[Revue-chronique] Europe, Dossier Blanchot/Volodine

[Revue-chronique] Europe, Dossier Blanchot/Volodine

septembre 23, 2007
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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europe_revue.jpgEurope, n° 940-941 : « Maurice Blanchot/Antoine Volodine », août-septembre 2007, 384 pages, 18,50 € ISBN : 978-2-351-50009-5

euro.jpgOn ne peut que saluer le dernier numéro d’Europe, que l’on peut placer à l’enseigne du déshumain (Pierre Fédida) : les planètes Blanchot, Volodine et Kafka nous invitent en effet à sortir de l’humain pour en explorer l’être-autre. Les trois figures marquantes qui jalonnent cet itinéraire anthropoclaste constituent les principales entrées d’une livraison avoisinant les quatre cents pages : le Dossier Maurice Blanchot, le plus important (quelque 190 pages encadrées par Evelyne Grossman), précède celui sur Antoine Volodine (52 pages coordonnées par Frédérik Detue et Anne Roche) et la longue étude de Marc Weinstein, intitulée « Le Monde et l’Immonde. La dém(arist)ocratie de l’être selon Franz Kafka » (50 p.), qui vient clore logiquement le diptyque puisque les deux premiers auteurs s’inscrivent en droite ligne de Kafka.

L’une des tâches de la critique étant de reconsidérer périodiquement une oeuvre en fonction des mutations que connaissent les champs de production et de réception littéraires, la réouverture du dossier Blanchot (1907-2003) est la bienvenue, quatre ans après sa mort. Indépendamment des « ferventes célébrations » ou du « retour d’anciennes polémiques » (p. 3) suscitées par le centenaire de sa naissance, il s’agit d’abord ici de mettre en pratique l’aphorisme derridien, « C’est grâce à la mort que l’amitié peut se déclarer » : loin de toute complaisance, la perspective choisie consiste à tendre vers un être-avec la part inventive, étrange et étrangère propre à l’écrivain et critique. D’où le recours à une démarche endogène, empathique ; ainsi, contrairement à l’approche poéticienne qui fait du texte un objet de savoir, Christophe Bident invoque-t-il une lecture subjective qui fait prévaloir « la qualité d’une expérience » (102).

Pour ce qui est de la réévaluation, il se pourrait que Thomas Régnier ait raison : « Il se pourrait pourtant que l’inactualité de Blanchot aille de pair avec un autre mode de présence qui, s’il n’est pas visible, n’en est pas moins réel » (18). Ce qui est certain, c’est l’importance de Blanchot pour Leslie Kaplan, auteure de L’Excès-L’Usine (P.O.L, 1987), ou encore les échos de cette oeuvre chez quatre écrivains d’Amérique latine, Juan Villoro, Macedonio Fernandez, Salvador Elizondo et Mario Bellatin. Au fil des articles, cette oeuvre est du reste mise en relation avec celles de Mallarmé, Kafka, Bataille, Paulhan, Malraux, Beckett… Plus précisément, ressort des études sur l’érotisme (Karl Pollin) et l’écriture fragmentaire (Leslie Hill, Annelise Schulte Nordholt), des analyses comparatives ou portant sur des textes particuliers (Evelyne Grossman, Christophe Bident, Jonathan Degenève, Jean-Louis Jeannelle, Curt G. Willits, Ayelet Lilti), l’entre-deux qui régit l’ écriture blanchotienne : entre vie et mort, lumière et obscurité, puissance et impuissance, sensibilité et abstraction, masculin et féminin, possible et impossible, oeuvrement et désoeuvrement, pensée et travail de la langue, discours et écriture, liaison et déliaison…

Quant au dossier sur Volodine (né en 1950), qui paraît peu après, non seulement son seizième livre (Songes de Mevlido, Seuil, août 2007), mais encore le volume collectif dirigé par Anne Roche et Dominique Viart (Écritures romanesques : Antoine Volodine. Fictions du politique, Caen, Lettres Modernes Minard, vol. 8, 2006), la première monographie (Lionel Ruffel, Volodine post-exotique, Nantes, éditions Cécile Defaut, 2007) et le premier colloque international (Frédérik Detue et Katia Dmitrieva, « Le Post-exotisme d’Antoine Volodine », Moscou, avril 2006), il se concentre sur la littérature post-exotique, qui, selon Pierre Ouellet, « est la géopolitique imaginaire de cette claustration généralisée, de cette incarcération universelle même à ciel ouvert, de cette séquestration totalitaire même à l’air libre, bref, de cet emprisonnement à la fois réel, onirique et mnésique de l’homme et de la femme dans un monde et une histoire en apparence sans issue » (214). Dans un entretien de 1999, l’écrivain lui-même donnait cette définition : « le post-exotisme, c’est concrètement, écrire des livres qui surgissent comme d’une langue étrangère, mais sans référence à une terre situable sur la carte » (L’Humanité, 7 octobre 1999). La puissance d’attraction de l’univers volodinien est due à son étrange familiarité : s’il a pour horizons l’Histoire récente et la littérature de genre (la science-fiction en particulier), en revanche il met en place un inquiétant « système d’humanité-animalité » (242) qui fait penser à Novarina ou Desportes. Reste à s’interroger sur la portée d’une telle oeuvre : l’inventivité onomastique et la virtuosité narrative suffisent-elles à rendre la langue étrangère, à la faire délirer, pour le dire en termes deleuziens ? – plus radicalement : peut-il y avoir littérature étrangère dans une langue classique ?

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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