Tandis que demain, vendredi 13 décembre, a lieu à 19H la rencontre avec les auteurs à la Librairie L’Arbre à Lettres (2, rue E. Quenu 75 005 Paris), découvrons précisément ce passionnant volume d’entretiens. [Novarina sur LC : Le Vrai Sang ; Devant la parole ; L’Atelier volant ; L’Acte inconnu ; Nouvelles de Novarinie]
Valère Novarina, L’Organe du langage, c’est la main, dialogue avec Marion Chénetier-Alev, Argol éditions, automne 2013, 272 pages, 29 €, ISBN : 978-2-915978-93-3.
"Il est stimulant de ne pas être digéré tout à fait, normalisé, absorbé et correctement étiqueté par l’industrie culturello-communicationnelle" (p. 45).
Voici la quintessence d’une œuvre monumentale, dans une architecture de paroles réparties en cinq journées inégales – et accompagnées de documents divers (dont de magnifiques photos en couleur). Destiné à un public plus large que le cercle restreint des novariniens, ce volume d’entretiens – qui fait suite, dans la somptueuse collection d’Argol intelligemment appelée "Les Singuliers", à ceux de Prigent et de Vila-Matas – retrace la trajectoire du poète, dramaturge et peintre, en mêlant les fils chronologique et thématique : les origines, les patois, la montagne ("l’instantané d’un drame" !), le sang, TXT, 68 et la politique ; la chair de la langue, les textes principaux ; Paul Otchakovsky-Laurens, le "vivier des noms", l’antinomie comique/tragique, Michel Baudinat et Daniel Znyk ; la musique, la peinture, la danse et le cirque… Dans ce kaléilogoscope novarinien, on retiendra surtout l’évolution de sa conception du metteur en scène et les révélations/modèles qui l’ont marqué : Mallarmé, Wagner, Appia, Artaud, Grotowski, le Brecht du Berliner Ensemble, Beckett, Dort, Dubuffet, Bob Wilson… le Nô, le cirque, le guignol, le théâtre yiddish…
Le titre même du volume explicite l’entreprise novarinienne : contre la réification du langage et de la pensée qu’opère la langue de la communication, le verbe poétique doit conquérir la densité de la pierre pour viser l’irreprésentable ; pour celui qui préfère au terme de "poésie" celui de "Dichtung" (densification), le poète est un denseur et les mots sont des pierres qu’on lance – leur matière étant palpable comme celle qu’informe le sculpteur ou le peintre.
De cette somme se dégage la singularité de la trajectoire : des années 70 à nos jours, Valère Novarina n’a jamais cessé de se situer à contre-courant. Ainsi, au temps où triomphent les idéologies, les théories littéraires et les metteurs en scène, celui qui n’est resté que quelques années dans la mouvance de TXT (1974-1980) se tient à distance les luttes révolutionnaires, refuse de se transformer en "Chef des Polices Théoriques" – pour détourner une formule du Drame de la vie – et fustige le théâtruscule uniformisé des metteurs en chef (métheurancènes). Et depuis la fin du siècle dernier, où d’abord le narratif fait son retour en force, avant que le théâtre postdramatique ne le relègue au second plan, il s’oriente d’un théâtre satirique de l’avant-garde engagée à une mystique de la Parole, accordant la priorité à la dramaturgie du Verbe : dans cet espace logoscopique du sacrifice, se succèdent des catastrophes rythmiques orchestrées par des acteurs qui font le mariole pour faire advenir la parle, c’est-à-dire pour être agis par le Verbe et faire surgir le négatif du monde (antimonde) et de l’homme (antihomme).