Trajets de Pascale Gustin
Ce texte est le résultat d’une résidence de Pascale Gustin à la station MIR. Résidence qui a donné naissance à une vidéo-lecture (Trajet N°XXX) à partir d’une programmation informatique ayant pour sujet la captation, la surveillance, le traçage des hommes. Il est possible de lire la lettre de son projet ici. A la suite de quoi la station MIR a publié en 2006, ce livre de Pascale Gustin, très bien réalisé, en partie en quadri. Alors qu’est-ce donc que ces Trajets ? Aucunement des positions, ou bien des stations. Mais bien plutôt un ensemble de captation de ce que pourraient être des mouvements, des flux, aussi bien informationnels, qu’humains, au sens où l’un ne peut se séparer de l’autre, au sens où l’homme devient dans cette captation, un ensemble de données qui sont réagencées dans des micro-paragraphes, dans des micro-actions [qui vont bien évidemment jusqu’aux envois de SMS].
Le travail de Pascale Gustin se rapproche ici, aussi bien de Anne-James Chaton que de Éric sadin. De Anne-James Chaton on croise — mais comme c’est le cas de plus en plus dans des pratiques qui interrogent l’effacé de la singularité par son recouvrement symbolique, son intégration en tant que découpés en catégories sociales, économiques, profesionnelles, etc… — des listes de codifications qui décrivent non pas seulement des hommes [ce qui est le cas chez Chaton] mais des lieux, ou bien des situations. Ces dépôts des éléments qui déterminent la réalité symbolique sont liés au captation des mouvements des hommes, sans pour autant y être reliés nécessairement. Comme s’il s’agissait de faire apparaître non pas seulement le sujet : mais la scène de son passage, une scène imprégnée d’éléments symboliques :
« Ticket commerçant à conserver
Femme, adolescents, bruit de voix.
PETROLE ACIER COTON
Le grand retour des matières premières !
Homme polo gris, dos, arrondi, pantalon en jean, cheveux blanc, revue posée sur sa main gauche ouverte. Homme, pull-over noué à la taille.
AU BORD DU GOUFFRE
Loin => déplacements, échappements des silhouettes.
Bruit de bouteilles cognées. Souffles, ronronnement continuel des turbines, vibrationns de l’air.
= TOTAL
ESPECE (PRINCIPALE) 1.10
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ALICE
On retrouve aussi des travaux de Eric Sadin, des mises en question : aussi bien dans 72, que dans Tokyo. 72 se situait à un carrefour, scène prise, émise, retranscrite selon des modalités de représenttaion différentes, et dès lors des codifications aussi bien typographiques que symboliques distinctes. ce qui donnait toute son esthétique à ce travail de Sadin. Là, de même Pascale Gustin met en évidence une diversité de moyens de captation. Bien évidemment il y a d’abord et avant tout le corps humain, comme il l’écrivait dans son projet : « Le corps humain est en quelque sorte un capteur ultra sophistiqué. Il analyse en continue des flux de données, d’informations en provenance de l’extérieur : le froid le chaud le souffle le bruit l’image… Et de l’intérieur du corps : on a froid, on a chaud, on a faim, on a mal… On voit des choses on entend des sons… » mais il y a aussi les appareils, téléphone portable, ordinateurs, ce qui implique une transformation non pas seulement de la graphie, mais aussi des contenus graphiques, qui ne sont plus de l’ordre de notre langage naturel, mais qui résultent des programmes des machines elles-mêmes. De même ressort de Trajets, la prise en vue de la foule, ce que l’on pouvait voir dans Tokyo, dont l’un des sujets principaux tient à la masse compacte des hommes rassemblés en ON.
En bref, dans cette textualité de Pascale Gustin, outre la grande qualité du montage, de l’exploration large de la saisie de la quotidienneté symbolique des hommes, on croise des parentés textuelles, qui indiquent qu’il y a là une forme d’interrogation, de mise à l’épreuve de la réalité codifiée de l’homme, non plus dans le jeu d’une méta-textualité représentant cette réalité, la jugeant à partir de sa propre dimension de langage [ce que l’on voit chez les modernes], mais en s’imprégnant des mécanismes de créations de cette réalité codifiée.