[Chronique] Pierre Le Pillouër, Je suis un autre

[Chronique] Pierre Le Pillouër, Je suis un autre

janvier 21, 2015
in Category: chroniques, UNE
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[Chronique] Pierre Le Pillouër, Je suis un autre

En publiant ce texte de Pierre Le Pillouër, ancien de TXT et actuel directeur de Sitaudis, qui a souhaité intervenir dans le débat, Libr-critique confirme sa volonté d’apporter des éclairages différents sur les événements récents.

 

Je suis un autre

Depuis quelques jours, des voix, trop nombreuses autour de nous, affirment qu’il faut passer de l’émotion à la réflexion mais, s’il est fructueux de débattre et d’analyser, ces mêmes voix déversent plutôt que de la pensée, un flot de haine et de rancœurs, doublé de révoltantes tentatives de nous culpabiliser et de manipuler nos cœurs en écrivant que « les assassins sont nos enfants » ! Systématiquement, ce grand chœur qui conspue la bande à Charlie et notre bêtise de foule sentimentale, s’agite sur son plancher scientiste comme si des juifs n’avaient pas à nouveau été assassinés dans ce pays simplement parce qu’ils sont juifs.

Cela me sort de mes gonds, émotion, oui.

Je considère comme un devoir peu ragoûtant de m’arracher au confus magma ambiant, pour me démarquer de ceux qui se démarquent de façon bien inquiétante.

Il faut être aveuglé, et pas que par l’amour de la révolution prolétarienne, pour nier que le peuple de France se soit levé le 11 janvier comme rarement au cours de son histoire.

Nous avons majoritairement affirmé que nous ne voulons plus voir des dessinateurs mourir parce qu’ils ont dessiné.

Nous ne voulons plus que des juifs meurent parce qu’ils sont juifs.

Les millions de gens qui achètent Charlie Hebdo sans rire continuent de dire :
Plus jamais ça !

Certes, nous avons défilé derrière des dirigeants politiques dont nous savons bien qu’ils ont bafoué, bafouent et bafoueront encore les libertés et les droits, certes, nous ne nous sommes pas tous reconnus dans le slogan Je suis Charlie et maintenant nous ne voulons pas que des musulmans soient persécutés parce qu’ils seraient dans le même camp que les assassins, parce que leur religion serait d’essence non républicaine.

Il y a toujours un fil qui nous relie à ce qu’un autre homme peut faire de pire, on peut éprouver de la compassion pour un tueur d’enfants, on peut tenter d’expliquer son geste sociologiquement, psychologiquement ; on peut repérer que les terroristes ne se recrutent pas à Neuilly ni parmi les Coréens. On peut aussi rêver en croyant que si tout le monde pouvait s’acheter des Nike sans oublier nos excellents livres et nos poèmes, si nos humoristes allaient faire rire les prisonniers, si tous les Kevin se prénommaient Pacôme, la barbarie disparaîtrait à jamais de la surface du globe.

Mais comme l’a écrit Christian Prigent, la poésie peut peu, l’action politique peut peu, l’école peut peu et je crois qu’il faut aussi cesser de charger les profs de tout ce qu’on n’arrive pas à réaliser ailleurs.

Je remarque enfin que les voix qui s’élèvent pour nous donner des leçons de recul stratégique semblent oublier qu’une bonne partie des S.A. de Himmler est venue des rangs du lumpen proletariat ; et ceux qui font preuve de compassion pour les islamistes fanatisés, ne voient pas avec la même intelligence ceux qui s’enrôlent au FN et chez les nervis de Soral.

Contrairement aux apparences, nous ne sommes pas non plus derrière Manuel Valls, en tête aujourd’hui de l’union sacrée pour la Liberté, l’Egalité et la Fraternité, lui qui déclara en mars 2013 que les Roms n’avaient pas vocation à s’intégrer en France.

La pancarte sous laquelle j’aurais dû défiler le 11 janvier est peut-être
Je est un autre
car c’est l’altérité qui est menacée dans ce pays, trop de groupes ayant en point de mire le groupe ennemi qui, une fois expulsé, exilé ou exterminé, lui permettrait de mieux persévérer dans son être. Son être propre ?

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rédaction

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9 comments

  1. Lefebvre

    J’aurais plutôt écrit je, virgule, est un autre !
    Autrement, vraiment merci, Pierre, de bien mettre les points (les poings) sur les i.

  2. patricia dao

    La rédaction de Charlie Hebdo décimée, toutes ces personnes tuées vont terriblement manquer. Les cercueils que j’ai vu défiler ces derniers jours portent dans leurs ventres des corps qui déjà pourrissent, et Charlie Hebdo était tellement ces corps qu’il suivra lui aussi le fabuleux cycle de la métamorphose, il deviendra à son tour une ruche pour toutes les mouches de passage et un jour naîtra un peu par hasard peut-être une fleur ou un baobab. Je ne réfléchis à rien, je n’y arrive pas. Je suis en deuil. Merci Pierre de partager ton émotion, d’oser ça.

  3. Moretti

    Fort bien dit. Mais quelle est l’analyse d’un ancien travailleur social, ce serait intéressant ?!

  4. Paule RICHARD

    Je suis Charlie, parce que je fais partie de l’humanité, je vis dans un pays où la liberté d’expression semble respectée, je suis une femme a qui on donne le droit de parler, d’écrire ou tout simplement le droit de sortir sans peur…
    Le 07 janvier, j’ai été conternée et j’ai pleuré, parce que la barbarie a sévi chez nous et a atteint des hommes qui n’ont cherché qu’à nous faire rire.
    Ton texte Pierre est le reflet d’une grande émotion que je partage et auquel j’adhère car tu as bien su référencer les dangers qui nous menacent et il est d’une grande intelligence.
    Bravo pour cette belle analyse.

  5. Desportes

    Après la langue de plomb de l’aimable Pacôme, il faut dire que ça fait du bien de lire la simple et belle intelligence de Pierre Le Pillouër. Pour la mémoire de ceux qui défendaient, comme ils l’entendaient, la liberté d’expression. Pour la mémoire de Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab, Michel Saada, assassinés non par un « attentat aveugle », effectivement, mais pour l’unique raison qu’ils étaient Juifs. Montrant une fois de plus, certainement pas la dernière, que l’antisémitisme est le point de convergence et d’aboutissement de toutes les barbaries.

  6. Follenfant

    les SS aussi
    aiment leurs enfants
    et alors ?

    l’islamisme est un fascisme
    et puis

    travaillant dans ces quartiers où cela fait mal
    je puis vous annoncer la naissance
    d’un autre fascisme

    gaulois celui-là et bientôt chrétien

    la maman se porte bien

  7. Woodall Jean-Paul

    Entièrement d’accord. Il faut le dire et le répéter. À ce titre, je signale cette analyse parue en septembre 2014 de Pierre-André Taguieff, et qui n’a pas perdue une once de son actualité et de sa pertinence : http://www.huffingtonpost.fr/pierreandre-taguieff/la-derniere-decouverte-des-alter-experts–lislamophobie-explique-tout_b_5887518.html
    Et la chronique sur FC de Caroline Fourrest du 15.12.2014 sur l’islamophobie et ses enjeux : http://www.franceculture.fr/emission-le-monde-selon-caroline-fourest-une-reponse-argumentee-aux-nombreux-ouvrages-recents-parlan

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