[Chronique] Mika Biermann, Palais à volonté, par Périne Pichon

[Chronique] Mika Biermann, Palais à volonté, par Périne Pichon

février 20, 2014
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[Chronique] Mika Biermann, Palais à volonté, par Périne Pichon

Paul Revenaz, narrateur du Palais à volonté, est enfermé dans un asile, un lieu clos associé à un référent temporel : « aujourd’hui ». Ainsi devient-il une sorte de personnage de théâtre, évoluant devant un « palais à volonté », c’est-à-dire un décor.

Mika Biermann, Palais à volonté, P.O.L, février 2014, 183 pages, 14 euros, ISBN : 978-2-8180-1976-4.

 

L’exergue nous renseigne sur la particularité du « palais à volonté » : il s’agit d’un décor unique qui se veut fidèle aux règles d’unité de temps, de lieu et d’action du classicisme. Mais Paul Revenaz outrepasse les règles : sans bouger, sans changer de lieu, sans quitter « aujourd’hui » et au présent de l’indicatif lorsqu’il évoque sa vie à l’asile, il voyage dans ses souvenirs à la poursuite de Berthe, son action principale. Ou plutôt, il se projette dans ses souvenirs, s’y met en spectacle et, usant des illusions du « palais à volonté », élabore une création dramaturgique personnelle dans le petit théâtre de sa mémoire. En ce sens, les séquences temporelles présentées comme des « souvenirs » par la narration sont construites en puisant dans différentes matières fictionnelles : on peut retrouver la trace de romans d’aventure, romans noirs ou policiers, romans de guerre, récits d’anticipation…

En ce sens, Paul Revenaz est atteint d’un bovarysme inversé : plutôt que de voir la vie à travers le prisme du roman, il évoque son passé à travers des imaginaires romanesques. Quant à l’auteur, il semble s’amuser des règles plus ou moins explicites et des clichés des différents sous-genres du roman convoqués. Notons toutefois une petite mise en garde – involontaire – du narrateur :

« Quand on aura joué tous les rôles possibles, quand on aura imprimé le motif de nos semelles dans la poussière du dernier monde de l’univers, je pourrais peut-être enfin me reposer un peu. En attendant, j’écris sur ces feuilles collées ensemble pour former un rouleau, où je jette mes souvenirs sans queue ni tête. Et alors ? Ceci n’est pas un roman, personne ne les lira jamais, surtout pas le Dr Fischli. Je n’écris pas pour comprendre, j’écris pour me distraire, j’écris pour m’en défaire, contre vents et marées, j’écris en tout petit ; […] » (p. 50).

Ce pronom « on », indéfini, symbolise Paul et Berthe, cette femme mystérieuse qu’il rencontre sur une île déserte pour la perdre ensuite et la chercher toujours. Ces deux-là sont en symbiose, surtout dans les rôles qu’ils se jouent, d’où sans doute ce pronom « on », singulier et pluriel à la fois. Donc Paul et Berthe se représentent dans des vies multiples, des mondes multiples ; Paul écrit ses souvenirs et cette vie d’aujourd’hui non pour romancer (« ceci n’est pas un roman ») mais pour « se reposer ». Pour évacuer. Clin d’œil à l’autobiographie, au fameux « pacte » implicite qui veut que le narrateur dise la vérité ? Alors que presque chaque action du livre renvoie au roman, ou du moins, à la fiction, et même aux comptines pour enfant : « Il ne saute plus dans mon jardin / saute saute petit lapin », écrit Berthe au dos d’une carte postale. L’univers de Palais à volonté est instable parce que issu de collages de fiction.

Sans doute est-ce la raison pour laquelle Revenaz évoque sa vie et son passé comme une série de naufrages, voire un naufrage dans un naufrage dans un naufrage… De plus, dans ses souvenirs reconstruits avec de la fiction, comment faire la part du vrai et du faux, du réel et de l’imaginaire ? Quelques indices, au-delà du jeu avec la polyphonie romanesque, renvoient à des faits historiques réels. Et si le rapport au et à la mémoire du temps de Paul Revenaz sont bancales, sa conscience du temps écoulé est intacte ; son principe de datation des souvenirs le montre : « Vingt temps plus tôt », « Deux jours plus tard ». Les événements qu’il raconte ( au passé par opposition au présent des chapitres intitulés « aujourd’hui ») suivent une certaine chronologie, même s’ils sont racontés dans le désordre. Le narrateur perçoit la continuité du temps, révèle un besoin de logique temporelle dans le récit de son passé. C’est l’invraisemblance de ses souvenirs qui fait douter de ce qui est raconté, pas leur succession. Mais cette succession apparemment aléatoire fait dialoguer entre elles différentes strates de l’histoire du narrateur. Même si chaque séquence de souvenirs, chaque « drame », qu’il soit policier, d’aventure, ou soldatesque, amène le récit à une impasse – un « trou » de mémoire –, le personnage se dévoile et se raconte grâce à ses superpositions de fictions.

Finalement, l’unité de temps du théâtre classique avait été prescrite par un besoin de vraisemblance mise au service de « l’illusion théâtrale ». Jouer sur l’expansion de cette unité, en utilisant la mémoire du personnage, permet de défaire avec humour ce code du vraisemblable. Sans changer de lieu et de temps, par la magie de l’écriture, Paul Revenaz tient plusieurs rôles différents. Sa conscience du temps passé le raccroche un tant soit peu à la réalité. Cependant, il s’agit d’un temps personnel, considéré comme vécu mais fictif, ce qui montre que même la sensation du passage du temps, l’accumulation des traces de ce passage dans notre mémoire, peuvent être simplement un mirage.

Attention toutefois : le deuxième exergue du livre nous sauve d’une conclusion trop angoissante : il s’agit d’un extrait des Hautes sottises de Nasr Eddin Hodja. Nasr Eddin Hodja est un personnage de conte arabe, loufoque et faux-naïf, souvent évoqué dans des anecdotes absurdes. Ce héros paradoxal apparaît comme le roi des sots et (peut-être) l’empereur des sages. Placé en ouverture du livre, il invite à voir dans Paul Revenaz une sorte de double occidental. Un personnage bouffon alors, avec toute l’ambiguïté et la polyvalence que ce rôle implique. Le rire du fou est souvent à double-entente et va de pair avec la conscience d’une situation instable, dangereuse, voire angoissante. De même pour sa parole, généralement à double-entente. Paul Revenaz apparaît également comme le pendant de Macbeth et Palais à Volonté comme une réponse à cette évocation de l’histoire comme un « récit plein de bruits et de fureur conté par un idiot et qui n’a pas de sens » (Shakespeare, Macbeth, V, 5). Heureusement, pour éviter la tragédie, l’écriture et l’humour de Mika Biermann nous rappelle que « lire » rime avec « plaisir » et « rire ».

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rédaction

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