[Manières de critiquer] Sébastien Ecorce, Note sur UNS de Mathieu Brosseau (2/2)

[Manières de critiquer] Sébastien Ecorce, Note sur UNS de Mathieu Brosseau (2/2)

juin 22, 2011
in Category: Livres reçus, manières de critiquer, UNE
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Voici la seconde partie de la longue analyse philosophique de Sébastien Ecorce, qu’on gagnera à lire en regard du texte de Mathieu Brosseau. [Lire la première]

Une dimension indéniablement spinoziste traverse le poème et lui confère toute épaisseur dynamique. « De la joie comme appendice de la pensée ». Je connais en l’autre le même. Et son abyssale différence. Je le comprends, je l’éprouve, je « l’existe ». Brosseau parvient à défaire les activités classiques du miroir ou du reflet. Chacun se pouvant faire écho et la source (dans la disruption), construisant l’existant comme plénitude active à se remplir de mouvement et de son vide, mouvement de la joie. Ainsi, un certain passage de la perception qui voudrait être « forcée » pour une connaissance intérieure. Ainsi, ce rapport multiple du centre et de la source, sans cesse dé-calé par les figures du mouvement du retour. Me fonder et me délimiter par l’échange, l’accueil, moi-même comme un être presque nouveau (et pourtant déjà là, déjà su), ne consiste pas à se découvrir comme un îlot autarcique, comme une suffisance close. Il s’agit non seulement de forcer mais encore d’activer les forces, de s’évertuer à rendre possible toute autre forme de relation. Ainsi, tout le poème éclaire ce mouvement, en fait une action conjuguée, entre fondation et fécondité. (S’ouvrir à la possibilité du commencement ou de l’autre commencement). Dans son extrémité même. « Je l’écoute, elle m’entend. Je prend les arbres et les oiseaux, je les prends dans l’appareil de ma pensée, il y a les perroquets comme étendue de ma pensée ». Long déport de la terreur, de ces états froids (froid, froid, froid), pour une joie (effective) à défaire les fils de sa pensée. Et ce recours à l‘éthique (rapport à la perception). La joie comme activité de l’esprit qui pénètre, « la cage de ton ventre ». Pénètre, invasive et expulse. Expurge. C’est tentative d’émancipation. « ta pensée s’ouvre sur le conduit respiratoire, tu ouvres et laisse éclore la pensée végétale ». (rapport à la dé-closion). S’en suit tout un mouvement lyrique, tension jusqu’à l’os, incarnée des figures et de l’énigme de l’équation du devenir. Une acuité aiguë est développée, à dépasser le sillage de la Parole, de ces traces. Mais, pour qu’il y ait constitution de la trace et de ses conséquences, une incorporation est à l’œuvre, à entendre comme incorporation à un nouveau mode de présence au Monde. Exister dans une identité maximale à la trace (incorporer). Par ce mouvement de la marche, de la progression, de cette « tension toute prise de ce qui advient sans prévenir. » Cette possibilité d’être. Une acuité à déloger toute forme d’angoisse, à ne pas se laisser vicier par la fausseté de la mémoire. A trop se reconstruire dans le fil des œuvres humaines. Une acuité qui touche à cette notion de la grande absence du voir. Qui pourrait déborder sur celle du voir et de la vision. Mais aussi de « cette possibilité d’être au-delà de la mémoire. » Non pas se construire une autre mémoire. Mais une mémoire à recouvrir ou découvrir et à se modifier en fonction de l’horizon, de « s’ouvrir sans signifier les variantes du possible. » Au-delà de la mémoire est dans cette filiation, de cette parole en dehors du possible. Cette part de l’action, non prévisible, par la main ou le poing. « Mes poings ont donné un silence majeur. Le silence de toute musique. » Le poing est là cette force de dysrythmie dans l’ordre des possibles, à jouer ce rôle de ressource à briser l’encerclement d’un contexte. La main, (extrême du corps) à sa manière comme l’esprit, à vivre comme configuration de monde. La main est de cet actif circulant.

