[Dossier] De la démo(n)cratie en France (5/5)

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septembre 10, 2010
in Category: chroniques, créations, UNE
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Cahier républicain, par Philippe RAHMY

Nous tenons à remercier vivement Philippe RAHMY (sur LC : ici) de nous avoir donné en avant-première des extraits de son travail en cours, une réflexion d’une force critique exceptionnelle qu’il nomme son Cahier républicain. Après un avant-propos présentant le projet, on trouvera une suite de rubriques comme autant d’articles de lois, qui établissent un constat sans appel tout en posant les bases d’une utopie révolutionnaire – inédite puisque fondée sur la constitution. [Avec un dessin de Joël Heirman, dont on visitera le site]

Avant-propos au Cahier républicain

Nous avons tous des chantiers annexes. Ils ne sont pas mineurs. Ce qui s’y accumule nous fait tels que nous sommes, agrégats de segments psychologiques, moraux et politiques assemblés par notre travail et brassés par nos projets.

Quand je me demande ce qui compte le plus pour moi, je dois admettre qu’il ne s’agit pas de la littérature à laquelle je consacre portant le peu de forces que j’ai. J’ai déjà évoqué ce rapport entre les facultés physiques et l’ambition littéraire dans mes premiers livres. N’en parlons plus. Non. Ce qui compte vraiment à mes yeux est la haine que m’inspire l’abus d’autorité et la guerre instinctive que je livre à ceux qui tirent jouissance de la domination. La nature m’ayant fait cadeau d’un corps incapable de violence, je ne suis devenu ni redresseur de torts, ni bandit de grand chemin. Je lutte avec mon âme. J’ai pratiqué un trou dans le rideau par lequel je regarde la salle emplie de spectateurs. Quand le rideau s’ouvrira, le spectacle sera à la hauteur des attentes du public. Que veut le public ? Se changer les idées. Mais que cherche-t-il vraiment, par delà les distractions éphémères? Une consolation durable. Une forme complexe de reconnaissance publique, différente pour chacun, nécessairement arbitraire et capricieuse, mais portée par le sentiment commun de la justice. À l’échelle d’un peuple, ce sentiment diffus se matérialise dans la loi. À l’échelle d’un état, cette loi s’enracine dans la constitution.

Le Cahier républicain dont je livre ici quelques extraits témoigne de ma passion pour la justice. Arrivé au milieu de ma vie, je fais le serment de prendre l’humain pour idéal et sa liberté pour but. Les moyens pour y parvenir sont connus. Mais personne n’est, individuellement, à la hauteur de la tâche. Si j’ai de la chance, je vivrai la révolution qui mettra le régime actuel à terre. Si j’ai encore plus de chance, cette révolution se saisira des armes intellectuelles capables non seulement de renverser la tyrannie, mais de réconcilier durablement la république avec l’équité.
Qui vivra, verra.

Cahier républicain

Généralités

[…] La constitution dont un peuple se dote consiste dans l’application et la garantie des droits et des devoirs en-dessous desquels ce peuple ne peut constituer un état. Ces droits et ces devoirs sont dits légitimes en ce qu’ils fondent l’ordre social. Les représentants du peuple ne sont pas au-dessus, mais au-dessous des citoyens. Le pouvoir dont ils sont dépositaires les astreint à renoncer à tout privilège, hormis celui d’exercer leur charge. Leurs besoins en termes de logement, de salaire et de protection, sont couverts à hauteur du minimum garanti à chaque citoyen par la loi. […]

Généralités (suite)

[…] L’homme dépasse l’asservissement en reconnaissant l’importance, c’est-à-dire le danger, de ce qu’il refuse. La faiblesse des mouvements de libération, et, par conséquent, de la démocratie, est d’avoir cru, ou feint de croire, en une victoire définitive. Mais l’élan généreux s’épuise. Il se trouve à terme confronté à des forces spectaculaires qu’il n’a pas les moyens de combattre, ces forces se présentant au peuple affamé comme de nouvelles libertés. Walter Benjamin écrivait : "L’espoir ne nous est plus donné que par les désespérés." Puis le fascisme a fait taire le désespoir. […]

