[Chronique] Ilse et Pierre Garnier, Poésie spatiale. Une anthologie

[Chronique] Ilse et Pierre Garnier, Poésie spatiale. Une anthologie

mars 1, 2013
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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Ilse & Pierre GARNIER, Poésie spatiale. Une anthologie, préface d’Isabelle Maunet-Saillet, éditions Al dante, hiver 2012-2013, 656 pages, 32 €, ISBN : 978-2-84761-840-2.

"Le mot n’existe qu’à l’état sauvage. La phrase est l’état de civilisation des mots" ("Manifeste pour une poésie nouvelle, visuelle et phonique", 1962, p. 73).

"L’activité du poète rejoint celle du savant et de l’astronaute dans la découverte d’une esthétique linguistique et d’un langage commun à toute l’humanité" (p. 195).

Après la publication du tome 3 des Œuvres poétiques (1979-2002) de Pierre Garnier (éditions des Vanneaux, 2012) et aux deux volumes que l’on doit à Philippe Blondeau (Ilse Garnier, Jazz pour les yeux, anthologie 1962-2009, L’Herbe qui tremble, 2011 ; La Poésie au carrefour des langues, Actes du colloque international sous la direction de Ph. Blondeau, Artois Presses Université, 2010), voici "une anthologie étoilée", rien moins que la somme incontournable que tout amateur de poésie doit avoir dans sa bibliothèque – et ce pour un prix abordable. Pensez donc, la seule préface d’Isabelle Maunet-Saillet compte une soixantaine de pages ; suivent la totalité des textes programmatiques (manifestes et plans-pilote) signés par Pierre Garnier seul (né en 1928) ou avec Ilse (née en 1927), et un ensemble important de poèmes publiés entre 1962 et 2012 (cinquante ans de vie poétique pour le couple !).

S’inscrivant en droite ligne de Mallarmé et d’Apollinaire, des futuristes et dadaïstes, de Pound et de Cummings, du lettrisme d’Isidore Isou, de Chopin et de Heidsieck, dès 1962, les Garnier visaient à rassembler dans le spatialisme la poésie concrète, la poésie phonétique, la poésie objective, la poésie visuelle, la poésie phonique, les poésies mécaniques, cybernétiques, sérielles… Cela dit, la volonté de différenciation est manifeste, notamment dans le concept de "sonie", entendu comme matériau phonique humain (sons et souffles) : définissant la poésie comme "connaissance du souffle", le spatialisme se distingue de certaines avant-gardes de la première moitié du siècle.

En un temps où la poésie piétinait, enfermée dans la langue-expression (du surréalisme finissant à l’Ecole de Rochefort), Bernard Heidsieck avait pour objectif de sortir la poésie du livre ; les Garnier, quant à eux, souhaitaient rendre le lecteur plus actif, libérer les mots de la phrase et la poésie de son cadre générique et national beaucoup trop étroit. Contre les langues-robots, la puissance énergétique de la langue-matière : "Spatialisme ne signifie pas seulement mettre en valeur les possibilités visuelles et acoustiques de la langue, mais lui communiquer une vibration mettant en mouvement et en action ses particules" (p. 166). Aussi, rien d’étonnant à ce que la poésie spatiale cherche à investir le théâtre. Pour happer le public, il importe de privilégier la dimension sensorielle (rythme, respiration, souffle) : "Le théâtre spatialiste est un espace à quatre dimensions : ni Richard III ni Horace ne sont concrets, mais les lignes, les couleurs, les êtres, les sons, les machines, les éléments, less concrétions…" (226). Et ceux qui rechigneront devant tant d’abstraction, on les renverra au Blason du corps féminin, de Ilse Garnier (1979 ; cf. reproduction ci-contre). Car il existe bel et bien un érotisme spatialiste… qui est un cinétisme : "Notre érotisme est énergie et structures, c’est-à-dire physique et esthétique ; il est tourbillons, impulsions, échanges particulaires, ondes, radiations, spatialisé dans tout le corps : c’est l’homme et la femme coextensifs à l’univers – l’homme et la femme dans leurs champs gravitationnels" (247).

On appréciera ici le spatialisme dans ses deux périodes : la première, caractérisée par un lyrisme immanent, révèle une fascination pour l’énergie cosmogénétique, le cinétisme et l’écriture idéogrammatique ; de la seconde, minimaliste/littéraliste, se dégagent les poèmes-ponctuations, qui présentent "un rayonnement punctiforme d’instants suspendus" (I. Maunet, 41), une tension vibratoire entre les mots-matières.

Avec le recul, on constate aisément que ce sont les recherches graphiques du spatialisme qui ont surtout marqué les poètes contemporains.

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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