[Chronique] Le retour du social...

[Chronique] Le retour du social…

octobre 13, 2010
in Category: chroniques, UNE
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Si pendant des siècles le tabou de la civilisation européenne a été d’ordre sexuel, depuis un quart de siècle il est désormais d’ordre social. La globalisation économique et culturelle a rendu nécessaire le changement de cadre conceptuel (Freud a cédé le pas à Bourdieu).

En ce XXIe siècle naissant, l’antinomie socius / imperatus se manifeste en effet sous une nouvelle forme : les résistances au Nouvel Ordre Mondial sont perçues comme "réactionnaires", les "mouvements sociaux" comme CRACRA (doublement Corporatistes, Rétrogrades et Archaïques)… Et pourtant, comment expliquer le retour du social autrement que par les dégâts collatéraux que l’Ordre plouto-économique a provoqués : la performance entraîne la souffrance ; la série globalité-célérité-fluidité-flexibilité cette autre, inexorablement, pauvreté-insalubrité-instabilité-insécurité – à laquelle le pouvoir techno-populocratique propose comme remèdes Travail-Hygiène-Sécurité… Officiellement, la désintégration du corps social est indispensable pour l’avènement d’un nouveau-Nouveau-Monde, hyper-hypermoderne, où triomphera le HIC (Homoncule Intersubjectif Communiquant), le HGM (Homoncule Globalisé Multifonctionnel), ou le HIT (Homoncule Interactif Transparent).

Au corps social réel – à la masse concrète –, la thermocratie, "régie par les lois de la Physique des foules" (Gilles Châtelet, Les Animaux malades du consensus, Lignes, 2010, p. 67), préfère les flux contrôlables : aux flux marchands et financiers s’ajoutent les flux migratoires, les flux aériens, les flux routiers, les flux touristiques, les flux festifs, les flux de consommation… C’est dire qu’elle privilégie les séries gérables de groupes conformes à ces fictions théoriques dominantes que sont l’homo œconomicus, l’homo mediocris, l’homo communicans, l’homo informatus, etc. ; au collectif – forcément irrationnel et archaïque –, elle substitue l’agrégation d’individus construits comme chairs-à-conso et chairs-à-gogo (clients-panels et citoyens-panels, pour le dire à la manière de Gilles Châtelet).

C’est le corps social incarné dans la réalité triviale que craint toute puissance molaire, en particulier dans ce déferlement incontrôlable du groupe en fusion que peut devenir une manifestation – avec ses trognes, ses pognes et ses hourras ; ses gueules en pétard, ses mines patibulaires, méconnaissables, inhumaines, monstrueuses… un tableau à la Bosch-Bruegel-Zola ! brrr…
Cauchemar : Chute-du-Mur… Révolution-Orange… Grève-Générale…
Réaction contraphobique de la puissance plouto-populocratique : en plus des discours réalistes-fatalistes, le recours à l’arme fatale, l’arme statistique… Comment la Négation statistique fonctionne-t-elle ? Eh bien, c’est tout simple : dès lors que le chiffrage de la vox populi ne saurait plus renforcer le poids statistique de la puissance policonomique, il subit un traitement de minoration radical.

"Et si tous les nomades-zombies redevenaient un Peuple, avec ses chants et ses gros appétits, une membrane géante qui vibre, un monstre porteur d’espoir, une Humanité-pulpe d’où s’enrouleraient toutes les chairs ?" (Gilles Châtelet, p. 48).

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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6 comments

  1. a&deman

    Oui, je sais… La blitzdémolition du programme du CNR de 1945… Mais faut alors réfléchir & analyser aussi pourquoi sarkozy, le MEDEF & le capitalisme (pour faire plus court !), peuvent aujourd’hui se permettre de casser tous nos acquis sociaux
    avec autant de « facilité! »

  2. a&deman

    Oui, je sais… La blitzdémolition du programme du CNR de 1945… moi aussi ça me gonfle sévère grave les boules, mais il nous faut alors réfléchir & analyser pourquoi sarkozy, le medef… & donc par voie de conséquence, le capitalisme (… pour faire plus court !), peuvent aujourd’hui se permettre de casser tous nos acquis sociaux avec une telle « dextérité ! »

  3. Fabrice Thumerel (author)

    Oui, G., il n’a fallu que six décennies pour déconstruire deux siècles de luttes ! La révolution conservatrice, c’est le retour au XIXe siècle, avec son cortège de fléaux (paupérisme, chômage, misère, etc.).
    Dans cette courte chronique satirique/ironique, il ne s’agissait pas de revenir sur un processus déjà analysé – entre autres par Bourdieu. Le progrès matériel à la portée de tous, l’individualisation des relations salariales, la puissance des discours dominants relayés par les médias et la publicité… et donc le triomphe d’un individualisme de masse sont les principaux facteurs explicatifs.

  4. Fabrice Thumerel (author)

    Merci, cher Bruno, pour ce lien très intéressant !
    R. Simone n’est pas tendre pour la gauche, mais il a raison de souligner que les partis autoproclamés « de gouvernement », par leur suivisme libéralisant et leur renoncement à certaines valeurs fondamentales, ont désorienté leur électorat… Cela dit, le problème est plutôt à considérer dans l’autre sens : l’idéologie consumériste ayant triomphé des idéaux, il était devenu difficile d’aller à contre-courant du pragmatisme et de l’individualisme ambiants…

  5. Joël Heirman

    Cet article fait froid dans le dos tant sur le fond qu’on ne connait que trop que sur sa forme… Mais défaire, c’est déjà faire pour nos éminents… l’homo mediocris a d’ailleurs visité Lascaux, il n’y a pas si longtemps…

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