L’état (suite)

[…] Le pouvoir des représentants du peuple s’est abaissé à hauteur du pouvoir de l’homme. Il est autoritaire et partial. La fonction du gouvernement n’est plus d’orienter et de répartir les forces et les ressources humaines et naturelles au bénéfice de l’ordre social, mais d’exercer une puissance tyrannique sur l’ensemble de la république jusqu’à lui faire oublier la puissance légitime de la loi. Le gouvernement français n’a pas à être combattu, il n’existe plus. Son but n’étant pas de protéger la constitution et de conserver l’état dans l’intérêt public, il doit être reconnu comme ennemi mortel de la république et combattu jusqu’à ce que la liberté victorieuse enfante un ordre digne d’elle. […]

Le citoyen (suite)

[…] Chacun sait le gouffre dont il faut sortir. Il n’est plus temps de faire l’état des lieux. Comprendre ne suffit pas à provoquer l’insurrection. […]

On ne peut abolir pour toujours le règne du crime et de la tyrannie. On ne peut se munir de lois si fières, si magnanimes, si terribles, qu’elles terroriseront durablement les malfaisants. Chaque avancée de la liberté est sapée par le versant vulgaire de la nature humaine, le goût de l’esclavage, de la restauration et de l’ornement, par la haine de l’intelligence poussant les peuples à prendre leur destinée en mains. On reconnaît le despote à ce qu’il réduit l’ambition populaire, la volonté collective d’émancipation, au projet délirant d’esprits immatures, dispersés en fractions isolées et contradictoires précipitant la société dans le chaos.

La vertu publique n’est ni l’amour du prochain, ni l’amour de la justice. Elle est l’application scrupuleuse, inlassable, des droits fondamentaux de la constitution. Quant aux devoirs du citoyen, ils ne sont pas à rappeler. Ils coulent de source pour quiconque voit ses droits garantis par les représentants du peuple. Un tel citoyen n’existe plus à l’heure actuelle.

Je ne connais pas un seul opprimé qui ne soit passionné. L’alliance fraternelle entre les citoyens possède l’âme forte des innocents qu’on condamne. Le temps pour le crime est révolu. L’état sait la défaite certaine. La force affolée qu’il exerce contre le peuple se brisera bientôt contre l’esprit de révolte. […]

La démocratie (suite)

[…] La corruption d’un état démocratique se mesure à l’abattement de son peuple. La société politique, c’est-à-dire l’ensemble des citoyens, pourtant libre de son opinion, est prise au piège d’une lente érosion de l’esprit républicain entretenue par ceux qui en ont la charge. Il en découle que les élus, s’affranchissant de leur mandat de protection des institutions, s’en tiennent à préserver les avantages de leur fonction, nourrissant une grandeur d’apparat d’autant plus démonstrative qu’elle ne se soucie pas d’équité. Toute juste plainte les visant est ainsi neutralisée : d’une part, le citoyen n’a d’autre recours que celui des élections, alimentant ainsi la machine dont il subit cruellement le dysfonctionnement, d’autre part, on lui répond que les vices qu’il dénonce sont la rançon du meilleur système qui puisse exister. S’il persiste dans sa plainte, il se voit lui-même accusé de penchants dictatoriaux. Alors le citoyen se résigne, jusqu’à ce qu’il se laisse séduire par ceux qui, invariablement au service des oppresseurs, promettent une société meilleure au prix de la démocratie. La faute, à supposer qu’il y ait faute et non crime, n’incombe jamais au peuple, victime de l’atrophie démocratique orchestrée par l’état. Le citoyen n’est pas aveugle, mais il est désespéré. […]

