[Chronique] Christian PRIGENT & Mathias PÉREZ, Quatre caisses d'espace

[Chronique] Christian PRIGENT & Mathias PÉREZ, Quatre caisses d’espace

juillet 8, 2010
in Category: chroniques, UNE
2 2159 2

Christian Prigent et Mathias Pérez, Quatre caisses d’espace, Carte Blanche, juin 2010, tirage limité à 500 exemplaires numérotés et signés, 70 €.

Mathias Pérez, le peintre qui dirige et les éditions Carte Blanche et la revue Fusées – dont nous nous apprêtons à rendre compte du dernier numéro – fait partie de ces rares passionnés à qui nous devons encore de rares éditions pour bibliophiles. Ce livre original est le cinquième en collaboration avec son ami Christian Prigent, dont le texte, quoique né d’une commande du Centre National d’Études Spatiales, se présente comme un art poétique.

"L’espace est resté voyou : il est difficile d’énumérer ce qu’il engendre" (Georges Bataille).

"Ne meurt que ce qui se mesure" (Caisse 3).

Trouée blanche et grise dans l’univers numérisé, cet ouvrage artisanal s’offre à vous comme une voûte poétique à huit caissons : l’octave vous ouvre (vers) l’infini… Vous ouvrez cette boîte de Pandore que constitue la couverture à rabats… et, à l’intérieur de chaque cahier cartonné (de chaque "caisson"), le jeu de miroirs entre encre noire et encre de Chine vous plonge dans un vertigineux tourbillon sidéral/infinitésimal, où l’on croise "exoplanètes, endogamètes, / Magnétosphères & mutagènes"… Le poète et le peintre se confrontent à une materia prima combinant les deux infinis ; dans cette tétralogie picturale/scripturale, le délié du texte décousu main comme du geste artistique nous ramène à l’essentiel : être/non-être, matière/anti-matière, fini/infini, actuel/virtuel… Rien d’étonnant de la part de Christian Prigent, hanté qu’il est depuis toujours par le "trou d’illimité vers où / Tout s’évanouit"…

Aucun transport de l’esprit et d’essence ; nul envol "vers les empyrées", nulle exploration métaphysique, nul portrait du poète en astrophysicien (en Affrophysicien plutôt !) : cap Canaveral via Carnaval ! "Cap au pire ! Cap au pire !" Au ras des chieries et des vacheries… L’essentialisme comme la célébration n’étant pas de mise, restent la trouée phonoptique, les fulgurations/déflagrations formelles… Visées : "désintégrer la bavasse / Qui tout autour nourrit la crasse", accélérer et faire exploser les particules signifiantes… faire décoller les fusées dans le ciel vide ; lancer du vide, non du plein… C’est dire que cette traversée de l’espace est avant tout traversée de l’espace poétique, avec clins d’œil malicieux à Shakespeare, Verlaine, Apollinaire ou Breton… et ces interrogations primordiales :

"comment faire comment
Former l’espace dans
La langue si formant
L’espace un vent
D’outre-langue délie
De la langue la langue et crie :

Que rien ne pèse ni ne pose
Sur le roulis des nébuleuses,
Que la langue en musique explose
Et que le ciel de ça se creuse."

, , ,
Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

View my other posts

2 comments

  1. Bruno Fern

    Au moins ça change des poseurs et des peseurs divers et variés ! Une justesse, en effet, démesurée.

  2. claude favre

    Et ce qui change -une langue à s’y perdre champs batailles- c’est de lire aussi Bruno Fern.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *