[Texte] Jean-Paul Gavard-Perret, La truite et le méphisto fait d'elle

[Texte] Jean-Paul Gavard-Perret, La truite et le méphisto fait d’elle

septembre 13, 2020
in Category: créations, UNE
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[Texte] Jean-Paul Gavard-Perret, La truite et le méphisto fait d’elle

Fils – probable – de Gêne au Long et – plus sûrement – d’Emma Parroud, dits Le Foué et la Fouèse des Maisons, je suis vieux frelon ou baudet de Vacheresse. Nègre blanc – du moins jaune pâle – configurant l’impasse des genêts. Pour l’heure je continuue de me faire vieux en terres savoyardes où les torrents rigolent et où mon corps cliquète. Dans le lit des premiers et pour la cuisse légère des petites truites aux écailles filantes je lance ma carcasse en assauts d’accros baths. L’ invente ce phénomène cosmique où se niche l’éther vague et où sévit l’expérience de la vie. Je mêle ma ligne de vie au ventre doux des fuyardes histoire de me faire la main. Mais devenant truite la femme est tout sauf un pantin. Je ronronne en ses écailles adorables. Elle se fait toute ouïe au milieu des remugles impétueux des cascades et parfois jusque dans les marais du lac du Bourget. Je glisse encore je glisse ma main jusqu’à l’euthanasie des vagues du plaisir. Et me voici le e muet de telle truite, le réel en haillon, le Chambérien, Le clandestin, le quai des brunes ou argentées auxquelles je fais danser un tango argent teint. Me voici grand-père OK et ce qu’on a dit de moi ou ce que tout le monde pense. Sorti des restes de lugubres tourments de l’enfance, je suis le dé passé, le Jean Gibet, le Jean Giboyeux, le sans voix parmi les voies sinon celui des rivières. Je suis l’halluciné, le cyclope, Le mille pâtes, le pont de la Balme et celui de l’Abîme, l’absolument pas, le zéro de conduite, le chauve à l’intérieur de la tête, le go élan, le nyctalope, le fennec rieur. Celui que la mère a tout fait pour ne pas l’avoir – tout sauf le nécessaire ? Je suis celui qui finit pas arriver avant les autres à la gouille aux truites tant je prends de l’avance pour les saisir à leur sommeil. Bref je suis le rogaton mais qui ne se contente d’un menu fretin en seuls destins d’ablettes. Et sachez que ma truite je la bichonne. Pour cela il me faut la souquer (ferme), la drapuler, zébrer, composter, philtrer et filter, queurir, plantagener, saliver le point G, H, I, J jusqu’à X. Mais aussi la conjuguer (parfois au conditionnel, au subjectif mais aussi à l’indicatif). Au besoin je l’enfarine, la boulange et l’opercule quitte à la grougir, l’accroupir voire la citronner. Admirez, admirez, Princesse des ruisseaux et mordez encore ma fesse pour savoir si je rêve. Qu’est en effet notre corps si ce n’est une immense réserve aquatique ? On n’est rien, à personne, personne n’est rien sinon à la truite. C’est d’elle d’où l’on vient et vers laquelle on retourne au sein de nos galeries intérieures. Les plis du coeur, les déchirures de l’âme, notre paquet de nerfs ne sont qu’une rivière sauvage et sans retour où elle demeure tapie. Ses trajets font chemin en nous dans le jeu de nos miroirs. Pour nous en défendre nos avons inventé le religieux. Il est devenu le sens de notre moindre. Mais en dieu l’esprit est aussi aveugle que bestial – preuve qu’il n’est lui-même qu‘invention pour cacher la truite qui nous guide sans faire le moindre bruit. L’écriture se doit de l’exposer. Nos viscères sont autant de canyons qui offrent les fissures où elle se cache. Elle seule différencie le travail du deuil de celui de la mélancolie. Elle permet de reconnaître ce qui a été perdu et là où le sujet se creuse. Elle doit opérer la coagulation non de nos fantasmes mais de nos fantômes. Bref, la truite nous affecte sous le mode de l’incompréhension sidérante. Préférons sa rivière à la caserne de notre prétendue pureté. Au besoin elle monte sur un pont suspendu au dessus de notre vide. Elle renvoie à l’affolement dont elle sort. Bref, tout être humain ne peut compter que sur sa truite et son innommable. Il devient Pierrot d’amour qui se couche dans les hautes herbes de la berge d’un ruisseau pour la cueillir. Mais elle n’a pas besoin de sa pitié, elle veut le manger cru. Car elle n’espère rien des hommes. Elle renvoie à une frontière entre deux chaos : celui des eaux, celui des vastes étendues continentales. Mais grâce à elle nous sommes en territoire – conquis (et non pas en territoire conquis). L’écriture elle-même devient truite. Dans sa matière argentée tout est miroir. Et iI y a aussi tout ce qui ne se voit pas encore : ceci est notre corps dont la langue n’est que le lapsus. Mais la truite en accouche la chimère et montre les mensonges de ses brames amoureux. A l’horizontalité de la terre répond l’affolement dont nous sortons : à savoir des régions aqueuses. Ce n’est peut-être pas beaucoup mais ça suffit largement. On se serait contenté de moins. Pêcheurs ou non, la truite nous rappelle que penser n’apprend pas à vivre et vivre n’apprend pas à penser. On reprochera un jour à l’homme d’avoir sali sa rivière – sans demander à ces dernières où sa charité s’arrêta. Mais nos vraies pensées sont donc poissinnières. La truite parle à travers elles. Même si, comme les indiens, elle se tient en réserve. Et plus le temps passe moins on ne peut la cacher dans des rochers qu’on voudrait translucides. Elle ne cesse de nous aiguillonner pour accentuer notre museau et nos griffes. Et son rat d’eau elle le méduse. Elle reste notre manteau de vision.

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rédaction

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