à l’égaler, ni à s’en démarquer : parodie (du récit d’espionnage notamment), phrasé qui court-circuite les langues comme les références littéraires (Mallarmé, Lautréamont, Proust, Mishima, Genet, Bukowski, Limongi) et cinématographiques (Ozu, Coppola, Godard), calembours et homophonies, syncopes et télescopages… Autre problème, cette veine prigentienne ne l’empêche pas de tomber dans ce genre de cliché : "La fête bat son plein…" (p. 43).
♦ Plus enthousiaste, l’analyse de Julien Bielka.
Libr-fêtes
► Mathieu BROSSEAU : La Nuit d’un seul ; Uns ; L’Espèce.
► Alexander DICKOW : Caramboles.
► Armand DUPUY, En avant les, PDF écran et eBook (Sony/iphone), Publie.net, 57 pages, 5,50 €, ISBN : 978-2-8145-0261-1.
De la même famille d’esprit que Mathieu Brosseau, Armand Dupuy nous propose ici une traversée du jaune, de l’univers marin, du temps, du vivant, de la matière (verbale) – nous plonge dans un espace du dedans qui oscille entre fabriqué (réflexions et sensations) et pré-fabriqué (discours qu’on gobe avec l’époque), vide et plein, objectif et subjectif, perception et aperception… dans un entre-deux qui constitue un espace de métamorphoses (écriture de la répétition/variation comme de la translation).
► Claude FAVRE, L’Atelier du pneu, Itinéraire Des Poètes éditeur [16, rue du Jeu de Paume 71100 Chalon-sur-Saône], coll. "Les Hors-Séries" de la revue 22 Montée des poètes, 2007, 24 pages, 5 €, ISBN : 978-2-915358-52-1.
"de l’idée > de l’illusion > de la crevaison"
Des cinq voyelles chantées et illustrées par Rimbaud, Claude Favre ne retient que le triangle constitué par les deux plus fermées (l’aiguë i et la grave u) ainsi que la centrale et ouverte a. Dans ce pneu qu’elle nous envoie, qui ne manque pas d’inspiration, l’érudition se conjugue aux évocations pour raconter une histoire "pleine de bruits et de fureurs"… La vie dans les voyelles, les voix, les sons, les souffles… Une vie en pointillés recueillie sous pochette plastifiée dans un singulier objet artisanal qui associe vues et visions.
Et aussi : Précipités.
Cher Philippe, cher Fabrice
Vous faites une fameuse paire de tontons flingueurs!
Ah on ne dira pas que vous donnez dans le copinage
critique, non. Bien.
Alors oui, c’est un peu le Prigent du pauvre ce Rococo,
si vous voulez,mal demarqué du Maître, peut-être, trop facile, sûrement.
J’ai préféré lui faire serrer la pince à Simonin, à Dard, plutôt
par exemple qu’à Pinson ; passons. Question de goût, de
tempérament. Mais je ne crois pas qu’il
m’en veuille trop.
Il faut m’excuser…On s’ennuie parfois sur cette île lointaine et
si sage ; on se prend à rêver à la lecture de quelques « grands
irréguliers » du langage, à la belle Laure aussi,
d’une autre île et echouée dans ce Barbès si cher à notre
coeur (d’or!croyez-le!).
Et même si je me sens un peu à l’étroit dans le costard taillé,
merci pour le blaz’ et la couv’ . Sans rancune.Et que le Libre-Crotal morde,
encore, et un peu plus souvent.
Amitiés,
Clément
Cher Clément,
Merci pour ton message plein d’esprit.
J’assume ma petite note, mais suis surpris quand même : je n’ai pas voulu jouer ici
au Tonton flingueur, bien au contraire… Nullement gêné par le côté Dard-Dard de ce récit dont j’ai tenu à parler et que j’ai recommandé autour de moi et sur Facebook – justement parce qu’il détone/détonne -, j’en ai salué la verve prometteuse et je pensais avoir fait preuve d’honnêteté critique en mettant le lien vers un article totalement enthousiaste, mais aussi en indiquant ce qui me semblait clocher un peu…
Le libr-crotale n’est donc qu’un pince-oreilles ou un aiguillon qui, je n’en doute pas, ne fera qu’aiguiser un talent certain…
À te lire, et dans l’attente de tes nouvelles du Soleil Levant,
amitiés
Fabrice