"À quoi bon écrire des livres à l’heure du mariage pour tous ?"… De la poésie comme conte cruel…
Véronique Pittolo, Une jeune fille dans tout le royaume, éditions de l’Attente, printemps 2014, 158 pages, 11,50 €, ISBN : 978-2-36242-047-4.
Une jeune fille dans tout le royaume recyclant remarquablement dans un texte acerbe les stéréotypes et les figures du féminin, Véronique Pittolo ancre nos représentations dans une mémoire collective.
Trois parties structurent un ensemble dont les deux dernières reprennent explicitement des références communes (personnages de film, de conte) : Schrek et Chaperon loup farci. Dans La jeune fille et les utopies, première partie particulièrement réussie, la jeune fille d’aujourd’hui est perçue au regard de celle d’avant 1968 dont l’éducation traditionnelle, religieuse et rigide, se déploie dans toutes ses opérations d’entrave à l’émancipation : « dans certaines familles, la République des filles fut le catéchisme ». L’éducation d’alors, saisie dans le détail juste et tranchant, percutant, est rapportée sous forme de paragraphes concis et rythmés dont le déroulement dresse une description impitoyable d’un système de pensée éducative. Ainsi, « dans les jupes du catéchisme, chacune ressent son infériorité (…) ».
Si « la religion et les contes fabriquent des familles toxiques (…) », les personnages de contes présents dans ce texte d’ouverture La jeune fille et les utopies, notamment sous les traits de l’ogre et sous l’angle de la critique (Blanche Neige), s’inscrivent dans le réel contemporain, actualisés. Certains éléments caractéristiques du conte repris (notamment par le biais de personnages types : rois, reines, cavaliers…) se déplacent dans un environnement où les marquages et les débats (internet, Facebook, mariage pour tous…) sont ceux d’une contemporanéité. L’avancée du texte procède par accumulation de traits caractéristiques, détails qui campent une époque, un type d’éducation, une condition féminine, et font écho à une histoire individuelle dans une mémoire des représentations et de l’intime, mettant en situation, provoquant l’éveil de « souvenirs collectifs ». Cela appuyé par différentes interpellations, regards-caméra, adresses au lecteur (et en particulier à la lectrice) sous forme d’interrogations-retours instaurant un véritable lien entre l’auteure et son lecteur.
Les figures du féminin sont reprises de façon distanciée par Véronique Pittolo, qui, avec un humour certain, procède dans ses énoncés à des catégorisations (à plusieurs reprises, substantivation des qualificatifs : « la petite sage », « la pulpeuse », « les gentilles »…). Les figures du féminin sont déployées dans leur environnement historique, social (codes et décryptage d’une apparence physique, vestimentaire…), familial (figure de la mère). L’auteure, dans un travail d’épuisement et de recyclage des stéréotypes, les déplace sous l’angle de la critique, de l’ironie, et cela, à travers le prisme d’une période historique (actuelle et avant 1968). Les jalons d’un questionnement critique sont posés, mettant en situation des modèles, rôles d’identification ainsi que des catégorisations sociales.
Les motifs d’un patrimoine abondent sous l’énonciation de personnages de contes traditionnels et de cinéma (dans une moindre mesure, évocation emblématique de stars associées à un « mythe féminin »), passés au crible du questionnement critique. « La lutte des classes est détournée au profit d’un enjeu sentimental, mais une fois la princesse délivrée, que reste-t-il au peuple ? ». Sous forme de fragments, sont rapportés dans Schrek, des références aux contes (la Belle au Bois Dormant, la Belle et la Bête..), objets rituels décontextualisés (le miroir, le fuseau), des éléments de morale, préceptes, formules, expressions toutes faites (« beau comme le jour »). Dans le travail d’actualisation critique des personnages, l’aspect formel et graphique sert le discours (mots clés, éléments emblématiques d’une phrase rapportés en caractères gras).
Véronique Pittolo revisitant les contes, les signes d’une modernité ponctuent Chaperon loup farci (une « chevillette électronique », la télévision etc.) et marquent ce déplacement du récit traditionnel dans une période historique donnée (contemporaine). Dans cette actualisation, pour le Chaperon rouge, « la promenade devient une FUGUE », la forêt, une banlieue, tandis que les dents de Mère-Grand se permutent en dentier et les lunettes de celle-ci ne servent plus qu’à voir la télévision.
« Qui croira à une épopée miniature qui n’est pas un conte ni un poème, mais tout cela à la fois et rien de particulier qui accroche la mémoire, l’émotion, l’identification ? »
En retournant ainsi à la préface de Véronique Pittolo et en replaçant ces derniers termes sous un signe affirmatif, une définition juste d’Une jeune fille dans tout le royaume nous est donnée.