Sylvain Courtoux, Stillnox, automne 2011, 304 pages, 17 €, ISBN : 978-2-84761-852-5.
Ce n’est sûrement pas le fait du hasard que Stillnox ne prend pas fin là où le lecteur pressé s’arrête, ayant quand même déjà lu les 295 pages officiellement paginées. Il sait maintenant que le narrateur/auteur est un drogué, il se fera tout seul son avis sur la véracité du jugement autoproclamé d’être « un poète de merde » et le plus con le rangera sur une pile en disant « Il est foutu, c’mec ». En pensant tout bas « Tant mieux, bien fait pour lui ».
Ce jeune homme sans qualités, qui se vend à qui veut sans donner ce qu’il a à donner, qui vole sa propre maison d’édition, qui se met (à) nu dans des soirées, qui invective ses amis et qui, on y vient, a écrit le traité dont je parle ici m’a surprise. Il nous fait croire qu’il est un RIEN, qu’on ne peut pas compter sur lui, que de toute façon, il s’est condamné, se sait condamné à la déchéance volontaire et recherchée – ce qui le rend romanesque malgré lui. Mais suite à ces 295 pages, après même la table de matières, on trouve, écrit en tout petit, en bas de la page blanche, page 301, un mot adressé à ses pairs (et pas des moindres, allez voir), quelques élus. Et en dessous, sous une ligne en continu, le « poète de merde » s’excuse, dans une police plus petite voire minuscule, auprès de ceux qu’il aurait maltraités, oubliés.
Si j’évoque cela, c’est que dans le fin fond de cette page 301, on peut trouver 90 % de ce qui construit Stillnox et Sylvain Courtoux. Je m’explique. On y lit les termes suivants : confiance, amour, force, attitude, mot, absence, silence, choc, déception. Les trois premiers mots ont une résonnance métallique, ou, non, plutôt un son de bois de cercueil. Lui aussi, comme Delphine de Vigan (ne hurlez pas, on la voit partout), comme Chloé Delaume et d’autres, ont perdu trop tôt et dramatiquement leur mère. Confiance, amour et force, on oublie, vous êtes d’accord. Confianceamourforce, c’est pour les autres. Une mère, un père suicidé, on perd sa source. Sylvain Courtoux l’évoque expressément. En lui, il « n’y a pas de source (sacrée). » Il ajoute p. 9, non numérotée non plus (il fait exprès ou quoi ?) de l’écriture (en gras).
Vous aurez compris, pas le médicament, pas la drogue, c’est la police, les voix qui jouent LE rôle prépondérant dans ce livre pris dans une couverture criarde violette. Sa police à lui, à Sylvain Courtoux, celle qui canalise ses pensées, cette police est éclatée, déformée, rejouée, déjouée. Polyphonique, transgressive, agressive, inappréhendable. Non, il n’y a pas de source de vie et pas de police. Pas de règles, voilà. D’autres questions ? Mais peu importe. L’auteur se plongera tête la première dans le vide, à la recherche de cette source. A la Recherche D’une Source Perdue qui lui donnerait la force de vivre. Et cette force, on ne peux s’en extraire quand on tourne les pages, de plus en plus vite, en allant et revenant dans le livre, c’est la poésie expérimentale sous Nox. Attention ! Pas la vie sous Nox. La poésie des sons, la poésie des signes, la poésie qui ne peint pas mais qui (r)appelle. La poésie qui ne sert pas. Ni à manger, ni à imager une philosophie « de merde ». La poésie, la prose expérimentale de Sylvain Courtoux sont le carré, le rectangle, le rond, noir de préférence. L’écriture est fils (de qui ?) (qui relit, qui retient quoi ?). J’ai vainement cherché à découvrir la logique de ces formes, je l’avoue, dans Stillnox. Et Ce texte ne sera peut-être jamais imprimé sur papier bible car comme Dieu, il n’existe pas. Il n’existe pas, mais il nous hante. Il dit tout. Surtout ce « virus de la solitude ». Rien n’y fait, ni les phrases empruntées à d’autres codétenus de la littérature, ni les réminiscences musicales, ni le sexe d’une bien ou mal-aimée, ni même le joli minois de la pharmacienne.
Une chose peut aider, une seule, le ici dénommé, et bien nommé, Nox. Ce Nox qui « pratique de la Sur-fiction ». Ce Nox qui ressemble et mène vers le suicide parfait. Oui, je le comprends, Sylvain Courtoux. Moi aussi je suis amoureuse de Chloé Delaume (même sans Nox soit dit…). Elle pratique de l’autofiction expérimentale. Si ça la guérit ? De quoi ? La Sur-fiction, l’auto-fiction, toute forme expérimentale de l’écriture, ce sont elles qui ralentissent juste le noxien, le fou, le drogué. Nous, quoi. Et si nous étions un peu plus humbles dans notre folie de bien-pensant salaud ? Personnages nous sommes toujours, acteurs dans la vie souvent, acteur de notre destin jamais (rire homérique : quel destin ?). Allô ? C’est Nox qui vous parle.
Et « C’est de là qu’il me faut partir (de ce jeu sans personnages ni but) », écrit Sylvain Courtoux page 87. Sylvain n’est pas seulement un « poète de merde ». Il est l’Homme qui dort même s’il a été reçu au bac avec mention. Sylvain Courtoux a une mère suicidée. Il est très organisé pour oublier cela, il s’est construit un esprit mathématique, sans logique castratrice. Sans enfermement autre que celui qu’il a choisi et dont il parle sans faire d’autocritique abusive. C’est juste un questionnement. On saurait, non, qu’un livre (me, te, la, le, nous) sauve. Sylvain Courroux a voulu choisir ses deux geôliers. Non pas la psychiatrie. Non pas le monde de tous. Il a choisi le Nox et l’écriture (p. 243). Le Nox rend ses trajets plus courts, dit-il. Tous. Sauf un. Le trajet vers une empreinte délavée. « Papa, qu’est-il arrivé ensuite ? Qu’avait-elle pris ce soir-là ? » (p. 274). L’écriture, les mathématiques, les ronds noirs, les fils, les trous entre les mots, les traces visibles (photos, notices médicales, statistiques, bibliographies), cela ne raccommodera rien. Le Nox non plus, d’ailleurs. Il mène juste le narrateur vers sa cible, lentement. Et le lecteur reste avec ce trou qu’il nous creuse à nous aussi.
A attendre la suite. Je suis devenue dépendante.
Il y a quelques années, j’ai écrit un court article sur Le journal d’un morphinomane (Éditions Allia). Les mots d’alors peuvent très bien s’appliquer au Still Nox de Courtoux : « On peut lire ce livre comme l’histoire d’une métamorphose. Depuis Ovide, le thème de la transformation traverse de nombreux textes et semble poser la question de la persistance de l’être. Pourquoi changer devient-il toujours un déchirement ? Pourquoi suis-je bouleversé à l’idée de l’inconnu, au point de ne plus pouvoir sortir de ma chambre, au point d’incarner cette monstruosité qui m’effraye. Dans Still Nox, on ne sait plus si la drogue est une fatalité ou un prétexte. Le principe de réalité agit en force, sèche les images et détruit la compassion. On a du mal à bouder son plaisir, tant le spectacle de cette modification de l’autre calme nos angoisses et souligne, a contrario, notre prétendue permanence. »