[Chronique-art] Brian Dettmer

[Chronique-art] Brian Dettmer

octobre 11, 2007
in Category: recherches, UNE
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band-dettmer1.jpg Découvert via le site de Pierre Ménard, le blog-liminaire, le travail de Brian Dettmer s’il provient des arts plastiques, il croise de nombreuses expériences qui ont été faites dans la poésie contemporaine. Il s’apparente à une forme de sculpture du livre, via le découpage, le retrait, l’évidement. Un genre de ready-writing, qui se construirait non plus selon la logique de l’aplat, mais du volume.

Le collage en poésie, si on se réfère à ce qu’a pu en dire entre autres Philippe Castellin, se construit non pas comme volonté d’aller vers une exposition esthétique du travail, ce qui conduirait de fait à la dépolarisation poétique neutralis(s)ée par la logique de représentation lui étant hétérogène, mais tout au contraire, c’est par la sensibilité même au langage relié à un contexte déterminé que des formes visuelles de la poésie se créent. En ce sens que cela soit le cut-up, la poesia visiva, ce qui caractérise pour une part ces travaux, tient à la question de la langue, d’un devenir de celle-ci, de sa composition.
eugenio miccini Le collage — si on considère la poesia visiva — se construit comme une forme synthétique où se rencontrent des éléments provenant de supports différents. Si on considère ici cette poésie visive d’Eugenio Miccini de 1963 (L’arte tecnologica), est visible immédiatement que l’unité est synthétique, à savoir qu’il s’agit de réunir en un seul espace, des éléments qui proviennent d’espaces différents. Il s’agit d’une logique de télescopage d’énoncés et d’images qui n’étaient pas contextuellement reliés, afin de créer un nouveau sens. Ce qui joue, ce sont des rapports de tension entre ces éléments et ceci selon une logique époquale de la culture de l’écrit : 1/ les éléments proviennent essentiellement de journaux, de magazines 2/ la poésie visive se compose selon les codes de la publication de son époque : exploitation de la sur-représentation de l’image, et transformation concomitante des énoncés en impact esthético-visuel.
On perçoit que pour questionner une certaine forme de logique éditoriale, et corrélativement de sens lié à cette logique, cette création se construit comme la réalisation d’un visuel composé d’éléments distincts [pour davantage d’approfondissement : cf. Gaëlle Théval — revue Trans n°4].
Contrairement au collage le travail de ready-writing des poèmes express de Lucien Suel, se construit non pas par synthèse, mais biffures d’un texte pré-existant (par exemple des pagespoeme express lucien suel issues de la collection arlequin). Le questionnement du sens est opéré tout autrement. Si dans le collage, c’est la totalité d’une logique d’époque qui peut être interrogée grâce à la composition, ici c’est plutôt l’unité spatiale du sens qui est mise en perspective. On passe d’une approche macroscopique, à une approche microscopique. Autrement dit : par le travail sur le signifiant, matériellement présent, par son altération par le feutre, c’est directement le texte utilisé comme support qui est mis en question. Le collage crée du sens par collusion, le poème express crée du sens par l’effacement. Il fait apparaître ce qui a lieu dans un texte mais qui est caché du fait de la visibilité du texte lui-même. Biffant des mots, il crée une nouvelle série. Le poème express fait apparaître la virtualité d’un autre texte dans le texte. Il déplie les sens possibles. Il introduit une forme de vitalité dans le texte qui n’y était plus, qui d’ailleurs ne pouvait plus y être au vu de l’unité choisie : la page, le fragment. D’un point de vue critique, cette approche de Lucien Suel dévoile que dans toute forme de texte, il est possible de trouver d’autres formulations. De là, en reaffectant, une dynamique à une page de roman populaire comme c’est le cas avec Arlequin, il met en critique la distinction de langue riche et de langue populaire, en montrant qu’il est possible, dans l’oeuvre présentée d’ouvrir d’autres formes d’horizon littéraire.