De l’éthique de l’inhumain à prendre sur soi. Manière de forcer ce semblant de schéma éthique. Ce qui reste de l’équation dangereuse, après l’avoir froissée, rompue. « Avec la force brutale de celui qui se sent agi. » De cette figure de l’absence à toucher ce Monde en toutes ses solidités mouvantes, de déploiement d’une danse convulsive. « Le lieu de toute absence de devenir ». Cette étrangeté passe par ce rapport à l’animalité. Au broutage, la déjection, et par retour « m’asseoir dans le fumier humain ». Le déploiement de cette pensée s’étage et circule. « l’animal a donné la mémoire ». Mouvement de cette profonde absorption. Des choses, des êtres. « Les choses s’appellent, s’attirent les unes des autres ». Tout un registre de la végétalité, de l’échange gazeux. Cet évitement savamment conduit d’une certaine fixité. L’échange augmentant ce temps du poison ( circuit – hors circuit). Là où « l’humanité pousse entre les pierres ». Ce temps du poison est vécu par capillarité, par vascularisation, par entraînement, par circuit, travaillant à une certaine idée d’un temps du périr. Ce temps du poison (en figure de l’échange) circule autant dans le port de tête que dans les mains. Le poison est cette durée. Ce temps de la circularité du sang est aussi ce temps de la diffusion du poison. Le sang y participe. « Nos mains le savent, un quelque chose qui borde la vie sans la justifier», « l’absence de l’existence. » On voit bien là que ce temps du poison est aussi cette incapacité à produire de l’existence, de l’Un, ou de ce qui en infirme ou neutralise le fondement. « Quelque chose qui retient l’eau dans les tissus, sève et chimie de toute vie ».

 

Ce qui confère toute l’audace à ce texte, à son déploiement dans le mouvement, est cet appel continu (et discontinu) à la forme. Un appel qui borde le précipice. Marge le suicide. L’attire et l’aimante. Entre vision de l’énigme et figure de l’errance. Une autre constance du travail de Brosseau que ce rapport à la toxicité, de l’esthétique, de l’éthique, de la critique d’une Modernité. Les grands Suicidés donnent leur corps à l’immédiat, à une forme singulière de l‘Histoire, de l’être-pour-la-mort (peut-être sous une conception par trop destinale). L’humain (dans sa crise générique ou épistémique) donne son corps au temps et à la durée. Son corps (et ce don) est aussi ce poison, même. Ainsi, cette éthique est-elle ce don que l’Un pose au Temps et à la durée. Au temps de la Parole. Ce temps du poison à prendre la forme de la vie par son dos au nom de son don (à ne pas en connaître le programme). Excéder par cette forme qui appelle la forme. Plasticité dure des formes. Forme à permettre de se désolidariser de cet amour de soi. Le poison étant cet amour de soi, sans pour autant le réduire au plan du narcissisme. Et la déprise passagère de ce temps du poison. « La respiration d’un devenir déjà su », sorte de retour du mouvement au centre. Brosseau ne défend pas le principe de séparabilité des formes. Ainsi, d’un côté la vie à considérer comme état, dynamique, en une certaine obstination à durer, à ne pas se préparer à la mort, et de l’autre, la puissance du devenir. Cet Un comme existence à forcer se situe donc dans ce questionnement de la vie adéquate au monde. Approchant par là même toute place par rapport au cosmos. Par rapport à une intensité de vie, ou déflagration de vie. Ce mouvement s’exprime en chacune des existences, exigence à combattre ensemble la banalité et les pesanteurs, les pseudo-fatalités internes et les agressions externes, les idéologies, les agressions sociales, les dégradations ou dépravations, les médiocrités et les angoisses diffuses. Nous restons dans le mouvement de détermination de faire advenir. Toutes les forces de l’ombre sont alors prises en considération et convoquées. Ce n’est pas tant ainsi l’Autre, en cette figure de la reconnaissance, que l’espace entre qui devient centre focalisateur de l’univers commun. En effet, il ne faut guère oublier que Un (dans sa généricité) produit du commun dans ces espaces entre les corps, les nombres…Ainsi, touchons-nous là à la radicalité de Brosseau, en cette double fonction du voyage philosophique et poétique. Brosseau crée des mondes, permet la création non pas d’un nouveau formalisme, mais de cette incorporation dans de nouveaux corps, incarnation de ce qu’il nomme esprit. Esprit parleur, esprit souffle, esprit des disparitions.