Le sentiment d’impuissance collective alimente une violence que l’état se garde d’affronter, trop occupé à entretenir l’inégalité des fortunes. La répression policière entérine la dégradation d’une majorité de la population par les mots de racaille, de pauvre con, de populace, rappelant au monde bien-né ses privilèges sur l’humanité. Que le gouvernement se saisisse aujourd’hui des attributs de la domination pour exercer un pouvoir qui ne peut être appelé illégitime en ce qu’il exprime la majorité de ceux qui font encore l’effort de voter, mais qui doit être appelé inique parce qu’il répond à une logique opportuniste profitant du découragement populaire, est dans l’ordre des choses. Le peuple partage une vision crépusculaire de la démocratie. L’état accumule les infractions aux premiers principes constitutionnels. […]

La démocratie (suite)

[…] Après que la république a été fondée par la révolution de 1789, puis conservée par ses premiers gouvernements, elle fut mise en péril, avilie, abattue, mais elle s’est relevée. La voici, à nouveau, plus que menacée, déjà partiellement dévorée par les chiens. Nous avons cependant la chance de nous souvenir de nos erreurs passées. Nous ne cherchons plus les chiens parmi le peuple. Ils n’y vivent pas. Ils n’y ont jamais vécu. Où sont les chiens ? Ils se sont retranchés au-dessus des lois, dans la citadelle des pouvoirs exécutif et législatif, ennemie des principes de la constitution. L’ordre qui en découle n’a pas à être qualifié. Il incarne la défaite du peuple.

Chacun connaît les symptômes qui mènent aux révolutions. L’honnêteté foncière du peuple l’empêche de reconnaître ces mêmes causes au cœur de son époque, ou, s’il les voit, d’admettre qu’elles ont atteint le seuil intolérable. Quelle humiliation le peuple doit-il encore endurer pour éveiller son instinct de survie ? C’est la question que lui pose le pouvoir félon au moment des élections dont il rabaisse la nature et le fonctionnement au rang de mascarade. Quelle liberté y a-t-il à choisir entre un mal et un mal pire ? Aucun. Il n’y a que la honte de participer au meurtre de la démocratie.

Vient le temps où chaque voix qui s’exprime dans l’urne doit se faire entendre dans la rue. La volonté populaire est souveraine dans son contenu comme dans sa forme. Elle demeure légitime quand elle s’affranchit du simulacre électoral qui la maintient sous le joug du pouvoir oppresseur. La démocratie ne doit plus se renier en élisant des chiens. Elle doit se ressaisir de l’intérêt public en réconciliant les humains avec la liberté, l’égalité et la fraternité. […]

La justice (suite)

[…] Qui parle pour l’homme ? Personne sinon lui-même quand il se donne des lois. La forme aboutie du langage est la loi, parole sans sujet au service de l’humain. Qui parle pour l’homme aujourd’hui ? Ceux qui bafouent la loi.

Les pouvoirs exécutif et législatif ont cessé de représenter l’ensemble des citoyens. Ils fonctionnent à la manière des conseils d’administration dont les membres sacrifient l’intérêt général aux ambitions partisanes. Ils n’incarnent plus ce grand corps souverain d’aspirations contradictoires à travers lequel s’exprimait la volonté populaire. Cette volonté a changé dans des proportions telles qu’elle n’ajuste plus la conscience morale des individus aux lois républicaines. Le sens de la justice se heurte désormais à la loi ressentie comme arbitraire, dont on oublie qu’elle n’est pas infaillible. Étant donnée l’échelle, il n’est de loi juste qui ne soit aussi imparfaite. L’effort du magistrat doit porter sur ces imperfections de manière à ce qu’elles se répartissent équitablement sur l’ensemble de la société. La justice pour tous suppose une attention particulière aux droits des citoyens les plus faibles et aux devoirs des plus aisés. […] La justice est l’absolu à dimension de l’homme. […]

Le soulèvement des juges (suite)

[…] Nous avons appris des révolutions passées. Chaque tyrannie porte le germe qui élèvera le peuple à hauteur de ses droits. Discerner ce germe est chose difficile, tant nous fait horreur l’apparence de sagesse qui voudrait concilier l’esprit révolutionnaire avec tel ou tel élément de l’ordre ancien. L’entêtement, voire l’aveuglement révolutionnaires, valent mieux qu’un début de complicité avec l’adversaire qui aboutit à la compromission. Il arrive toutefois qu’un fruit entièrement blet conserve quelques pépins dignes d’être replantés. Ces exceptions se reconnaissent au respect instinctif qu’elles inspirent au peuple même quand il est porté par l’action libératrice la plus frénétique.

