Faites votre libr-mai avec l’exceptionnel pôle poésie de POL (Manuel JOSEPH, Jean-Jacques VITON, Christian PRIGENT et Anne PORTUGAL), l’originale Affaire Furtif de Sylvain Prudhomme… Côté événements : un troisième colloque international sur l’œuvre d’Annie ERNAUX et un Festival de poésie sonore avec Fred Griot. Passionnant ce mois de mai ! – et attendez un peu la seconde quinzaine…/FT/
Pôle poésie de P.O.L
Avec ses petits (12,5 x 16,5 cm) et ses grands formats (15,5 x 20,5 cm), plus que jamais la collection "Poésie" de P.O.L mérite notre attention : sans autre préoccupation que littéraire, ces derniers temps elle totalise non seulement des valeurs sûres de la modernité (Prigent ou Viton), mais encore de fécondes recherches actuelles (Suzanne Doppelt – dont nous avons salué le chef-d’œuvre Lazy Suzie -, Anne Portugal ou Manuel Joseph). Cette entreprise est suffisamment rarissime de nos jours pour ne pas la saluer.
[+] Manuel JOSEPH, La Tête au carré, sortie en librairie demain lundi 17 mai 2010, 72 pages, 18 €, ISBN : 978-2-84682-201-5.
Présentation éditoriale : Plus que dans aucun de ses précédents livres, Manuel Joseph se montre dans La Tête au carré un écrivain du montage. Le film, le texte, ce serait celui du monde violent, le nôtre tel qu’il tue et mutile, tel qu’il expulse et déplace, de Gaza aux banlieues. Ce texte est fait d’éléments en principe hétérogènes que le montage, précisément, associe, fait résonner, oppose et juxtapose non pas au hasard mais selon une logique de la sensation et de la prise de conscience, tandis qu’un personnage récurrent, Elsa, sorte de surperwomen tueuse et cruelle, prend en charge une narration bousculée.
Premières impressions : Pourquoi la tête au carré ? Sans doute avant tout parce que l’actuel mot d’ordre dominant est de "REMPLIR TOUS LES ESPACES, PHYSIQUES ET SPATIAUX, PSYCHIQUES ET MENTAUX, CEUX DE TOUTES LES TÊTES"… Notre "réalité", Manuel Joseph nous la montre avec brio, est celle des discours qui nous traversent : médiatiques, politiques, didactiques, ludiques… Cette "réalité", il nous invite à la décoder en l’exposant sous tous ses codes : "sa" réalité est donc cadrée, encadrée, illustrée… Dans ce monde, seuls les droits de l’ordre sont bafoués. C’est dire les effets critiques engendrés par ce document poétique, au sens où l’entend Franck Leibovici : technologie intellectuelle qui procède au redécoupage modélisé et hétérogène du réel médiatiquement uniformisé (Des documents poétiques, Al dante, 2007).
Dans le même temps qu’on lira ce livre, jusqu’au 26 septembre 2010, on visitera l’Exposition de Thomas Hirschhorn au Centre National de l’Edition et de l’Art Imprimé (CNEAI : Hameau Fournier, îles des impressionnistes à Chatou).
► « Un manifeste de Thomas Hirschhorn sur Manuel Joseph. Au-delà des supports de la poésie traditionnelle, l’artiste suisse Thomas Hirschhorn s’intéresse aux nouvelles formes adoptées par les poètes d’aujourd’hui à travers les écrits de son ami, le poète Manuel Joseph. À partir d’une collection constituée sur 15 ans, de mots, de lettres et d’objets signés du poète, l’artiste livre une exposition s’attachant à traduire la réalité de cette discipline artistique et à y impliquer le public. "Je veux exposer la poésie de Manuel Joseph. Depuis 25 ans que je le connais, Manuel Joseph m’a démontré que la poésie est sa réalité et qu’il la vit dans une radicalité inouïe – avec ses livres, ses lectures publiques, les textes intégrés, ses papiers disséminés, ses échanges administratifs. Je veux essayer de montrer que cette réalité – la réalité d’un poète aujourd’hui – va bien au-delà du fait d’être imprimé dans un livre à couverture blanche. Je veux montrer que la poésie de Manuel Joseph possède les ressources pour impliquer le public – aujourd’hui." »(Thomas Hirschhorn)
[+] Jean-Jacques VITON, Selected sueurs, mai 2010, 128 pages, 16,50 €, ISBN : 978-2-8180-0475-3.
