[Livre - chronique] Olivier Cadiot, Providence

[Livre – chronique] Olivier Cadiot, Providence

janvier 15, 2015
in Category: chroniques, Livres reçus, UNE
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[Livre – chronique] Olivier Cadiot, Providence

En deux temps, découvrez le nouveau Cadiot, assez différent du dernier, Un mage en été (2010).

Olivier CADIOT, Providence, P.O.L, janvier 2015, 256 pages, 16 €, ISBN : 978-2-8180-2014-2.

 

Présentation de Jean-Paul Gavard-Perret

Providence se décline en quatre « récits» dont l’origine est une anecdote. Cadiot rencontra un jour William Burroughs. L’Américain s’approcha de lui et lui mit la main sur l’épaule. Un « Young man » de ouvrit ce qui allait devenir un monologue entre les deux hommes. Les mots de Burroughs à la fois se perdirent dans les bruits extérieurs et une accentuation qui empêcha le  jeune Français  de comprendre quoi que ce fût. De ce trou noir, de ce rendez-vous « manqué » il retira l’idée que, ayant compris les mots de l’Américain, son œuvre en aurait été changée.

En tout état de cause, cet « échec » n’empêche pas au discours de se poursuivre en quatre biographies  rapides  nourries de vieilles dames bien sous tout rapport. Il y a aussi John Cage de passage en Europe, des collectionneuses tyranniques, un spécialiste du ricochet, un passionné de quadriphonie lacustre, des garde-chasse, etc. Dans le premier texte  l’auteur approfondit la jonction et la fonction maître et «  modèle » (féminin). Une créature – Robinson, bien sûr ! – se retourne violemment contre son auteur et pose la question de l’abolition d’un narrateur. 

Dans le récit « Comment expliquer la peinture à un lièvre mort », l’art moderne semble sur sa fin. Quant à l’héroïne d’« Illusions perdues » elle découvre que son artiste phare s’est réduit à une sorte de momie muséale. Dans le dernier texte un vieil homme doit assurer une conférence pour prouver qu’il n’a pas perdu la raison

D’un fragment à l’autre  surgit un étrange « corpus ». Entre versions avérées et apocryphes, entre variantes, remords et repentirs, il  avance toujours un peu plus vers ce que Blanchot nomma paradoxalement  « l’inachèvement », mais selon une poésie plutôt classique pour Cadiot.  Mais cette nouvelle manière est habile : elle insère du « mensonge » dans la fiction. Mais cette dernière étant elle-même mensonge elle permet d’annuler ce dernier selon la formule algébrique : – + – = +.

La fiction devient canular et le canular fiction – dit selon autant de pas en avant qu’en arrière. Dire une chose et son contraire crée chez Cadiot l’hésitation nécessaire à un espace de vérité qui contredit la « vocation » qu’on accorde au poète et la puissance qu’il revendique trop souvent.  L’auteur  la refuse et c’est pour cela que son œuvre n’a pas de fin. Preuve que la fiction modèle et la poésie ne même acabit n’existe pas. Cela n’empêche pas de les poursuivre de manière héroï-comique.

 

Note de lecture, par Fabrice Thumerel

"Providence, quel nom idéal pour une ville" (p. 220).

"Dès que je me questionne, je suis au paradis" (p. 95).

En cette ère du virtuel ("Le virtuel, c’est démocratique"), que peut-on écrire ? Assurément, la révolution numérique doit révolutionner l’écriture de soi : "Il doit bien y avoir un algorithme de vie pour moi" (226).
Que peut-on écrire, donc ? La-vie… La vraie-vie dans un roman-vrai, un "roman en son nom" (202) ?… Un roman familial : "Il paraît que quand on raconte n’importe quoi pour noyer le poisson, ça s’appelle roman familial. Mais quel verbe ? Faire un roman ? Réciter un roman ? Imaginer un roman ? Un rôman ? Pour quoi faire ?" (95). Un roman-à-la-Balzac ? C’est "idiot de vouloir faire un Balzac. […] C’est pas un sujet, bordel. Faut un sujet. Un type part en croisade avec un groupe de copains fanatiques. J’ai pensé ça ce matin. Ça c’est bon. […] Faire des cauchemars avec du vrai" (109). Pas trop de détails, tout de même, ça ressemblerait trop à de la poésie, et les éditeurs n’aiment pas.
Le roman, la forme la plus libre – of course.
Dira-t-on avec l’avatar du héros balzacien, Lucienne de Rubempré, qu’on est arrivé "trop tard dans le capitalisme tardif" (135) ?

Ce qui rend ce livre très jouissif, c’est le jeu avec les idées reçues, mais également le regard critique porté sur notre contemporanéité – et non notre "modernité". En effet, comment continuer à parler de "modernité" quand celle-ci, parce que consacrée, est devenue une affaire classée – classique… Paradoxe : "La poésie moderne était devenue tellement moderne qu’elle en devenait classique" (79). Notre "obsession de la nouveauté" (23) est tout aussi ridicule et dérisoire que notre manie de la datation en décennies ou notre passion du sujet, d’un inconscient devenu trop conscient – du Tout-à-l’Ego, du Tout-psy. C’est également à nous que s’adresse le personnage révolté : "Regarde un bout de toi au microscope, tu verras. Englouti dans ta propre personne" (27)… Les personnages demeurent le meilleur moyen pour éviter à leur auteur de s’enfermer dans l’écriture insulaire, l’ego-littérature (Forest). Quand on écrit sur soi, comment rendre compte d’une expérience singulière ? "Quand il n’y a plus de comparaisons possibles, c’est terrible, les choses vous arrivent vraiment" (224).

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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