brian-dettmerLe travail de Brian Dettmer ne part justement pas a priori des mêmes postulats littéraires, toutefois, il rejoint pour une part le travail de Lucien Suel.
Brian Dettmer est d’abord plasticien et non pas poète. Son travail, qui est en quelque sorte issu des recherches liées au ready-made, toutefois en est distinct. Car si pour une part il explicite lui-même qu’il prend des objets qui pré-existent (disques, livres, …) pour les recontextualiser, toutefois, cette recontextualisation ne fonctionne pas comme un déplacement de l’objet dans un contexte différent — logique de l’infra-mince — mais comme réinterprétation de l’objet par une opération plastique. Son but, en reprenant des livres qui sont désuets, c’est de leur ré-insuffler une forme de vie, de dynamique propre en les réinterprétant à coup de cutter. C’est là qu’il rencontre de fait Lucien Suel. Tous les deux se réapproprient un matériel textuel qui paraît sans intérêt, démodé, pour redonner une intensité non seulement esthétique mais aussi signifiante.
Mais le travail de Brian Dettmer se compose non pas comme aplat, mais selon une logique de stratification complexe en volume. Ses découpages et la répartition des strates n’est pas une création à proprement parlé, donc ce n’est pas un collage, mais il découpe et laisse exactement à la même place dans le repère tridimensionnel du livre chaque élément. Il travaille ainsi sur l’abstraction de motifs du contexte de chaque page afin de redonner à l’ensemble du livre une présence esthétique qui est tout autre, qui est réinterprétée par les choix qui président au découpage.
Comme pour Lucien Suel, il ouvre des plans de virtualité dans une unité donnée. Il élabore un autre livre par le livre. Mais son approche se détache de celle de Suel du fait de la question du volume.
Quand nous lisons un livre, nous tournons des pages. À savoir, l’unité que nous concevons du livre est un travail de mémoire et donc de recomposition. Je relie dans ma mémoire les différentes pages, je crée des liaisons, des combinaisons entre des images ou des textes qui sont séparés spatialement et temporellement quant à ma lecture. Le travail de Brian Dettmer justement remet en cause cette parcellisation en donnant d’un coup à voir un ensemble de pages distinctes qui par l’évidement sont reliées et mises sur un même plan perceptif. C’est aussi cela qui marque la force de son travail : la création d’une seul plan spatial et temporel de perception, par rapport à ce qui était disséminé. En ce sens, ses oeuvres peuvent être comprises comme projections matérielles du travail de composition synthétique de la pensée.

Pour découvrir davantage son travail :
[+] Galerie  Paker Schopf
[+] Bibliofrance.

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Philippe Boisnard

Co-fondateur de Libr-critique.com et administrateur du site. Publie en revue (JAVA, DOC(K)S, Fusees, Action Poetique, Talkie-Walkie ...). Fait de nombreuses lectures et performances videos/sonores. Vient de paraitre [+]decembre 2006 Anthologie aux editions bleu du ciel, sous la direction d'Henri Deluy. a paraitre : [+] mars 2007 : Pan Cake aux éditions Hermaphrodites.[roman] [+]mars 2007 : 22 avril, livre collectif, sous la direction d'Alain Jugnon, editions Le grand souffle [philosophie politique] [+]mai 2007 : c'est-à-dire, aux éditions L'ane qui butine [poesie] [+] juin 2007 : C.L.O.M (Joel Hubaut), aux éditions Le clou dans le fer [essai ethico-esthétique].

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2 comments

  1. rédaction

    Merci Pierre, oui j’avais oublié de mettre le lien. Tellement concentré à ce que j’écrivais. dans tous les cas merci de m’avoir permis de découvrir Brian Dettmer, c’est vraiment extra–ordinaire je trouve. il y a, mais je n’en ai pas parlé, une force organique dans ce qu’il écrit, comme une décomposition de strates, qu’il faisait apparaître !

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