[Chronique] Véronique Bergen, MM... Marilyn au Miroir

[Chronique] Véronique Bergen, MM… Marilyn au Miroir

décembre 27, 2014
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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[Chronique] Véronique Bergen, MM… Marilyn au Miroir

Entre ciel et gouffre… tel est le grand écart que nous fait accomplir cette biofiction sidérante, ubrique et lubrique.

Véronique Bergen, Marilyn, naissance année zéro, Al dante, automne 2014, 296 pages, 17 €, ISBN : 978-2-84761-763-4.

"La vie n’est qu’une question de portes à franchir" (p. 9).

MM… comme Marilyn au Miroir – où elle se construit en baby doll, en "bimbo sexy"… MM, comme Martin Mortensen, le mari-de-sa-mère-qui-n’est-pas-son-père… MM, comme Maladie Mentale… Diagnostrique de la célèbre Anna Freud : grossesse extra-utérine d’une mère psychotique associée à la mort et à l’analité (MM : Marilyn au Mèroir) / "fille de personne" en perpétuelle quête du père… « "Nymphomane, exhibitionniste, besoin pathologique de séduire" » (80) / « "Faux self, ego à renforcer, compulsion sexuelle consécutive à des abus précoces, à des viols" » (81)… Qui es-tu Marilyn ? Une "femme-enfant troublée", "un poids mort qui danse au bord du gouffre" (105)… une "star de plastique et de vomi" (123), "une obsédée du côlon" (235)… "je suis une fente qui s’ouvre à tous vents car je suis fissurée de naissance" (171)…

Après Edie. La Danse d’Icare, épopée trash consacrée à Edie Sedgwick (1943-1971), l’actrice et mannequin qui a représenté "la Marilyn Monroe de la contre-culture", celle dont l’"état naturel, c’est le manque", voici une autre biofiction pour constituer un diptyque. (Rappelons l’enjeu de ce type de texte : "passer le matériau brut de vies au travers du prisme de la fiction […] redonner vie, couleurs, voix, étoffe à des personnes réelles coulées dans les eaux de l’imaginaire ne va pas sans le souci de laisser intacte leur part d’ombre"). Edie/Marilyn ombre et lumière, Eros et Thanatos…

En sept temps forts ("L’Enfance", "Le Temps Marilyn", "Daddy", "Blondeur", "Les Chiffres", "MM", "Le Gouffre"), ce récit caractérisé par sa polyphonie et son éclatement spatio-temporel évoque avec brio le destin tragique de la Blonde mythique. Espace tragique : "C’est comme ça qu’il faut vivre, en s’auto-abolissant, réclusion à perpète dans une caboche qui fuit de partout" (46)… Temps tragique : compte à rebours depuis la naissance ; compte à rebours jusqu’à la mort… Dans les nombreuses sections – datées de 1933 à 1975 -, sur fond de star system et d’intrigues politico-mafieuses (Century Fox, Cosa Nostra, clan Kennedy, FBI…), s’entremêlent de multiples voix (avec un dialogue intérieur poignant entre la star et la fille bègue qu’elle est toujours au fond d’elle-même – Norma Jeane) qu’orchestre un phrasé vertigineux que l’on pourrait appeler érotopoétique. Parmi les scènes éréthismiques, on retiendra celle, sadique et perverse – ressortissant à la fois au satanique et au divin -, où Sam Giancana, le boss de Cosa Nostra, torture un homme dont le seul tort a été de culbuter MM.

"Tout ce que touche Marilyn finit dans sa bouche" (79)… L’oralité caractérise MM comme le style même du texte : avides, nous dévorons une écriture orgiaque et compulsive, une écriture de l’excès qui nous électrise – qui, comme le cinéma, "libère les fauves qui sommeillent, […] ouvre les boîtes crâniennes, descelle les boîtes de Pandore qui déversent un mélange de guimauve et de venin" (19). Une écriture de la mutation : grammaticale (translations : s’apocalypser, marilynmonroeiser, normajeaner, pulcineller…) ; phonique/sémantique (calembour : "elle a oublié le langage des hommes sweet hommes" – 148)…

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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