[Selon un rythme qui lui sera propre, Etienne Brunet nous donnera à lire des chroniques, sur son rapport à la poésie, notamment la poésie sonore. Musicien, aventurier ayant joué avec son saxo tout autour de la terre, ses chroniques dévoilent un autre regard sur la poésie, et sur l’amitié qui le lie aux poètes, que cela soit Julien Blaine, Jacques Donguy ou bien encore la regrettée Josée Lapeyrère.] J’avais connu Josée aux dix ans d’Al Dante l’ancien. Josée Lapeyrère me dit : « Mon mari cherche un saxophoniste, tu devrais le rencontrer, il est griot, il s’appelle Djeour Cissokho ». Son sourire indique qu’elle ne fait aucune différence entre une sorte d’avant-garde plus ou moins conceptuelle et la musique africaine de tradition orale. Son sourire aura fini par bouleverser le cours de ma vie musicale. Je me lançais dans la musique du Sénégal avec enthousiasme. J’ai joué avec son mari pendant trois ans. Je voyais Josée de temps en temps.
Elle avait publié en 2000 un livre absolument essentiel sur le père de son mari « Soundioulou Cissokho, roi de la kora ». « Ce fût pour moi un grand honneur que d’écrire ce livre. Soundioulou Cissokho m’a beaucoup appris, m’a beaucoup enseigné à travers ceux qui m’en ont parlé. Depuis lors – grâce à lui – je vois le monde occidental avec un autre regard. » Elle avait produit deux disques de son mari et elle s’occupait avec une efficacité redoutable de l’association Zoum-zoom qui gérait l’activité musicale de Djeour Cissokho. Toujours avec son sourire déconcertant et un discret accent méditerranéen, elle me disait « C’est dur le bizness de la musique ! hein ? qu’est-ce qu’ils veulent tous ? »
Djeour et Josée c’était un peu Roméo et Juliette. L’amour fou séparé par la mort, un couple moderne uni dans la tension des différences culturelles. Un couple blanc-noir vécu comme une pure aventure des temps moderne : la conquête de l’amour par l’amour des autres cultures. Josée était psychanalyste, elle pensait l’inconscient structuré comme une poésie. À son enterrement, j’ai compris la signification d’un « acte manqué ». Je devais jouer et j’étais incapable de sortir mon saxophone de son étui. J’ai eu une sorte de vision délirante. La psychanalyste se tenait assise près de moi. J’étais dans le rôle du patient, allongé sur le divan tombal. Mon âme brisée se reconstituait dans la compréhension du sens de ma vie et je voyais « le monde occidental avec un autre regard ». Transfert, transport, identification, au revoir.
Dans le cadre du Printemps des Poètes, thème Couleur Femme (www.printempsdespoetes.com). Hommage à Josée Lapeyrère : Lecture-Concert : "Soundioulou Cissokho, Roi de la Kora“ avec Claire Péricard (voix), moi-même (clarinette basse, électronique), Mamadou Faye (basse, guitare), Léo Brunet (guitare)
Le Vendredi 12 mars à 20h00 à l’Atelier Zéro-Un, 31 rue Baron Leroy, 75012 Paris. Métro Cours Saint Emilion (ligne14)