Une Bonne-Année un peu spéciale… Aux Rudes et aux Rigides… Aux Mimes et aux Muets… Aux Proies et aux Pestiférés…
Discours n° 4
Carte de vœux / Les Femmes d’Avignon IV, par Lee-Wan Rank, peintre de la bouche
Aux Rudes et aux Rigides
Mesdames, Messieurs, ces derniers temps, vos rudesses et rigidités ont eu de belles occasions de s’exercer. On les a vues à l’œuvre dans nos rues, là où tous ensemble grincheux et réfractaires aiment à geindre et gesticuler, et aussi dans nos campagnes quand des punaises vertes ou des ploucs ont voulu miner le paysage de nos résidences secondaires. Autrement dit, partout où il a été nécessaire de mordre et cogner pour assurer la défense de nos intérêts supérieurs, vous avez fait merveille ! Merveille est grandiloquent, dira-t-on. Et après ? Pourquoi devrais-je ici vous mégoter le compliment ? Car j’ai vu à la télé le film en boucle de vos singulières brutalités, je l’ai vu et revu au ralenti et en accéléré, c’est éblouissant ; l’approche géométrique, l’enveloppement invisible, l’étreinte qui épouvante, les frappes assassines, le sang juste comme il faut, la ruse et le doigté de l’artiste, tout y est ! Grand spectacle ! Et je sais de quoi je parle, j’ai été rigide moi aussi, autrefois (un semi-rigide, il est vrai). Donc ici là maintenant : compliments ! compliments ! C’est bonheur de classer enfin avec vous la répression parmi les beaux-arts. Merci à tous. Rigueur-Honneur-Discipline : tout est dit. Bon. Voyons à présent les promotions de la nouvelle année. Eh bien, c’est simple, il n’y en a pas. Désolé. Caisses vides. En revanche, vos attributions ont été étendues conformément aux demandes répétées de vos syndicats. Tir à balles réelles, pillage des squats, viol anal des putains bulgares et ukrainiennes, commerce équitable des drogues saisies : ces avantages, qui n’étaient, jusqu’ici, que tolérés par la hiérarchie, seront désormais autorisés de plein droit. Ceci, n’est-ce pas, vous mettra bien du beurre dans l’épinard ! Je m’en réjouis. Autre nouveauté : le libre accès dans les collèges et lycées, avec matraquage possible des futurs bacheliers.
Discours n° 5
Carte de vœux / Les Femmes d’Avignon V, par Lee-Wan Rank, peintre de la bouche
Aux Mimes et aux Muets
Mesdames, Messieurs, j’aurais pu simplement vous rendre l’hommage silencieux d’un temps mort ; un petit paquet de dix minutes sans mots, légères, sans gestes ou grimaces ajoutés, voilà ai-je pensé ce qui aurait pu faire l’affaire. Mais je me suis ravisé ; car vous n’êtes pas sourds en plus d’être muets, et me taire devant vous eût été un impair, voire une provocation, ou une insulte ; en tout cas un contresens. On me dit que vous êtes blindés côté offense, je le crois, mais je n’ai pas de raison ici d’en rajouter. C’est déjà triste de vous voir toujours dépeints par vos détracteurs comme des chèvres et chiens coiffés, des mollassons naïfs, insignifiants et dépressifs : inutile de noircir le portrait. D’ailleurs, moi, je ne vous trouve pas aussi minables qu’ils disent. J’aime vos silences (pas au point d’en faire l’éloge mais je les aime), et votre gestuelle me parle (je ne comprends pas tout, ça suffit qu’elle me parle). Ah, voyez, si vous y mettiez du vôtre, j’inclinerais presque à vous admirer ! Enfin du vôtre, disons quelques mots gentils, une chanson ou une danse, ça suffirait ; et même le pisse-froid endurci finirait par vous apprécier. Vos gueules d’empeigne ont déplu à la longue, comprenez-le ; tout comme vos vaines pantomimes. Et vos airs absents et constipés de majoritaire silencieux (on vous dirait des mouches à l’arrêt sur un papier collant) n’ont pas eu plus de succès. Maintenant, avec l’année nouvelle, il est souhaitable, je crois, que vos vies ordinaires changent. Libérez-vous ! Fini le temps mort. Fini de perdre. Souriez ! Salivez ! Reprenez langue avec la communauté des bavards et blablateurs pros. Puis visez l’élite de la salive et devenez de brillants causeurs ! Bon ; ne nous emballons pas. Trouvez d’abord le plus proche club de muets anonymes ; allez-y et dites vos douleurs, cela vous aidera. Voyez aussi un orthophoniste.
Discours n° 6
Carte de vœux / Les Femmes d’Avignon VI, par Lee-Wan Rank, peintre de la bouche
Aux Proies et aux Pestiférés
Mesdames, Messieurs, étant donné la férocité aveugle des prédateurs, l’insécurité des voies et chemins, l’absence dans ce secteur hostile de la moindre infirmerie, la violence, la haine ambiante, et les frimas ; étant donné donc les motifs réels que vous aviez de rester aux abris, j’ai un plaisir immense à vous voir ici aussi nombreux. Mais, combien serons-nous l’an prochain ? Désolé, j’entre déjà dans le vif car il y a urgence. Alors, combien ? Disons la moitié. Les malades seront morts, les proies faciles auront péri : les premiers, faute de soins ; les autres, le vice de la naïveté les aura perdus. Oui. Une hécatombe ! Voilà ce que prévoient les statisticiens (et pâles, amaigris, éclopés, fous, seront les survivants). Tout ça est crédible et vaut avertissement. Naturellement, je forme des vœux pour que la catastrophe n’ait pas lieu mais cela ne suffira pas. Il nous faut agir sans délai. Disons avant le 20 janvier. Le 21, il sera trop tard (c’est la réouverture de la chasse ; on aura nos premiers morts). Je propose donc cinq mesures de survie applicables immédiatement : Un, port obligatoire de la combinaison pare-balles intégrale, le simple gilet relevant de la coquetterie plus que de la défense ; Deux, prise massive de bêtabloquants, matin midi soir, pour éviter le stress ; Deux bis, ceux qui se traînent une mauvaise peste continuent les antibiotiques ; Trois, lecture de mon récent ouvrage La survie sans peine (un vade-mecum improbable autant que définitif, dixit la presse) où je détaille quelques recettes vitales, notamment celle, chinoise, du rat laqué sauce termites ; Quatre, acquisition d’un kit-tunnel, ensemble d’outils miniatures pour creuser tout-terrain + la couverture isotherme ; Cinq, visite du Bunker, mon site internet ; tous les articles ici recommandés, et d’autres, y sont en vente ; prix sympas, paiement sécurisé. Merci à tous. Bonne année.