Exister consiste à ne pas se conformer à la disposition primordiale des choses. A la forcer. Faudrait-il y voir ce que Rimbaud tentait d’expliciter par la vraie vie qu‘il ne sut d‘ailleurs jamais définir puisque au plan toujours de l‘Un-définissable. Ou plutôt de comment la vraie vie nous est-elle donnée ? Manière de nous convier là aussi en ce que pour Rimbaud la vraie vie est absente signifiait avant tout : l’absence de la vie dans le vrai. Ce sont en ce sens les vérités qui sont absentes de la vie.

 

« Il faudrait être fou il faudrait être ciel. » Il faudrait être dans cette disjonction. Dans cet entre-deux.

A entendre comme deux modalités du corps. De cette immanence fermée du monde. Rappelons-nous. « faire dans le fermé », en passant par cette puissance vitale (Nietzche) créatrice de valeur, d’existence, et dont la valeur est justement de l’ordre de l’inévaluable. Deux conceptions permettant de lier, ou de considérer la vie (la vraie vie, Rimbaud, Mallarmé) en son plan de la donation et sa circonscription ou la localisation d’un lieu. Ce que refuse Brosseau, en cette urgence immanente à la vie, possibilité renouvelée de l’existence affirmative.

 

Le nom (puisque Brosseau ferraille aussi au plan des nominations) enveloppe toute l’effrayante puissance de l’infinie diversité, de l’incessante vanité de la chose qu’il tente de nommer, mais loin de le remplir de sens par sa plénitude, cette puissance même le fait fuir, comme sable ou eau, de la forme qui visait à le maîtriser.

 

 

Du « ça aime » à la poussée de la langue dans l’entre-deux, il s’agit bien de vivre entre les temps. « Se placer dans la cavité d’entre les bêtes ». Le Temps, ce qui nous marche, ce qui nous fait perdre tête. Ce temps à ne pas se laisser régler par la fossilité. Mais pas le mouvement du décompte. De l’énumération folle.

 

Cette forme de pronominalisme (qu’il qualifie ou tente d’ailleurs de cerner par ce mouvement du retour au centre, cette possibilité de revenir au centre de l‘être), de ce mouvement comme principe unificateur, à dissoudre la séparation empirique des choses et des êtres ; « ça respire / ça aime », renvoie à cette notion d’être qui se déforme, de mouvement du devenir, au sens de cette tension à l’identité non encore advenue ( forme d’indivision de l’appel des formes qui s’appellent, se convoquent, s’accueillent). Ce « ça » étant l’inclusion dans le mouvement même. Non pas un « ça » figé. Non pas au sens du vide, d’une vacuité ou d’une neutralité. Le poème ne se situe pas au plan des catégories hermétiques. Mais une sorte d’instancialité incarnante par ce possible du devenir (éventuellement non craint) à permettre l‘accès à une fondation presque fusionnelle, une forme d’atteinte en son toucher de solidité nouvelle, autre ouverture. Ce procédé tend à mettre en relief cette force du Co-habité, cette Co-instanciation en devenir, en formation. Brosseau dépasse, semble -t-il, ces plans purs de la réaction (« on croit que l’animal réagit alors qu’il est dans le cohabité…»). C’est ce mouvement du cohabité qui fonde le schéma éthique. Enchaînant de l’éthique du froid à l’éthique de l’ombre (correspondance), à l’éthique de l’inhumain (« de l’accoquinage avec les dépravations à cette absence à se mêler à la vie »). Ainsi, pourra-t-on admettre que toute éthique en ce mouvement est rapport à l’absence à définir ou produire de la vie, de l‘existant, de l‘Un. Fût-elle au plan d’un être inhumain. Tout ce vitalisme lyrique de Brosseau oscille entre le poème philosophique et l’excroissance de bête. Un creusement d’hybridité. A se défaire de celui qui se sent agi. Ethique ou cette portance pratique de l’équation dangereuse, qu’il brutalise (« J’ai pris sur moi » que nous pourrions relier à ce cadre double séparation-inséparation). De ce qu’il reste de ce mouvement de mains. Toujours ces mains, en-avant. Dans ce champ des visibilités. De l’anticipation. Du faire face. Chez Brosseau, les mains sont souvent actionnantes, la force et l’énigme du visage à faire face, forcer. Elles revêtent ainsi cette capacité d’imagination et de projection dans la construction. Elles participent en introduisant des ruptures, des changements d’état (coupées, tranchées), à cette énergie d’emportement peu commune sur la monadisation (l’Un), extraversion non monodique, conduisant de fait à tout ce sentiment d’amplitude, de profondeur. Avec Brosseau, nous ne pouvons en rester entre les axes d’une fonction vitale et les « restes » d’une action ou du mouvement.

