[News] En toutes lettres...

[News] En toutes lettres…

juin 10, 2010
in Category: chroniques, Livres reçus, News, UNE
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En cette seconde partie de semaine, "en toutes lettres" à la fois renvoie au Festival parisien (Ernaux / Eribon ; hommage à Federman) et peut qualifier le projet de Michelle Grangaud dans Les Temps traversés (P.O.L), qui paraissent aujourd’hui même en librairie.

Festival Paris en Toutes Lettres

Parmi les diverses manifestations (notamment sous le label "Littératures en scène" et "Le Paris des libraires"), on retiendra ces deux rencontres des samedi 12 et dimanche 13 juin 2010 :

► CENTQUATRE (104 rue d’Aubervilliers-5 rue Curial, Paris 19ème) : 12 juin 2010, 18h30 : Annie Ernaux (Les Années) & Didier Eribon (Retour à Reims, Fayard, 2009).

Présentation de la Rencontre sur le site de Gilbert Quelennec autour de Pierre Bourdieu :
"Je suis un fils de l’injure. Un fils de la honte", écrit Didier Eribon dans Retour à Reims. Ce récit intime commence après la mort de son père et il part sur les traces d’une histoire qu’il a écartée, refusée : celle de son enfance dans un HLM à Reims, avec un père à l’usine, une mère femme de ménage. Cette honte sociale et politique, les formes de domination qui y sont liées, ce sont aussi celles qu’Annie Ernaux a explorées, dans La place et dans La Honte notamment. Cette rencontre est l’occasion de faire dialoguer deux écrivains qui font, à leur manière, œuvre de sociologues, et déchiffrent la fabrique des identités avec un puissant talent littéraire.

► Dimanche 13 juin, 18H-19H : en l’absence de Raymond FEDERMAN (1928-2009) [CENTQUATRE, Atelier 7]

Après avoir échappé à la rafle du Vél’ d’Hiv, Raymond Federman (Montrouge, 1928 – San Diego, 2009) embarque pour les États-Unis où il sera ouvrier, champion de natation, joueur professionnel, saxophoniste, parachutiste puis professeur spécialiste de Beckett. Et surtout écrivain, maniant la langue en "triste fourire" pour ne cesser de conter, avec verve et émotion, des histoires généreuses tissées du matériau de sa vie. À travers des lectures d’extraits de Chut, La Fourrure de ma tante Rachel et des Carcasses (coll. LaureLi, Léo Scheer) c’est l’occasion de découvrir l’œuvre de cet écrivain essentiel. (L. Limongi)

Libr-parution du jour, par Fabrice Thumerel

Michelle GRANGAUD, Les Temps traversés, P.O.L, 10 juin 2010, 168 pages, 21 €, ISBN : 978-2-8180-0485-2. [écouter l’interview de l’auteure mise en ligne sur Youtube par Jean-Paul Hirsch]

Présentation auctoriale :

" Le magnifique dictionnaire historique d’Alain Rey, paru en 1998, est la base sur laquelle l’ensemble du travail présenté dans Les Temps traversés, a pu être réalisé. Il se trouve que ce que les oulipiens nomment les bimots (substantif + adjectif) sont très présents, dans ce dictionnaire, datés, et en quantité suffisante pour qu’il soit possible d’en tirer des poèmes en forme de "Morale élémentaire", forme inventée par Raymond Queneau dans les dernières années de sa vie, et forme spécifiquement visuelle. Forme conçue pour la lecture silencieuse (les yeux seuls, avec le secours éventuel de l’oreille interne), lecture plus recueillie que l’autre.

Les morales élémentaires ici présentées sont millésimées, comme les vins, c’est-à-dire que, pour chacune tous les mots qui y sont utilisés (à l’exception des mots outils, articles, prépositions, conjonctions, verbes auxiliaires, etc.) proviennent d’une même et unique année ; parfois, mais exceptionnellement, quelques années (une dizaine au maximum, le plus souvent deux ou trois) sont réunies pour former un seul poème.

