[Livre-chronique] Régine Vandamme, Feu

[Livre-chronique] Régine Vandamme, Feu

février 25, 2010
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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Régine Vandamme, Feu, Le Castor Astral, collection "Escales des lettres", Bordeaux, février 2010, 160 pages, 13 €, ISBN : 978-2-85920-755-7.

Le Feu de Barbusse renvoyait à l’Histoire, la grande – celle de la Grande Guerre –, ce Feu-ci à l’histoire : celle d’un quadragénaire "sans le sou", en perte d’identité comme on dit en perte de vitesse, qui survit, après sa rupture avec son épouse et ses quatre enfants, grâce à son viatique, mélange anesthésiant d’alcool, de médias et de médicaments.

Présentation éditoriale :
« Reclus dans son appartement où il tente de survivre à la dérive de son existence, Hughes Worm, journaliste autrefois promis à un brillant avenir, sombre dans le désespoir, loin des siens, loin du monde, à l’âge de 44 ans. D’heure en heure tout au long d’une journée caniculaire, son histoire se dévoile, banale, bancale, l’histoire d’un homme aux prises avec un mal-être contre lequel il a renoncé à se battre. Seule sa mort est en marche. Feu est un roman obsédant qui fait éclater des vérités crues et cruelles. L’écriture est intense. Chaque phrase parle juste, cogne et fait mal. Écrit à la deuxième personne du singulier, le "tu" sans cesse renouvelé résonne comme un cri. On pense à Henri Calet qui écrivait : "Ne me secouez pas, je suis plein de larmes."»

"Est-ce ainsi que les hommes vivent au XXIe siècle ?" De l’homo connecticus

"L’avenir est un chien crevé sous une armoire" (p. 74).

"Écrire ! Quelle blague quand tu y penses !" (p. 132).

Homme fragile et désespéré que sa passivité empêche d’écrire, le narrateur est bel et bien l’homme emblématique de notre temps hypermoderne. Il cumule tous les aspects du nouveau Mal-du-siècle : solitude, souffrance physique et morale… Qui nécessitent une prise en charge psychiatrique : Prozac, Xanax, etc. sont les noms scientifico-magiques d’un viatique lui "permettant de survivre à une vie sans envie, sans enfants, sans femme, sans travail, sans vie" (51). Un refuge dans l’addiction, numérique en particulier : "Il y a une dictature de la connectivité. Une tyrannie de la simultanéité" (131).

Chaque société sécrète ses maux – qui plongent l’individu dans la dépendance.

Pour n’avoir jamais accédé "à l’âge d’homme" (63), celui qui n’a "pas réussi à combler l’écart entre [son] royaume imaginaire et la réalité advenue" (p. 86) voit son sort scellé en une seule journée caniculaire, entre 9H37 et 19H26 exactement.

Quant à son ex-compagne, elle est celle qui n’a jamais trouvé sa place : "Quand on n’a pas de place, on a l’impression affreuse qu’on n’existe pas, qu’on est tombé d’une planète isolée dans un monde sans histoire, qu’on est de trop partout où l’on se pose, qu’on n’appartient à personne ; on a des fantasmes d’absence, d’effacement, de disparition" (137).

"Est-ce ainsi que les hommes vivent au XXIe siècle ?" (102).

On ne peut que saluer le soin (qualité de la couverture, du papier, de la mise en page) avec lequel a été édité ce roman critique s’inscrivant dans le prolongement d’une littérature existentialiste d’avant-garde qui, de La Nausée de Sartre à L’Homme qui dort de Perec, en passant par L’Étranger de Camus ou le Nouveau Roman, renonce à la sacro-sainte troisième personne du singulier au profit de la première ou, comme ici, de la deuxième ; c’est dire que ce récit vaut par la manière avec laquelle il expose un nouveau type d’homo absurdus : l’homo connecticus" (49).

On regrettera seulement qu’il ne réussit pas suffisamment à se départir de l’ENA (Ecriture Neutre Actuelle-académique), cette extension du domaine de l’"écriture blanche", "non-style" d’autant plus à la mode que très lisible et donc adapté au Marché (d’où ces louanges "critiques" que l’on ne cesse de lire dans la presse dite "littéraire" : rien de plus "efficace", de plus "émouvant" que telle "écriture distanciée", telle "écriture froide, métallique", etc.). (Le "dernier Barthes" n’avait pas forcément tort : la littérature étant un éternel recyclage, chaque forme novatrice est plus ou moins vite annexée par la doxa littéraire…).

 

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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2 comments

  1. B. Fern

    L’ENA ? Concept intéressant – d’où vient-il ? Selon toi, pourrait-on rapprocher tes réserves avec cette phrase de J.-L. Nancy (dans la revue « L’Animal », n° 19-20) : « (…) mon soupçon que la sobriété elle-même pouvait devenir son propre ornement complaisant » ?

  2. Fabrice Thumerel (author)

    Merci de ton intérêt, Bruno.
    Par déformation professionnelle (universitaire…), lorsque je ne mets pas de référence, c’est que c’est de… bibi.
    Par ailleurs, oui, Bruno, je me souviens de ce numéro de L’ANIMAL : la référence à Nancy est tout à fait pertinente !

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