 

Des éclairs de sidération ou surgissements apparaissent : « il faudrait être fou, ou ciel ou rien ». Forme de vanité et de morsure. Le devenir qui se cumule avec la forme qui transforme. Ce devenir fini. (respiration d’un devenir déjà su). Toute une trans-génèse, une matière de l’échange (gazeux, terre) synthétise, métabolise et transforme. Cette propension à la rétention à garder excessivement et totalitairement « Tout ce qui reste, constituerait une forme de folie ou de vraie vie ». Mais ce vers repris à deux ou trois reprises est surtout à concevoir comme une incantation extrême et radicale à la vie. A se glisser dans les territoires de la végétalité (non végétative). Cette végétalité-là n’est pas à mettre en relation avec le vaginisme précédent (de l‘Impuissance). A la vie en sa durée, comme le poison est « durée ». Et de cet échange ou rétroversion entre main et végétaux, cette forme nouvelle de biodisponibilité des formes. Confirmant en ce que le poème de Brosseau ressort bel et bien d’une pensée pratique. Avec cette idée du Poison, nous retombons dans les affres et vertiges de la Modernité. (Crise des croyances, des visions, des identités, des phénoménalités, de la fin et de la mort). « L’idée que nous périssions tous est une idée qui fait corps. » Ce mouvement pris entre la précipitation et la pré-maturation se retrouve tout au long du texte. Une idée de nature à désocculter et désobstruer le mouvement de l’existence. Et cette face noire des suicidés là aussi d’avoir trop cru en l’histoire de la vie et de la mort, d’avoir par trop été initié en cette inséparation. D’avoir trop cru au « Cinéma » ou pas assez. Montée des discours sur la Folie et instillation diffuse de nouveaux poisons (au plan des Idéalités et des idéations). Mais l’humanité (en sa figure du néodarwinisme et des premiers postulats freudiens quant à cette bascule de la Modernité) « pousse entre les pierres », le sang lié intrinsèquement au poison, n’empêche pas que les « fleurs poussent dans les veines » (tradition de l’utopie).

 

« Ces miroirs qui nous rejettent » nous introduisent dans la Fiction. « Cette possibilité qui évoque un secret qui ne peut être gardé et s’avance, presque chiffré. Au-delà des formes finies. « enlacés-enlaçant ». Ce temps du poison, du rejet et du décompte. Et la parole de Brosseau vise le mouvement, l’entretemps, cette poussée (Toi et Moi) de la Langue dans l’entre-deux. Dans la jonction ou la jointure. Tentative de s’extraire de la Fiction par cette respiration entre les temps. « Nous nous plaçons dans la cavité d’entre les bêtes ». Mais il y a « nœud », concrétion, obstacle et dépassement. Au-delà du rapport entre mort et parole, l’expérimentation de la bête en son impensé (au plan du continu des vivants, et non plus de son incapacité au « mourir, à la vivre comme mort »).

 

