[Livres] Libr-kaléidoscope (1)

[Livres] Libr-kaléidoscope (1)

mai 26, 2012
in Category: Livres reçus, UNE
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Jusqu’en juillet, nouvelle série de Libr-kaléidoscopes, pour inviter à découvrir des livres/créations que nous jugeons intéressants mais que nous n’avons pu encore présenter. Aujourd’hui : Dominique Quélen, Câble à âmes multiples ; Jean-Charles Massera & Pascal Sangla, Tunnel of mondialisation ; Arno Bertina, Je suis une aventure ; Jean-Paul Gavard-Perret, Le Livre des listes, fussent-elles futiles.

► Dominique QUÉLEN, Câble à âmes multiples, éditions Fissile, 2011, 80 pages, 12 €, ISBN : 978-2-916164-50-2.

"Une fois ôtée la main aux huit doigts, les faits ne sont plus que des poches. Le monde est ainsi rempli de poches et de sous-poches à ouverture simple" (p. 22)… Élémentaire, n’est-ce pas ?

A un monde marchand qui affecte même la médecine (superbe parodie du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux – DSM en américain) ; à un monde post-poétique qui a tout standardisé, ce texte qui n’est "qu’une opération de renvois" oppose une fantaisie et un humour à la Michaux, nous plongeant dans un univers loufoque. Voici, par exemple, ce que devient le sacro-saint CV :

"Père : issu de la boue du 7e cercle, 1er giron. Ascenseur social : de la cave au sous-sol & retour. Finit enterré sur le fils. […]

Autre antécédent : père" (p. 18-19).

► Jean-Charles Massera & Pascal Sangla, Tunnel of mondialisation, suivi de J’ai grandi à côté de la vie (interview), Verticales, 2011, 2 CD + 120 pages, 22,50 €, ISBN : 978-2-07-013301-7.

Jean-Charles Massera poursuit son travail de déconstruction des discours et représentations dominants en investissant la forme populaire par excellence : la chanson – allant même jusqu’à subvertir le genre corrélatif de l’interview. D’où la tension entre "effets esthétiques qui vont dans le sens de la culture industrielle" et "une conceptualisation hyper critique" (p. 61).

Dans le premier clip, "Tu sais, j’crois que j’vais pas pouvoir", qui fait défiler le discours immo-marketing sur des images de lotissement conforme, une jeune femme s’attaque à l’insupportable conformisme pavillonnaire, au prêt-au-bonheur petit-bourgeois, au prêt-à-habiter du BCBG (Beau Con Bon Gogo…). Le deuxième, "Je ne veux pas mourir avant", revêt une dimension géopolitique : l’énumération des chiffres et des dates dévoile l’impuissance de l’ONU face aux horreurs commises un peu partout dans le monde immonde. Le troisième, "Respect pour tes résultats", établit un contraste flagrant entre cet univers de la déréalisation qu’est celui de la spéculation et la prise de conscience du nanti face à la misère du monde. Le quatrième ("Promets-moi d’rester d’droite"), ironique, met à nu la vulgate sur la "dépolitisation ambiante des classes moyennes" et la "droitisation des esprits" : "Tu t’éclates pas quand t’es à gauche / Quand t’es à gauche / Tu vis plus rien / Tu vis plus rien si t’es conscient d’tout. / T’aimes plus la vie / Si tu la critiques"… Bref, ferme-ta-gueule, sois de droite et vis connement comme tout le monde – qu’elle demande la femme à son mari. Le dernier, qui donne son titre à l’album, est le plus satirique : il dénonce "la déréalisation du temps vécu par les exclus de la croissance", "l’indexation du temps de soi sur le seul rythme de la croissance"…

► Arno Bertina, Je suis une aventure, Verticales, 2012, 496 pages, 24,90 €, ISBN : 978-2-07-013661-2.

De nos jours, où l’aventure se niche-t-elle : on the road ? dans un stade ? dans l’écriture ? dans les dédales du sujet, de sa psyché et de ses représentations ?
Je suis une aventure est un road novel qui vous emmène sur les traces du Fédérère de 2008, des USA au Mali, en passant par Londres. Vous pouvez même revivre, schémas à l’appui, des phases du fameux match qui l’a opposé à Söderling.
Ce récit excentrique vous trimballe de sorties de route en carambolages, de schémas en photos et jeux typographiques. Une épop’ pleine d’allant qu’on avale comme les kilomètres.

► Jean-Paul GAVARD-PERRET, Le Livre des listes, fussent-elles futiles, éditions Corps Puce, 2012, 72 pages, 9 €, ISBN : 978-2-35281-062-2.

Comme l’indique dans sa préface Jean-Louis Rambour :"La poésie de JPGP est virtuose, rapide, haletante, surprenante. Construire une liste est souvent une gageure quand on veut la faire longue, originale, et utiliser une  grande variété de procédés. […] La langue de JPGP n’obéit pas à une syntaxe mais répond à une nécessité d’abondance, de flux, de déluge. […] Elle n’obéit pas à une réflexion raisonnée mais à un souci d’entretenir l’absurde…" Un exemple de cette ingénieuse inventivité, de cette fantaisie verbale qui repose sur des absurdités et incongruités, des homophonies et des détournements – top, c’est parti pour la mise en boîte : "La boîte à chimères, La boîte à chie-mère, La boîte à Sapho nette, […] La boîte à pilules à mères, […] La boîte à âne-thon" (p. 19)… Cette joyeuse sarabande s’achève sur des "baisers aux ménagères de plus de cinquante ans" et sur un parodique "final cut".

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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