Présentation éditoriale : Le titre initial de ce livre était VRAC. Qu’est-ce qu’un vrac ? sa définition varie de "harengs mal lavés" à "désordre". Dans cet intervalle apparaît tout le reste, lui-même en vrac. Un choix s’est donc établi sur le plateau de ce premier titre à partir d’un ensemble de situations soulignant des événements particuliers dans les domaines du social, de l’affectif, du sport, de la misère, des affrontements. Ce nouveau dépôt a fait surgir à son tour des signes indiquant une orientation à l’intérieur de laquelle le désir, le combat, le pari, l’habileté, le courage, l’obstination devenaient les clefs des signes retenus. Il en résulte ces couloirs d’expositions où les comportements s’affichent, chacun dans sa propre transpiration vitale.
La partie I, "Attraction" (le présent est un endroit dangereux) et la partie III, "Tumulte" (il se prépare quelque chose j’ignore quoi) fonctionnent dans leur démarche diamétralement opposée, la partie II (et puis les choses s’ajoutent…) comprend neuf cadres d’expositions précédés de neuf images, sans aucune volonté d’illustration, indiquant par là même que chaque sueur appartient à un damier insondable.
Note de lecture :
"Volés ensemble ici et là, tout y est cependant absolument nouveau" (Beethoven).
Jean-Jacques Viton "traverse les rumeurs et les récits" pour nous livrer, à coups d’infinitifs, de micro-descriptions ou de présents de vérité générale, ces dépôts de savoirs et de techniques (Denis Roche) qui concernent aussi bien le vol en avion de tourisme que la randonnée en montagne, le manège équestre, la chute – cette traversée qui "ne s’improvise pas" -, la plongée, la boxe – toutes catégories ! -, la chasse – des Australopithèques à nos jours ! -, les bonnes manières ("la modestie demande de ne pas toucher / ses cheveux sans nécessité"…), ou la corrida… Enfin, n’oublions pas : "les mouvements du balancier de l’âme / doivent être soigneusement étudiés" (p. 116)… On terminera par le commencement : les sueurs de l’amour… dans un texte qui passe en revue les clichés sur les "filles"…
[+] Christian PRIGENT, Météo des plages [lire sur le site l’extrait intitulé "Filles de bord de mer"], P.O.L, avril 2010, 144 pages, 13 €, ISBN : 978-2-8180-0008-3.
► Sur le site POL, on écoutera un extrait de Presque tout ; pour ce qui est de cette Météo, l’auteur en parle avec intelligence dans une vidéo d’une dizaine de minutes mise en ligne par Jean-Paul Hirsch ; enfin, on lira l’intéressant article de Bruno Fern sur Sitaudis.
Présentation éditoriale :
Christian Prigent sous-titre son livre "Roman en vers", et de fait il s’agit à la fois d’un roman, d’un roman autobiographique dans la veine des derniers livres de l’auteur (Demain je meurs, Grand-mère Quéquette), et d’un livre de poésie.
Soit une journée à la plage, du "petit lever" au "nocturne" final, en passant par "pique-nique" et "petit quatre-heures". Des personnages passent (parentèle, filles convoitées, déités en stage dans des marines rococo). Des événements ont lieu (idylles, marées noires, footing, noyades). On dialogue sur quelques points de morale et d’esthétique. C’est donc du roman (quoique tué dans l’œuf). Mais en vers. Ces vers sont métrés (mais impairs, non mélodiques), rimés (même si souvent par acrobaties bouffonnes) et distribués en quelques centaines de quatrains.)
Note de lecture :
Après la polémique avec Jacques Roubaud ("poésie écrite" versus "poésies scéniques" : cf. Disputatio) et après ses entretiens avec Bénédicte Gorrillot (Christian Prigent, quatre temps) dans lesquels il déclarait à la fois préférer son travail en prose et garder un faible pour la chose poétique, cette Météo des plages était attendue… Sous quelle bannière la ranger ?
Le coup de dé prigentien se révèle évidemment plus carnavalesque que mallarméen : il importe au poète de détrouïre le représentable et sa version (en)chantée à "coups de dé/bris de vocabulaires" (p. 99), de coupes et découpes, de flashes et de clashs, de télescopages et de dérapages, d’homophonies et de cacophonies babéliennes… Le dé-lyre suppose en outre de renoncer aux "souffleries dans les conques" pour se contenter "du clapotis quelconque" (107).
