Le projet dreamdrum est une série de photographies réalisée par l’écrivain et photographe Thomas Déjeammes. A l’aide d’un clou il gratte, criture, traiture à même le papier photographique. Il a ensuite proposé à différents écrivains et/ou poètes de faire un texte à partir de chacune de ses images. Le résultat de cette correspondance image/texte est publié deux à trois fois par mois sur Libr-critique.com. Le troisième texte, signé Vincent Tholomé, suit la photo grattée de Thomas Déjeammes – et c’est bel et bien du Tholomé ! [Lire/voir Dreamdrum 2]
puis père a bu et mère a mangé la panade et le pain, puis j’y vais alors a dit père, et père a posé la misère de mère sur le comptoir, et la poche de père a mangé la panacée pharmacopée, et mets tout ça sur mon compte a dit père, et oui a dit le pharmacien, et merci a dit père, et toutes les poches de père ont soudain débordé, les poches de sa veste de laine bourrées de lapins et de lapines, les poches à l’arrière de son pantalon la gauche et la droite rejetant comme un volcan les légumes et le café en grains, et les poches à l’avant de son pantalon ont alors répandu sur le beau plancher ciré de la pharmacie les mégots de cigarette patiemment collectés à l’arrêt d’autobus et quelques brins de tabac ont volé dans les airs et les fruits et les oeufs ont roulé sous l’armoire eux qui tout à l’heure se sont laissés si facilement prendre au collet a dit père, et au revoir a dit père précipitamment, et je vous laisse le tout a dit père tout rouge, et très très bien à bientôt alors a dit le pharmacien, et la porte s’est refermée et père a flotté dans les airs dans la rue, et nous voici maintenant parés a dit père, et oui merci a dit mère comme père étalait sur la table du salon le reste du contenu de ses poches, les lapins et lapines et le sucre et les deux ou trois feuilles de salade, et hop ! prends ceci a dit père, puis mère hop ! a pris ceci tout mangé ou tout bu la pharmacopée panacée, et bravo bien tu as parfaitement vidé le petit pot a dit père, n’en reste pas une miette a dit père, a regardé le petit pot par transparence comme il le portait à son oeil, puis père a pris la pelleteuse et mère a dégagé la neige et père a chargé le poêle à bois et toute la maison a chauffé, mère a cuit les lapins et père a mangé les légumes, puis père a fourré du café à l’avant dans les poches de son pantalon, et mère a pris beaucoup de poids et père a donné trois kilos de sardines à louis gagarine et camion a transporté mère et c’était son premier voyage premier transport et camion a roulé comme un fou et mère a crié, arriverons-nous bientôt ? a dit père, il le faut a dit louis gagarine, et surin a déchargé mère et père l’a couchée dans un lit et tout le monde a regardé père et mère par la porte entrouverte, impossible de ne pas regarder a dit surimi, oui impossible a dit louis gagarine, non impossible a dit surin, et tout le monde a regardé tout l’amour de père et de mère par la porte entrouverte, et tout l’amour de père et de mère irradiait et ça faisait de l’ombre à tous les conseils gais et colorés du grand parti affichés sur les murs, et nom de nom que c’est beau a dit louis gagarine, et oui oui que c’est beau nom de nom ont dit camion surin et surimi, et père a sorti le fromage et déballé le gâteau, et surin a pelé les pommes-de-terre et une bouilloire s’est posée sur le poêle à bois et du linge propre a pendu devant mère, des lingettes et des gants et des grandes serviettes encore humides, et de petites gouttes sont tombées sur le sol éclaboussant les chaussures cirées et ointes, désinfectées, des infirmiers des infirmières, puis camion a goûté le pain et rapiécé les biscuits en mille et une miettes, c’était dans les poches, n’a pas résisté au chahut a dit père, à la traversée brinquebalante de la ville, de nuit, tout phares éteints a dit surin, oui a dit gagarine louis gagarine le camarade gagarine, puis il a été temps, et pan ! pan ! igor boïski est né, et igor boïski est né dans un monde d’amour et c’était beau à voir, et quelle chance a dit louis gagarine, quelle chance a dit camion comme ils rentraient à pied chacun de leur côté, comme ils se déplaçaient très vite dans les rues tard dans la nuit bien avant le jour, et ils ont glissé d’ombre en ombre, se cachant dans les porches ou jouant aux statues, et igor boïski a irradié dès que mère a écarté les pans de son manteau de laine, dès que les douces et grandes mains expertes de père l’ont posé sur la table, et nom de nom on dirait une pomme-de-terre bouillie bien jaune et bien chaude a dit mère, et on en mangerait a dit père, et oui a dit mère, puis père a fait le lit, et mère a couché igor boïski, puis camion a recousu mère, puis père a bu le café comme une pisse bouillante dans la bouilloire et mère a mâché trois oignons, et camion a mangé une gousse d’ail, et igor boïski a bu le lait de son mère, et ça doit être bon a dit surimi, oui tout ce lait engraissé au bon jus de viande et au jus de légumes tout ce lait fortifié au jaune d’oeuf battu dans la bière forte et brune, et c’est exquis oui a dit igor boïski, et merci merci a encore dit igor boïski dans son idiome d’alors, dans parler d’enfant aimé, puis trinquons a dit père et oui a dit surimi et mère a fait bouillir le linge, et père a fabriqué des tuyaux de pipe et mère a renversé de l’huile chaude sur le feu et père a couvert d’une bâche plastique le toit sans tuiles et mère a nourri de panade petite et grande soeurs et j’ai ouvert le tiroir sous le four et j’ai sorti les bouteilles et trinquons j’ai dit puis j’ai beaucoup bu et beaucoup mangé puis suis descendu à la cave et ai avalé les réserves vidé les armoires mangé les cornichons les prunes au vinaigre les conserves de poires et tout le poisson salé de l’hiver, et nom de nom a dit père, nom de nom a dit mère, et que va-t-on devenir igor boïski que va-t-on devenir a dit mère, et père a pris un fusil de chasse, et mère s’est pourvue d’un couteau, et igor boïski je vais te lever comme un filet de carpe a dit mère, et je vais te trouer comme un vieux saumon a dit père, puis j’ai couru et j’ai dévalé la rue suis entré dans la fabrique et j’ai fabriqué des grillages et j’ai posé des grillages dans les jardins, et surimi a mangé les lapins que surin mettait derrière et camion a mangé les poules que louis gagarine mettait derrière et père a gobé les oeufs des poules de camion et mère a pêché trois saumons dans la rivière, et mère je te fabrique un panier avec le grillage des poules j’ai dit, et merci igor boïski a dit mère, et le grillage des poules a laissé des traces blanches sur la peau des saumons mais nous avons bu et mangé tout le lait et la tête pressée, puis nous avons débité les agneaux et les beaux porcelets, puis là nous sommes morts a dit père, repus comme des morts a dit mère, puis vivants de nouveau puis morts à nouveau puis vivants puis morts, comme cela jusqu’à la fin des temps a dit père, et oui j’ai dit.