La langue y apparaît pour ce qu’elle est en permanence, un cru délicieux. Cette œuvre séculaire qu’est la langue française, presque entièrement anonyme, et d’ailleurs collective, possède indiscutablement, comme toutes les autres langues du reste, un charme surpuissant " (p. 8).

Note de lecture :

Moine gyrovague (1501 : "moine errant"), purée septembrale (1534 : c’est ainsi que Rabelais désigne le vin), enfants rouges (1690 : jeunes mousquetaires du roi), humeurs spermatiques (fin XVIIe siècle), rhume ecclésiastique (1718 : vérole), talon rouge (1793 : "aristocrate aux bonnes manières"), maladie bronzée (1867 : cardiopathie)… Ces quelques exemples de bimots savoureux ne constituent qu’une infime partie des joyaux que nous offre cette oulipienne traversée du lexique français. Ainsi apprenons-nous par ailleurs que le terme générique de "nature" apparaît dès 1580 ; que l’"esprit critique" surgit en plein règne de Louis XIV (1664-1667) ; que le mot "lumière électrique" précède la chose de plus d’un siècle (1749) ; que le "journal intime" est une création de Benjamin Constant (1803) ; que la "littérature générale" et la "musique moderne" accompagnent l’émergence du romantisme (1820-1821) ; que la SPA est fondée la même année que furent condamnées Madame Bovary et Les Fleurs du Mal (1857) ; que la "littérature futuriste" est née la même année qu’Ubu roi d’Alfred Jarry (1896), tout comme la "cellule migratrice" et la "névrose obsessionnelle" ; que l’"écriture spéculaire" date de 1904, les "effets spéciaux" de 1912-1913, l’"avant-guerre" de 1913 (mais rien ne nous est dit de l’"avant-garde" en tant que révolution esthétique, remontant à 1875)…

Bien que cette somme érudite s’arrête en 1904, elle nous livre un invariant qui nous permet d’appréhender l’histoire récente : le "parallélisme entre la montée d’un idéal démocratique et le développement de la langue" (p. 7). En ces temps de régression démocratique, on comprend donc que puisse triompher cette langue appauvrie stigmatisée comme novlangue par bon nombre d’auteurs actuels dont se fait l’écho LIBR-CRITIQUE : Jaime Semprun (Défense et illustration de la novlangue française, éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2005), les sociologues sous la direction de Pascal Durand (Les Nouveaux Mots du pouvoir, Aden, 2007)… Yves Buraud, Sylvain Courtoux, Manuel Joseph, Valère Novarina, Christian Prigent, Xavier Serrano…

Contre la conception du style comme idiosyncrasie, Michelle Grangaud fonde l’acte poétique sur le trésor de la langue française. Quoique ce volume ne recoure pas aux mêmes techniques ni ne vise les mêmes effets critiques que les dispositifs postmodernes, il constitue cependant, en un sens plus traditionnel, un document poétique : à partir d’un corpus historiolexicographique, l’oulipienne opère une suite de  prélèvements-agencements. Parmi les effets typographiques les plus saisissants, notons ce genre de télescopages : "Langue maternelle       Ligne droite       Accord parfait" (12) ; "Art moderne       Vice suprême       Spectre magnétique" (107) ; "Pont traversé       Facteur létal       Jardin secret" (122) ; "Stade phallique       Cantatrice chauve       Point vélique" (138)… Quant au petit texte central de chaque page, il se présente comme sociologiquement emblématique ou tout à fait surréaliste :

"Le laboratoire
individualise
sur tempo symétrique
l’hermaphrodisme
des Poids et Mesures
et du point
d’exclamation" (1765 ; p. 56).

"Dans la pénombre
du décor
on va razzier
socialiser
et nationaliser
tous les instruments
de travail" (1842 ; p. 84).

"La psychanalyse
est comme une
hémoculture
objectivable
du bracelet-montre
de la poisse
et du puzzle" (1908-09 ; p. 115).
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rédaction

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