Frédéric VALABRÈGUE, Le Candidat, P.O.L, automne 2010, 224 pages, 16 euros, ISBN : 978-2-8180-0634-4.
Après Christian PRIGENT pour son Demain je meurs paru en 2007 chez le même éditeur [lire mon article sur Prigent/Guilloux], le "Prix Louis Guilloux" a été décerné à Frédéric Valabrègue pour son roman Le Candidat. Rien d’étonnant à cela quand on songe que le titre du roman qui a valu le prix Populiste à son auteur en 1942 rend parfaitement compte de ce que représente l’exil pour tout candidat à l’immigration : le pain des rêves…
Le Prix Louis Guilloux est décerné depuis 1983 par le Conseil Général des Côtes d’Armor en hommage à l’écrivain briochin décédé en 1980 (il fut notamment l’ami d’Albert Camus et d’André Malraux). D’un montant de 10 000 euros, il couronne une œuvre de langue française, caractérisée notamment, outre l’excellence de la langue , "par la dimension humaine d’une pensée généreuse, refusant tout manichéisme, tout sacrifice de l’individu au profit d’abstractions idéologiques". Le jury, composé majoritairement d’écrivains, est présidé par Yvon Le Men, poète et écrivain.
Le prix sera remis officiellement par le Président du Conseil Général, en présence des membres du jury, le vendredi 15 avril en soirée. La manifestation se déroule au Conseil Général – Le lendemain, 16 avril à 15 h au Petit Théâtre, en ville, il y aura une lecture d’extraits des œuvres de Frédéric Valabrègue par une compagnie théâtrale (compagnie du Chien bleu) suivie d’ une rencontre du lauréat avec le public. Elle sera vraisemblablement animée par Roland Fichet auteur de pièces de théâtre et membre du jury.
Présentation éditoriale
Le candidat est un roman d’aventures et d’images relatant le voyage d’un jeune burkinabé, Abdou, désirant traverser le désert et connaître l’Europe. Le livre fait le récit des ruses, opportunités et subterfuges inventés par ce jeune homme à la joie de vivre intacte pour accomplir une ambition dont il n’a pas les moyens.
Il est d’une violence insupportable que l’Occident puisse intimer à la jeunesse de tout un continent, l’Afrique, l’ordre de rester chez elle. Mais ni la dénonciation d’une telle situation ni même la chronique de ces "camions de la mort" qui remontent du Niger à la Libye ne viennent au premier plan. La situation actuelle du migrant apparaît en filigrane et surtout pas du point de vue du reportage.
Le livre se centre sur les modalités du passage et met en valeur la fragilité de l’entreprise. Comment passer d’un lieu à un autre comme on passe d’un mot ou d’une idée à l’autre, le voyage étant l’espace de la transition et de la métamorphose. Ainsi, ce sont les glissements de sens qui créent les circonstances et rendent la progression possible. L’enchaînement des péripéties n’est pas conduit par une logique réaliste mais par des suites de déclics subjectifs occasionnés par la langue et la mémoire.
Abdou, faux candide d’une bonne volonté imperturbable, est un bricoleur qui peut ficeler deux niveaux de réalité n’ayant rien à voir ensemble et les faire tenir. Il fait feu de tout bois et saute sur toutes les occasions avec un instinct de survie d’une ténacité sans faille. Il est l’optimiste total parce qu’il part de rien. Face à l’Occidental, il n’hésite pas à jouer avec les ressorts de la mauvaise conscience et avec les renversements dialectiques de sa position. Il profite de tous les paradoxes, allant jusqu’à caricaturer ce qu’on attend de lui. Abdou trouve une cohérence, celle de la drôlerie et du plaisir, dans un fatras de bribes irréconcilaibles qui mélange la tradition africaine, l’Islam et des apports occidentaux de seconde main. C’est un autodidacte qui trouve son profit dans un patchwork culturel et l’éclatement des langues. Il invente un vernaculaire à son usage. L’invention de sa propre langue, la façon dont il la porte et la fait entendre représentent pour lui une monnaie d’échange et son meilleur passeport.
Frédéric Valabrègue a toujours rêvé d’écrire un livre de gratitude et de remerciements pour l’adolescence qu’il a vécue au Niger. Il a voulu rassembler les impressions d’Afrique qui lui sont propres, les images intactes demeurées aussi fraîches que les montants bariolés des camions et les fresques de couleurs crues rencontrés de Lagos à Niamey. Il a autant composé avec ce qu’il a vu qu’avec ce qui a été écrit et filmé en Afrique. Enfin, il s’est souvenu des affinités particulières qui lient les écoliers africains francophones avec les fables de La Fontaine, comme si cet auteur avait repris un fond commun appartenant à leur tradition. C’est pour cela que ce roman a aussi des allures de fable.