Brosseau utilise par deux fois le terme de « commerce » (de la mémoire / de la charité) (à prendre en son sens de l’échange, mais surtout dans ce registre restrictif d’un langage fonctionnel qu‘il se charge de critiquer). Fonctionnalité renvoyant à celle déjà critique de Mallarmé. Commerce des souffles, des langages. De la logique de séparation. C’est ainsi qu’une scission s’opère au sein des langages : dire « il y a des langages » peut désormais avoir deux sens. Le premier sens consiste à dire qu’il y a des protocoles de règles de communication, de transmission etc. Le second sens, quant à lui, conserve le premier mais lui ajoute quelque chose – à savoir qu’il y a (aussi) un langage-sujet lié à l’émergence (subjective) comme telle : quelque chose surgit dans le langage communicationnel qui est en coupure (et non pas en continuité) avec lui. Mallarmé, déjà, opposait le langage qu’il nommait « commercial » que nous pourrions relier – puisque destiné au « commerce » entre les hommes – qu’il comparait avec la monnaie que l’on se passe de main en main, au langage de fondation qui, lui, se lève sur fond d’absence. Et ce commerce dénature les mémoires, « l’immédiat séparateur ». Dans l’échange, ou le commerce (des mémoires), tout semble bouclé. Et ce motif réintroduit du : tu fais dans le fermé. Mais ce commerce qu’évoque aussi Brosseau prétend surpasser cette simple réduction. Un commerce qui n’altérerait pas totalement la fabrication des mémoires. Autre versant de la Fiction. (« Ces miroirs qui nous rejettent »). Ces mémoires (fabrications de récits) ne se réduisant pas aussi à la seule histoire des nombres. Il faudrait en ce sens, en visant l’Un, inclure le nombre dans l’entretemps. Dans la possibilité réelle et non réifiante de l’échange. A poser Un comme mouvement. De ce monde fondé avec les mains. Et toute la métaphore de l’amputation, de la coupure, de cet Un-manquant, puisque non constitué, « il y aurait la solitude des prières sans mains, il y aurait l’odieuse impression d’être rendu à l’immédiat séparateur, car l’immédiat est toujours séparateur». Ce temps de fabrication des mémoires (temps du poison / temps du récit, durée) serait ce temps/mouvement d’inséparation dans une séparation vécue comme immédiate. « Nous les fabriquons pour croire au continu ». Ce fil du continu ou trace, à envisager comme ce qui définit ce qui advient. Ce mouvement d’un tout à se transformer.

 

Tout un pan de morale est abordé, distingué. D’amour. D’avarice de l’amour. Dans cette séparation d’avec l’éthique. Où la morale est une valeur ajoutée (de l’ordre de l’échange). « Je souhaitais te prendre, c’est juste qu’en te donnant ma présence, je peux m’écarter de la mienne ». On y verra la force de l’altérité, ou de l’altération. La forme d’un amour, ou de sa possibilité. De ce refus de la charité appliquée au seul Devoir (Morale), intrus vécu comme sexe long, du côté du membre déployé dans le sens de la « mesure ». Longue sortie de la valeur donnée au Membre. Puisque « le membre est le nom de la valeur donnée ». D’aller au-delà du commun de l’adition et de la donation. A retomber sur cette notion de l’éthique, du long travail de non mesure de la distance comparativement à l’immédiat vécu, lui, séparateur. Dé-membrer et dé-nombrer. Et de reconnaître que c’est la pensée du réel qui sépare. Entre l’onanisme et la copulation, le rôle de l’Imaginaire à ouvrir la parole. A faire en sorte que ce Membre ne soit pas cantonné aux seuls préceptes et termes de la charité. Mais de l’énigme de la rencontre et de la présence. « Les nombres tombent dans le sablier, les membres se disent dans l’étreinte et se disent dans le sable » (le temps, le corps, la trace). En se dé-marquant du membre, du terme et de la mesure, en se liant il n’y a plus qu’un seul être. Et la réalité vécue d’un commerce qui s’annihile. «Tu es tout le monde, tu es tout le monde ». Tu es : Un.

 

L’imaginaire de Brosseau tourne autour de ces excroissances de corps, ces incarnations excédentaires, d’échanges et contraintes de matières, de la transmission des formes. Toute une dimension d’embryogénèse. Dans les formes multiples du mouvement du devenir. La force de ce texte est de le contrebalancer par l’instauration d’un réel, un réel comme fiction, poison, rejet… un réel de l’impuissance. Dans la séparation et la réplication. Mais Brosseau vise l’augmentation de ce réel-là. Par la puissance de l’Un, comme multiple, pas encore nés. « Pour naître, il faut se faire Un ». Ou davantage, en un second niveau, que le réel instaure et te dise de l’Un. Il pourra, au travers de cette quasi-injonction, se développer de la souffrance mais aussi de la jouissance. Un qui n’est pas la solitude. Un qui n’est pas silence. Un qui pourrait être ce complexe au Réel. Réel n’est pas le symptôme. Est du réel comme écrire dira-t-il, comme échange de dessous de table. Un commerce à s’élaborer dans l’ordre d’une transaction du non caché, puisque « devenir presque su ». On y pressent là la conscience du Poète, dont le degré d’existence est disséminé, toujours en lisière de l’inexistence. Analogie avec l’Un.

