>> Les doigts de Charles Pennequin, éditions Ragage, collection Écrin, ISBN : 2-915460-27-2, 44 p. 10 €.
[site éditeur] / adresse de commande : Ragage éditeur, 12, rue Chartran, Neuilly, 92200.
Extrait :
Chant du 1
je n’ai pas de doigts. le doigt est la pensée. je n’ai pas la pensée du doigt. le doigt en moi pense autrement. il pense à l’autrement moi. autrement que le moi qui pense sans ses doigts. le moi autrement doigt pense aussi sans eux. ou alors il pense, mais il pense contre. il est contre les doigts qui ont voulu pousser de la pensée dedans, qui ont voulu faire de moi un entassé de première main. un moi moignon de lui et de sa pensée autrement main.
Premières impressions :
Nous découvrons avec plaisir un nouvel éditeur. Hortense Gauthier reviendra plus longuement sur ces éditions, en parlannt aussi bien de leur revue, que du livre de Christophe Manon qui vient d’être publié [Constellations]. Les premiers titres contemporains sont alléchants, en effet, on y retrouve Anne van der Linden aussi en livre d’art.
Ce petit livre de Charles Pennequin se tient dans la continuité de sa recherche : exploration de la construction de soi du point de vue organico-psychologique, et ceci selon la question de l’inchoativité de la pensée et de sa mise en jeu comme trou temporel. Dès lors, si tel que le déclarait Aristote, dans son Traité des parties des animaux, « ce n’est pas parce que l’homme a une main qu’il est intelligent, mais c’est parce qu’il est le plus intelligent des animaux qu’il a une main » et si notre intelligence est ce résultat d’un dialogue intérieur sourd, lourd, empêtré du poids du passé, alors devient évident que les doigts sont les bouts extrêmes de ce dialogue, ces bouts d’où les morts en dialogue en nous parlent, d’où les morts se donnent à penser par l’acte de mouvement des doigts.
« ce n’est pas moi les doigts sont les morts tout au bout qui m’écrivent » (p.9)
« (ce sont les morts qui écrivent / dans mes doigts… » (p.38)
Ce livre est comme une approche obsédante de ces appendices qui tentaculaires, nous lient à l’espace, à l’air, aux être et aux choses. Les doigts sont le seuil où se croisent pour l’homme l’intérieur et l’extérieur, et ceci du fait d’une tuchè, bien plus intensivement que par les yeux très souvent :
« les doigts sont les trous où passent l’être »
Les doigts, ainsi, sont une nouvelle angularité de cette symptomatologie que Pennequin a commencé depuis des années, symptomatologie d’une vie née à la mort, d’une vie qui endure tout à la fois son élan irréversible de vie, de sortie du trou, et qui irrémédiablement est aspirée par la pensée du dedans du trou, pensée du dedans, du trou, qui ne laisse pas la vie à la vie, mais qui la noud sans cesse au pourrissement de sa donation.