Derechef, drapeau vert pour cette Météo des plages qui réinvestit la poésie métrée pour introduire une béance entre ordre rythmique et ordre syntaxique, et nous tape dans l’orœil, même si elle se refuse à faire entendre la voix-de-l’écrit ! Ces quatorze stations encadrées par un prologue et un épilogue se placent bel et bien à l’enseigne de l’œuvre, dans le sillage aussi bien de L’Âme (2000) que de Commencement (1989) et Demain je meurs (2007) : forme acérée, écriture vaporisante, univers originel (St Brieuc et la figure du père, périple d’Eros en Moby Dick, érotisme et mythologisme…).
[+] Anne PORTUGAL, La Formule flirt, avril 2010, 96 pages, 13 €, ISBN : 978-2-84682-322-7.
Présentation éditoriale : Ce nouveau recueil d’Anne Portugal évoque le tremblé des choses, il est construit à partir de textes qui vont deux par deux, se font face à face. Différents ils portent le même titre et se croisent en se frôlant, un peu à la manière de Jane et de Tarzan qui chacun sur sa liane va de son côté mais ils s’approchent de si près cependant, s’effleurent, cela s’appelle le flirt. On pourrait dire qu’il s’agit de ne jamais conclure, de ne jamais figer, de ne jamais entrer dans la chronologie dramatique : rien ne commence, rien ne peut s’arrêter. Tout est en suspens, fugitif, évanescent : on peut appeler ça la poésie, une certaine formule flirt de la poésie, cela pourrait être l’amour.
Premières impressions : Dans une forme apparemment normée (quintils, sizains, septains et huitains hétérométriques), Anne Portugal se plaît à court-circuiter nos habitudes mentales, à savoir nos schèmes de perception comme notre lexique usuel et le rythme poétique de bon aloi. D’où les salutaires coupes, découpes et télescopages… Un exemple d’énoncé décapant : "il explique effort recomposé c’est moi / je suis ton accélération diesel" (p. 26).
Le Répertoire des îles, 5. L’Affaire Furtif
► Sylvain PRUDHOMME, L’Affaire Furtif, avec 40 dessins originaux de Laetitia Bianchi, éditions Burozoïque, 2010, 122 pages, 8 €, ISBN : 978-2-917130-30-8.
Après le triptyque de lancement et L’An 2440 de Mercier, voici une cinquième livraison tout aussi réussie. En marge de cette parution, on pourra se rendre à l’Exposition des dessins de Laetitia Bianchi pour L’Affaire Furtif, ainsi que des originaux de son livre publié par L’oeil électrique, Le Livre des serpents et des échelles (jusqu’au lundi 31 mai 2010, Librairie Atout Livre : 203 bis, avenue Daumesnil 75012 Paris).
Présentation éditoriale : Au début, un voilier prend la fuite.
Ensuite, il y a la poursuite, l’effervescence, les hélicoptères, la surenchère des médias, les questions des politiques, les rebondissements de l’enquête, le bazooka de Bob Laventure, une mort violente, du sexe torride. Puis c’est l’oubli et dix années passent. Des traces des passagers du Furtif réapparaissent. Que sont-ils devenus ? Sur le minuscule archipel où ils étaient venus s’échouer, à l’extrême sud de l’Atlantique, la mission de recherches se transforme en chantier archéologique. Resurgissent le journal de bord du professeur de linguistique Alma Fitzpatrick, les outils du génial artiste Jo Di Bembo, les cahiers hors du temps du botaniste Toyo Sôseki, un traité d’anarchitecture, les notes ultimes d’une musicienne de renom…
Maniant l’énigme et l’humour, jouant des registres, alliant le burlesque et le poétique, Sylvain Prudhomme nous livre avec L’Affaire Furtif une robinsonnade transposée dans le monde d’aujourd’hui, roman d’aventures aux allures tantôt de conte philosophique, tantôt de fable sur les formes de vie possible…
Premières impressions : Ce récit court à la fois drôle et critique ressortit au récit d’aventure, à l’enquête policière, au journal de bord, au conte philosophique, ou encore au traité fantaisiste, pour nous interroger sur nos temps modernes. On retiendra surtout la révélation sensualiste de Sôseki, qui rappelle l’extase mystique de Roquentin devant la racine de marronnier ("Je ne regardais plus seulement la plante : j’étais la plante", p. 76), et l’anarchitecture de Spassky, qui célèbre la "vacance de savoir", retenant "le côté bricoleur de Robinson, sans son côté architecte"…
Se mettre en gage pour dire le monde. Colloque international Annie Ernaux (Fribourg, Suisse)
Après les colloques d’Arras (Annie ERNAUX : une œuvre de l’entre-deux, 2004) et de Toronto (Annie Ernaux. Perspectives critiques, 2009), ce dernier semble prometteur au vu de la problématique retenue.
