Stéphane Korvin a tenu à rendre hommage à Thierry Metz, poète au destin tragique (1956-1997) qu’on pourra (re)découvrir, entre autres, sur Tiers Livre.
les mots simples
les mots sous la peau
les silences qui poncent
un abri pour coller à la terre
les mots
place, être, parole
pour exister
sur le menu dos des jours, au grand air
et dans les chambres
le silence avant, après
pour sortir des va-et-vient, des ratés
pour toucher à ce qu’il y a de plus rare
le lot commun des vies qui passent
qui restent, qui tombent
"Ce silence
pour moi
sera ma leçon
et mon lit"
chez Thierry Metz
l’homme est un visage
& les visages se rencontrent
avec ou sans les mots pour l’attester
il est rarement question de phrase
l’écriture fixe l’élémentaire, l’essentiel
l’unité de sens, recroquevillé sur son espace
les mots : chambre, table, couloir
il y a des dialogues, des questions sans réponses
des réponses belles comme des questions
sans réponses
des effleurements
des poids d’homme
pas encore rendus
on arrive, on part, on touche
des gens
leurs mains, leurs visages, leurs peaux de quinze kilos
la lumière qu’ils balaient devant eux
tous les jours
d’où que l’on vienne
se retrouver quelque part
attendre un mot
seul
ou avec des gens autour
il n’est jamais question de violence
(malgré la raideur des événements)
le trouble a la douceur
d’une buée sur la
vitre mais
l’image elle
n’est pas dupe
de l’innocence
détruite
derrière l’écriture se cache
la distance d’ici à là-bas
ce qu’il faudrait réussir à accomplir
pour faire un lit
ce qui nous résiste
et nous brise
sans plus d’explications
"Jusqu’où ira ce qui a lieu ?
Comment parler banalement d’une destruction ?
On a tout sorti de l’être. Jusqu’à l’être."
Thierry Metz poète
manœuvre dans le bâtiment
maçon
ouvrier agricole 1956-1997
des livres, des murs, des saisons
"sur la table inventée" "l’homme qui penche"
"dans les branches"
"terre" "dolmen"
"entre l’eau et la feuille" "de l’un à l’autre"
"sur un poème de Paul Celan" "le journal d’un manœuvre"
les livres sont sans couture
temps, eau
bâton, futaie
lit quoique instable
sur le qui-vive
une rivière
charriant ses cailloux
A la fin du livre Dans les branches
une biographie. Thierry a choisi de
disparaître le 16 avril 1997. Il venait d’achever
la deuxième partie de L’Homme qui Penche
avec
quelques pas
s’avancer
et continuer
le mur blanc
pour habiter
en attendant
que sur la table dépliée
l’herbe côtoie l’étoile
par petites touches
ce que rend possible le regard
le regard et non la vision
la voix
"ce n’est que cela une maison. Non pas quatre
ni une clôture mais le livre d’un jour,
d’une heure"
quelque chose tient
après la lecture
tient même magistralement
la poésie
ce n’est que cela
"Non je ne sors pas d’ici, d’être et d’écrire"
tous les murs de Thierry Metz
(combien de livres, combien de maisons)
tiennent bon
indiquent une direction
un regard vers la terre, un regard vers le ciel
puis on s’éloigne
pris dans le tourbillon
des événements, le travail
à faire
"- Votre père travaillait beaucoup ?
– Que pouvait-il faire d’autre ?"
Et maintenant tombe le soir
dans un grand verre noir il faut toujours
que le pire arrive
"a choisi de disparaître"
J’ai rencontré Thierry Metz comme on se fait
un ami en tendant la main dans une librairie
une mi-décembre, par curiosité
un appel
comme on touche une fleur
sans l’arracher
dans un sous-bois
après la forêt
Mi-janvier : je pense à lui
j’imagine un mur
un pan dans la lumière
"Ce pourrait être un visage qui passe, sortant
de l’inattendu, mais que l’âme retient.
C’est un peu de soleil dans une chambre où
se cache un enfant.
C’est contre un mur : l’ombre d’une ombre.
C’est me laisser seul dans ta main."