Chronique : Un rire rouge…
"Nous les africains avons toujours eu ces histoires [fables] en magasin, et bien avant tout le monde" (p. 218).
Dans Le Candidat, nous assistons à l’épopée que constitue toute candidature à l’émigration, mais côté africain : le roman s’arrête au moment de la traversée vers l’autre monde. Au reste, mieux vaut être "exodant" – migrant déguisé en travailleur transfrontalier – que simple "candidat", qui risque à tout moment, vu le genre d’agence de voyages que dirigent les passeurs, de tomber dans la piraterie ou, tout simplement, de sombrer. Le narrateur principal – qui est "comme tous les êtres, un patchwork rempli de trous, mais avec, aussi, quelques moments sans couture" (53) – se veut un "griot gêneur" (chéchémaï), présentant sans pathos le sort des enfants en Afrique noire : "Millions d’esclaves nouveaux de l’explosion démographique. La mode a flambé. Et quand ils rencontraient pas la beauté du monde sous la forme de l’esclavage, eh ben ils crevaient, un vautour dans le ventre, sur les poubelles de l’oued Merda. Je m’attendris pas. J’ai les dents éclatantes. Le sourire du tigre. Je chie pas du sang" (p. 26-27). Autre réalité crue dans cette Afrique désormais plus chinoise qu’européenne : "Aucune étude tient compte de la domesticité du migrant. Du domestique prostitué" (164). Évidemment, la critique des Occidentaux est de rigueur : "Comment peut-on dire à un quart de l’humanité : reste chez toi ! Cantonne-toi à l’image que j’ai de toi !" (52) ; "les blancs, ils aiment amener leur caniche au cimetière et leurs enfants au musée. On a plus de considération pour les morts que pour les vivants" (46)… Mais nulle bien-pensance : les autochtones sont passés maîtres dans l’art du "chantage à la compassion et à la culpabilité" (35).
Le plus frappant dans Le Candidat est sa réflexivité critique : polyphonique et contradictoire ("ça s’est pas passé comme ça"), la narration mêle jeu pronominal (Je / tu / il), récit de récit, confrontation entre réel et fiction afin de remettre en question des codes romanesques qui ont immanquablement la vie dure dans un champ dont c’est le fonds de commerce. Remarquable également, le travail de minoration de la langue. À la pénurie ambiante correspond une "langue poubelle", une langue rapiécée qui inclut divers déchets ou éléments orduriers : "folkloriste ! Docucumentariste ! Bidonneur ! Vieille ORTF ! Case de l’oncle-tomiste ! Le-noir-est-un-grand-enfant ! Gogo ! Paternaliste ! Plaisancier de l’anthropologie ! Enfant de Poto Poto ! Farceur ! YA bon Banania !" (69)… La revanche du bouzou consiste à mettre dans son français "du djerma, gourmantché, poular, tamachèque" (19)…
Abdou est un Bouzou, c’est à dire, un habitant provisoire du Burkina qui ne fait même pas partie d’une ethnie. Les Bouzous sont d’anciens esclaves des Touaregs (ancien esclave, ça me fait bien rire)dira ce personnage central du récent livre de Philippe valabrègue, Le candidat. C’est dire si sa condition de prolétaire d’un pays qui ne peut subvenir à sa survie se met en route pour le Nord, vers la Lybie, via le Niger,espérant atteindre l’Italie et si possible la France.
Griot il est, grioteur il sera tout au long de ce périple, au gré de rencontres toutes aussi inattendues les unes que les autres.
Cette saga , comme une étude du quotidien d’un sans rien qui se dépasse et qui dépasse sans cesse les obstacles. Ô pas comme un super héros, non, comme un élan vital à lui tout seul, comme un souffle de vent dans les déserts de la solitude de la plus grande des misères.
Un hymne à l’humain, à l’humanité.
» J’ai longtemps écrit des poèmes, et je ne sais pas écrire un roman sans cette forme d’écriture qu’est la poésie » a déclaré Philippe Valabrègue lors de la remise de son prix à saint Brieuc.
Et c’est en effet la double qualité de ce roman qui a pu lui valoir le prix Louis Guilloux 2011 : un auteur qui travaille le lien de fidélité avec les origines populaires, un écrivain qui ne sacrifie jamais à la facilité de l’écriture : exigence de la poétique qui ne se prive d’aucun moyen langagier pour faire vivre la parole d’un candidat à la vie sur terre.
Abdou et le narrateur du Pain des rêves son bien sûr des cousins, et pas qu’à la mode de bretagne !
P.rec…