Brosseau en invoque presque une Loi (de l’Immutabilité de l’être / immuabilité) lié à ce devenir, du mouvement vers l’Un. Ainsi, ne précise-t-il pas « Mère réel », comme retour à la figure intangible de cette Loi. (« Loi des naissances »).

 

 

Du relâchement et de l’excroissance, « un mur avançant avec ton corps en mutation ». Tentative de nomination de mondes, de séparation et d’inséparation dans la séparation de formes, identité de formes et formes de l’identité, dans la complexité des restes ou reliquats. De ces restes à conditionner l’Un. Cette densité « te tient et te constitue ». Un mur à offrir le corps des ressources et des mutations. A ne plus viser le refuge. A ne plus viser l’échange du simple. A cette traversée d’entre les temps. Brosseau nous enrôle littéralement dans cette folle traversée sans travers. L’existence n’est pas seulement de l’ordre du su, du signe ou de la trace. « L’idée sera toujours seconde, le reste est folie ». L’idée sera toujours seconde face à ce possible exercé là, forcé là, en cet instant, à cette figure de l’accident. « Tu seras l’accident, l’éclair de l’accident ». L’expression du vivre, là dans çà. L’existence, de l’Un. Pluralités de l’Un. Où ce mouvement même de l’émancipé.

 

Par ce mur des mobilités et des densités, Brosseau nous propose de passer les portes de la langue. Les forces, « casser l’écho ». Passe le mouvement d’un déjà connu ou de l’éternel retour. Ainsi s’expose-t-il aux risques du fourvoiement. Mais à considérer que ces frayages successifs et simultanés peuvent concourir à cette approche de l’impossible « dépassement de la métaphysique » ou du dépassement du mur. Cette avancée ne vaut pas cette « résignation immédiate devant l’impossible. L’impossible signifie un mur de pierre. Quel mur de pierre ? » (Dostoïevski). Mais nous sommes en cette forme – pas prise (encore) du « mur de fauves ». A s’insinuer dans ce comment franchir (puissance du déchiffrement, « naître un et en nombre ») le « pas au-delà » (Blanchot), là où tout demeure suspendu au nu dire poétique et pensant. Un nu dire poétique qu’il va fissurer. En exerçant des contraintes. Des contraintes de « l’être jeté » à la prise en charge (ou tentative) de l’inquiétante montée en puissance de l’inhumain, prise en charge de ce « dépôt » ou substance. Brosseau accueille mais ne reste pas fixé par les formes classiques du nihilisme. Il élabore une autre requête du traumatisme récurrent, à se trouver « un jour une fenêtre sur le vide ». En ce sens, il n’est pas dans l’accueil d’un tout Autre paradigme, mais dans la puissance de l’Un. Nous pourrions sentir dans ces mouvements et avancées tout un fond de conception non européanocentrique que Brosseau froisse, de l’Universel et du singulier. La tentative d’ouverture d’un dialogue inouï avec les héritages du passé et de la possibilité du devenir. Il n’est pas de retour archétypal chez Brosseau. Il n’est pas de grand apaisement. Il n’est pas non plus de solution systémique ou poétique. Souvenons-nous là aussi que toute sa dynamique se place : circuit – hors circuit. Il est bien au contraire la marche avancée de la pensée, du poème qui se pense par la possibilité d’un réel qui dit : Un. Un à se déprendre de toute sujétion. Entre Esprit, corps, et bête. Ou Un pourrait être cette communauté des excroissances en mouvement entre les vides. Ou Un se distingue dans cette tentative d’une culture universalisable des singularités. Un : qui soit à la fois naissance et création. Et sa condition assumée d’inexistence. Ce texte d’une saisissante profondeur est une lutte contre une double misère : extérieure et intérieure. Ou l’histoire ne serait pas autre chose que la certitude ébranlée du sens donné à l’Un qu’elle ne peut re-fonder puisque déjà-là. Ou faudrait-il que l’Un fût la réponse à un abîme qu’aucune médiation ne peut franchir. Où Brosseau parvient à réunir, sous la forme d’une fission créatrice, une sorte de reconnexion (non originaire) du dire poétique et du dire philosophique.

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rédaction

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