Argumentaire :
Comment lire Annie Ernaux, comment étudier cette œuvre située "entre la littérature, la sociologie et l’histoire", sinon en traversant résolument les champs disciplinaires, confrontant ainsi non seulement nos méthodes d’analyse et nos horizons théoriques, mais aussi les possibilités "et les limites" épistémologiques de nos approches respectives ?
La perspective retenue pour cette journée d’étude est celle de l’engagement de l’écrivaine et de son œuvre : sa portée idéologique, ses modalités littéraires et rhétoriques, son efficacité politique aussi. Que signifie le fait de "se mettre en gage" dans et à travers la littérature? Quelles sont les formes de l’écriture engagée aujourd’hui, un demi-siècle après Sartre ? Jusqu’à quel point l’héritage bourdieusien informe-t-il l’entreprise littéraire d’Annie Ernaux au-delà de ses célèbres récits sociologiques comme La Place ou Une Femme ? Faut-il partir de l’idée d’un projet d’écriture cohérent, des romans du début jusqu’aux Années (2008), ou au contraire d’une œuvre marquée par une constante volonté de remise en question, plus peut-être au plan formel que dans ses choix idéologiques ? Ce sont à ces questions, entre autres, que cette journée d’études essayera d’apporter des réponses en proposant un jeu croisé d’éclairages provenant tantôt de la littérature, tantôt de la sociologie.
Renseignements pratiques : Université de Fribourg, Suisse.
Vendredi 21 mai 2010
– 08h30 à 17h30 : Espace Guggi, salle 0101, Av. de Rome 6, 1700 Fribourg
– 19h15 à 21h00 : discussion publique avec Annie Ernaux : Auditoire C, site de Miséricorde, Av. de l’Europe 20, 1700 Fribourg
Samedi 22 mai 2010
– 08h30 à 12h30 : Espace Guggi, salle 0101, Av. de Rome 6, 1700 Fribourg
CONTACT : tsps@unifr.ch – tél +41 / 26 300 7780
Programme :
Vendredi 21 mai
08h30-9h00 : Thomas Hunkeler, Université de Fribourg Propos introductifs
Première session : Discutant Michel Viegnes, Université de Fribourg
* 09h00-10h30 : Michèle Touret (Université de Rennes), L’abolition de la distance : lectrice ou critique ?
* 11h00-12h30 : Franz Schultheis (Université de Saint-Gall), Annie Ernaux – Pierre Bourdieu : les affinités électives entre deux formes d’auto-socioanalyse engagée
Deuxième session : Discutant Peter Frei, Université de Fribourg
* 14h00-15h30 : Francine Dugast-Portes (Université de Rennes 2), Annie Ernaux : les choix littéraires comme ‘mise en gage’ de soi et convocation du monde
* 16h00-17h30 : Delphine Naudier (Centre national de la recherche scientifique, Paris), Annie Ernaux: une oeuvre et un engagement accordés au féminisme
* 19h15-21h00 : Discussion publique avec Annie Ernaux, "L’intime est encore et toujours du social"
Samedi 22 mai
Troisième session : Discutante Vivianne Châtel, Université de Fribourg
* 08h30-10h00 : Jérôme Meizoz (Université de Lausanne), Annie Ernaux : posture de l’auteure en sociologue
* 10h30-12h00 : Danilo Martuccelli (Université de Lille), Les deux Annie Ernaux : le personnage social à l’épreuve
* 12h00-12h30 : Marc-Henry Soulet (Université de Fribourg), Propos conclusifs.
Libr-événement
Dans le cadre du Festival de Poésie Sonore de la Maison de la Poésie de Paris (hors les murs), parl# associe de la poésie de bête à l’énergie rock… où l’écriture, l’organicité de la parole, le "têté pète lang" de Fred Griot (txt & vox), croise avec la musique, les atmosphères sonores de Yann Féry (guitare électrique), et les rythmes fouillés, mordants, d’Eric Groleau (batterie)…
On ira chercher malaxer pétrir la langue dans le tube à souffle. la laisser couiner enfler. la faire sonner sonore.
Une performance épurée, nourrie de poésie brute et d’énergie rock, qui sonne en bouche, résonne en tête. une recherche textuelle, musicale, sonore et scénique, qui croit en la fluidité d’écoute, la capacité de partage, qui vise à composer une littérature de scène.
► FESTIVAL DE POÉSIE SONORE / parl#, 28 mai 2010, de 19H à 22H, La Dynamo des Banlieues Bleues (9, rue Gabrielle Josserand 93500 Pantin). [Réserver]