Maintenant que la France est privée de gouvernement, plus rien ne pousse le peuple à demeurer fidèle aux buts de la constitution. Cette situation peut durer ce que dure la course d’une poule à laquelle on a tranché la tête. Un éclair au regard de l’histoire, une éternité pour le citoyen. Qu’il suffise désormais d’exhorter les magistrats à rallier le peuple aux principes de la loi. […] Infiniment nombreux seront les bénéficiaires de la paix sociale si la révolution se choisit des guides capables de la mener à bon port sans effusion de sang. Que la révolution compte ses amis et ses alliés dans la mêlée. Demandez à l’homme de la rue quel pouvoir lui inspire encore le respect. Un mot vient sur toutes les lèvres, le pouvoir judiciaire. La révolution prendra pour armes la loi et les juges pour champions. […]

Le soulèvement des juges (suite)

[…] Le pouvoir judiciaire est le seul qui offre encore protection et défense. Parce que le magistrat voit chaque jour la misère et qu’il a pour mission de la soulager, il est le représentant du peuple qui a su conserver l’esprit des pères de la constitution. Son devoir premier, dont découlent non seulement l’efficacité de la justice, mais la légitimité même de l’institution judiciaire, est de veiller à ce que les moyens de la corruption d’état n’accaparent jamais les richesses de la république. […]

Le soulèvement des juges (suite)

[…] Je ne vois qu’une forme d’insurrection juste qui préserve la société de l’embrasement. Peut-être vaudrait-il mieux, d’ailleurs, que tout flambe, tant la maison est pourrie, tant les droits imprescriptibles de l’homme et le développement de ses facultés appartiennent désormais à ceux qui détiennent sa liberté. Le monarque est mort, le bourgeois est roi, l’ouvrier se tue, le paysan se vend, la jeunesse tremble, l’ordre triomphe. Il reste pourtant une chance. Elle ne durera pas longtemps. Résidant au centre de l’immense population et délibérant sous ses yeux, mesurant chaque jour le degré d’abandon d’une multitude de citoyens, la législature travaille sans publicité. L’âme du juge est la vertu. Son but est de consolider la République. Ce rêve commun est devenu le cauchemar de quelques hommes et femmes consacrant leurs forces au maintien de l’équité. Il est de leur devoir de rappeler que la vertu veut la paix publique, et que la loi exige l’éradication définitive des ennemis du pacte social. […] Les juges seront entendus par le peuple qui les investira du pouvoir exceptionnel d’attaquer l’édifice qu’ils ont jusqu’alors défendu, et de vivifier l’équité et l’espérance révolutionnaires au moyen des textes nés de la révolution dont ils sont les gardiens. […]

Révolution (suite)

[…] Contrairement au coup d’état, souvent perpétré avec violence contre l’intérêt général, la révolution n’est pas la simple mise à terre de l’ordre établi. Elle demande, au contraire, le concours de chaque citoyen exprimant le désir de répondre à l’appel de la constitution. Il se peut que cette réponse devienne violente par excès. Le sang versé au nom de la liberté reste un crime. Mais ce crime se distingue de ceux commis de sang-froid par la tyrannie. Il est la conséquence accidentelle d’une ferveur salvatrice portant le peuple vers la liberté. Une fois la liberté conquise, l’alliance des puissants est naturellement portée à saper l’action mesurée des tribunaux ordinaires. Le tribunal révolutionnaire ayant mené la guerre aux ennemis de la république ne doit pas être révoqué, mais siéger en permanence au sein de la démocratie apaisée. Le glaive de la loi tiré contre l’oppresseur doit continuer à briller pour ceux qui voudraient contester la victoire de la démocratie. […]

Révolution (suite)

[…] La révolution est la démocratie brandissant les armes chaudes de la loi. […]

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rédaction

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