Jean-Paul Gavard-Perret nous fait découvrir un superbe coffret qui met en regard dadaïsme et surréalisme.
Coffret Dada, 6 livres fabriqués à la main et livrés dans une pochette de papier cristal (Hugo Ball, André Breton, Francis Picabia, Kurt Schwitters, Tristan Tzara, Jean Arp), éditions Derrière la salle de bains, 35 €.
Personne mieux que Ribemont-Dessaignes a mis en évidence les rôles respectifs des deux avant-gardes qui se succédèrent en France et dans une partie de l’Europe lorsqu’il écrivit : « Une petite côte de Dada, voilà ce qu’est le surréalisme ». Breton n’y est pas pour rien. D’abord dadaïste (d’où sa présence dans ce coffret), il devint très vite, passant au Surréalisme, un intellectuel professionnel qui voulut se faire passer pour un agent provocateur. On ne fit guère mieux dans le genre hypocrite et sacristain. Captant l’héritage de Dada, celui qui se voulut monarque ne fut jamais avare de coup de pieds en vache envers ses anciens amis allemands et suisses. Il ne fut d’ailleurs pas plus tendre envers ces disciples surréalistes : on se souvient du sort qu’il réserva entre autres aux Naville, Masson ou Gysin. En bon flic et curé il asphyxia le dadaïsme pour devenir le mandarin d’un ascétisme. Aux soutanes noires des anti-prêtres dadaïste succéda la tiare blanche du pape d’un nouveau catéchisme. Aux slogans iconoclastes succédèrent les lois de l’inspecteur de ses brigades des mœurs – qui dut la grande part de sa postérité poétique moins à lui-même qu’à Philippe Soupault.
A l’inverse, Dada reste une belle et irremplaçable folie. Né à Zurich pendant le massacre de la Première Guerre Mondiale, il cracha sur les pouvoirs sans chercher à racoler ses prébendes. Contre les fausses vertus, il imposa le vrai désordre à coup de douches littéraires, plastiques et même cinématographiques puisqu’il inventa le cinéma « abstrait ». Le coffret édité par « Derrière la salle de bain » prouve combien cette avant-garde possède la vie dure. Il ne cherche pas à momifier le mouvement. Bien au contraire. Sa mise en page garde l’esprit qui régnait au Cabaret Voltaire de Zurich. Il ne barguigne en rien une symbolique bricolée ou à coups d’étiquettes approximatives. Les dadaïstes y restent tels qu’ils furent : des irréductibles capables de traduire l’inquiétude moderne et de mettre à mal la prétendue pureté de l’humanisme et ses postiches séducteurs.
Sans Rastignac à sa tête, Dada ne cessa de bouger, voguant entre Zurich et New-York et brisant les idoles d’une vision idéaliste et romantique. Jamais avaricieux de chaos, Dada opte pour la dépense vitale contre la mort. La prétendue évolution du mouvement vers le surréalisme fut donc une régression et une suite de rattrapages que l’ensemble présenté ici permet d’apprécier. Il permet aussi de prouver que Dada ne pouvait rétrécir sous le yatagan des évangélistes qui s’en emparèrent pour lui succéder. Dada reste l’apéritif qui ouvre des appétits à des iconographies possibles et que près de cent ans après sa naissance on rêve encore de voir éclater.