Le Matricule des Anges, Montpellier, n° 116, septembre 2010, 52 pages, 5,50 €.
Mouvement, Paris, n° 56 : "Du possible, sinon j’étouffe", été 2010, 192 pages, 9 €.
Il vous reste au moins une semaine pour vous procurer les derniers numéros très critiques du Matricule et de Mouvement, revue toujours aussi indisciplinée. /FT/
"Auschwitz, Oswiecim : des noms de lieux. Bien trop de lieux. On pourrait dire aussi : de non-lieux. Et la poésie ? […] La poésie comme un plafond déguisé en ciel. […] Oh, la poésie nous restait sur l’estomac, comme une pierre" (Claro, CosmoZ, Actes Sud, été 2010, p. 430-431).
Pour n’être pas encore complètement inhabitable, notre monde est-il pour autant vivable ? Les horreurs du XXe siècle – que traversent les personnages de Claro dans OsmoZ – ne laissent nullement place au meilleur des mondes. La roue de l’Histoire tournant sur elle-même, on assiste au retour d’un pétainisme rampant. D’où cette phrase remarquable de Thierry Guichard, le directeur du Matricule : "Quand l’ordre public sent la charogne, il ne protège plus que les charognards." Suit un dossier intéressant sue le CosmoZ de Claro, avec en particulier un entretien passionnant de bout en bout entre l’auteur et Thierry Guichard.
"Il nous faut refuser un destin de bétail cognitif en faisant plus de vagues et moins de vogue" (Gilles Châtelet, Les Animaux malades du consensus, Lignes, 2010).
Puisque "le crash suit son cours", Mouvement récidive, emboîtant le pas au numéro 55 que l’on avait commenté il y a quelques mois (ici). Ce dernier numéro part d’un constat : "Le dogme libéral n’a pas changé d’un iota : pendant que quelques-uns s’enrichissent effrontément, il faudrait réduire les dépenses publiques." La révolution qu’appellent Jean-Marc Adolphe et David Sanson s’appuient sur ces deux évidences qu’il convient de marteler : "Primo, qu’en ces temps d’obscurcissement des horizons, la création contemporaine que nous aimons et défendons reste cette énergie indisciplinée et effrontée qui s’affranchit des consensus. Secundo, que l’alternative politique et culturelle se forge ici et maintenant dans un certain nombre d’initiatives dont la conjonction ouvre de multiples pistes de commencements."
Le "Cours des choses" se fait parfois des plus satiriques : "Un pays qui a désiré se faire gouverner par un psychopathe a bien évidemment les penseurs qu’il mérite. On usera de leurs œuvres et de leurs personnes d’une manière écologique : en bas de nos maisons, elles iront dans le grand bac vert. Celui des ordures non recyclables" (p. 24). Des deux rubriques suivantes, on retiendra l’idée qu’en ces temps de flux financiers, l’art apparaît plus que jamais comme une valeur ajoutée ; la proposition de Jean-Marc Adolphe d’"une réappropriation collective des enjeux de l’art et de l’action" ; les apports des technologies nomades (casques, écrans, MP3…), des interrelations entre sciences et art, de la sortie du livre (Julien Blaine)… Parmi les 104 propositions de François Deck pour renouveler la politique culturelle, retenons : "engager des relations échappant aux stratégies du capital" ; "questionner la substitution de la culture de masse aux cultures populaires" ; "rédiger un code de l’impropriété intellectuelle" ; "substituer la vie au Spectacle"…