Je te remercie beaucoup d’avoir pris la peine de m’écrire longuement après ta lecture de « Ceux qui merdRent ». Si l’amitié a un sens, c’est celui-là, sinon elle n’est que complicité triviale, effusion -obscène. Mais c’est une qualité d’amitié devenue bien rare, tu le sais : les protestations d’affection vont bien souvent de pair avec l’indifférence réelle, profonde, obtuse envers le travail et la pensée de l’autre. On en voit, au bout du compte, les résultats dans la désinvolture et l’insignifiance de la prose critique que publient les gazettes : aucune amitié pour les livres, pour la pensée mais le miroitement publicitaire et l’occupation tactique des surfaces imprimées. Merci donc, de lire, de critiquer, d’ergoter, de pointer les nœuds obscurs, de n’être pas indulgent (c’est-à-dire méprisant).
Cet extrait de lettre de Christian Prigent (Berlin, 1991) à Pierre Le Pillouër est public : publié dans le numéro 4 & 5 de la revue il particolare, est comme le nom de la revue l’indique un détail signifiant (particolare) et non pas une anecdote (dettaglio).
Soyons clair : ceux qui correspondent sont deux compagnons de l’aventure TXT. Les unit une même exigence. Point barre ai-je envie de dire/écrire.
Mais il faut poursuivre : aujourd’hui Christian Prigent obtient (à plus d’un titre) le prix Louis Guilloux 2007. Il s’est exprimé dans une note significative de la revue Europe (Numéro Littérature de Bretagne, coordonné par François Rannou) :
« Maintenant je relis les Carnets, je fais lire à mes élèves Le Sang noir et La Maison du Peuple. J’aime de plus en plus ce que le roman (au moins la narration) permet de brasser du temps complexe de nos vies intimes et des foudres de l’Histoire. »
Et puis, évidence massive il y a Demain je meurs ! où l’ami est cité -affectueusement égratigné au passage :
« C’est le pillouër, l’arsouille, le clodo, avec sa bouffarde et sa grande écharpe genre Aristide Truc, le roucouleur nul pour les parigots. » Mais encore Mémé ? « Vous savez bien qui : çui qui pose bohème et pond du bouquin sur le populo pour divertir les aristos. »[DJM, 171]
L’auteur de ces lignes, il n’en peut mais, a entretenu des relations amicales avec le curé de Saint-Brandan (Jean Le Rétif) qui un jour lui a offert son étude sur les pillotous de Lanfains, et aussi avec en son temps le responsable des Capes de breton (Fransez Favereau), auteur DU dictionnaire de référence (il n’est de breton que de Poullaouën, qu’on se le dise une fois pour toutes, oui Françoise), et forcément cette « sortie » de Mémé n’a pas manqué de l’agripper !
Il y a à n’en pas douter infiniment d’affection dans l’attribution de ce prix ; il serait franchement nul, comme le dit si cruellement Mémé de faire « le roucouleur pour les Parigots ».
Car nom de nom ! Demain je meurs est d’un bout à l’autre resté fidèle à l’esprit des aventuriers (dichosa ventura, ça leur fera des pieds que je cite Jean de la Croix) de TXT. Il faut lire, crénom ! l’effort au style c’est quoi, mais c’est ça ! ici (en deux) ça froufroute pas :
Flash ici, brutal, coup au cœur. Respir coupe quasi. Tu bloques. Tu vacilles. Tu appuies ta main sur le mur sauf à défaillir. Tu fermerais bien ici les deux yeux. Garde l’un ouvert : s’ils te voient pâlir et les paupières closes, gare intervention du service d’urgence et qu’on t’enregistre au bureau des pleurs et petits malaises avec de l’amer à ingurgiter. Pensée incidente : si on a deux yeux, c’est pour cligner l’un en avantageux et que le prochain vous porte intérêt, voire qu’à vos avances il fasse risette; l’autre c’est pour se mettre le doigt dedans -car prochain tire tronche et ça y est: on louche. Donc vas-y, louche. Un œil sur dehors où corps médical vaque à son devoir et tu lui souris par du pétillé. Un œil sur dedans où du souvenir rapplique comme nuée du fond d’horizon où c’est pas beau temps : attrape-le au vol, colle-le vite ici. (DJM, p 125)
C’est faire merder, ou plutôt, comme aurait dit Jarry, merdRer la beauté convenue, la pensée pré-pensée et les « chromos » de l’humanisme contemporain. A bon lecteur, salut !